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Véloce velcro

Si on ignore qui fait le velours et qui fait le crochet, on ne peut s’empêcher de remarquer tout de même que nos solitaires sont du genre fusionnel en ce moment. Tant pis pour leur vue dégagée et leur introspection détaillée, le vis-à-vis est certes un peu encombrant, mais ô combien stimulant !

COURSE, 18 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau L'Occitane en Provence lors de la course à la voile du Vendée Globe le 18 décembre 2024. (Photo de la skipper Clarisse Crémer) Coucher de soleil
COURSE, 18 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau L'Occitane en Provence lors de la course à la voile du Vendée Globe le 18 décembre 2024. (Photo de la skipper Clarisse Crémer) Coucher de soleil

Parfois, il y a des choses qui nous échappent. S’ils avaient envie de passer un bon moment ensemble, pourquoi vont-ils se cailler les drisses au milieu du Pacifique alors qu’ils n’avaient qu’à s’organiser un petit « Secret Santa » entre collègues au coin d’une flamme qui ne serait pas celle du réchaud ? Mais non, visiblement, ils préfèrent se lorgner du coin de hublot, se balancer quelques bons mots à la VHF, le talkie-walkie des marins, et s’espionner à l’AIS, système d’identification automatique décidément un peu trop informé, qui balance vitesse et cap des bateaux avoisinants, pour ne rien rater de leurs derniers rebondissements.

L’ambiance est bien collée-serrée en ce moment sur le Vendée Globe, à commencer par notre tiercé gagnant Dalin-Richomme-Simon - dans cet ordre actuellement, mais comme on l’a vu ces dernières 48 heures, tout peut vite évoluer dans ce trouple explosif ! Mais tout de même, après ses « 36 heures de réparation » dans la soute à voiles, le skipper de MACIF Santé Prévoyance semble décidé à rappeler qu’il souhaitait rester meneur de cette danse endiablée. Un petit 25 nœuds de moyenne sur 24 heures, 594 milles engloutis… Charlie serait-il un peu agacé de cette promiscuité ? Collés à ses bas(ta)ques, Yoann Richomme (PAPREC-ARKÉA, 2e) et Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 3e), n’ont pourtant pas l’intention de le laisser à nouveau filer.

« ça m’a permis de breaker »

La vue est tout autant bouchée pour Nicolas Lunven (Holcim-PRB, 5e), qui s’est coincé un nordiste dans les filets. Moins de 7 milles le sépare en effet de Thomas Ruyant (VULNERABLE, 4e), et on imagine qu’ils ne sont pas les derniers à se galvaniser. De quoi rendre jaloux les petits copains désormais un peu isolés, Jérémie Beyou (Charal, 6e) et Yannick Bestaven (Maître CoQ V, 7e), qui a tout de même réalisé une bonne opération ces dernières 48 heures en se décollant du chewing-gum Goodchild-Meilhat qu’il avait accroché à ses safrans depuis un bon moment ! Le dernier vainqueur du Vendée Globe raconte ainsi l’opération : 


En fait je faisais surtout la course avec le front, il y avait une zone de vent fort, je voulais pas qu’elle me rattrape parce qu’ils annonçaient des rafales à 50 nœuds, une grosse mer. Ce qui est bien avec nos foilers c’est qu’on arrive à faire la course avec les dépressions et les systèmes météo ! Du coup, pendant deux-trois jours, j’ai essayé de galoper le plus possible un peu devant le front, et ça m’a permis de breaker un peu avec Sam et Paul, avec qui j’étais depuis quelques temps ! C’est bien d’avoir cette avance-là mais ça reste pas grand-chose !

Yannick Bestaven
MAÎTRE COQ V

Surtout que Boris Herrmann (Malizia – Seaexplorer, 8e) est aussi de retour dans le match, avec son bateau 4x4 taillé pour ce genre d’océan, et si Justine Mettraux (Teamwork – TEAM SNEF, 11e) a été un peu ralentie cette nuit par des bricolages, elle ne compte pas en rester là non plus ! Yannick Bestaven, qui n’est décidément pas né du dernier Vendée, rappelle d’ailleurs : 


Il y a quatre ans j’ai passé beaucoup de temps arrêté au Brésil… il va se passer encore plein plein de choses, rien n’est rédhibitoire, même pour ceux en tête ! Le principal c’est de passer le plus vite possible le Cap Horn, dans neuf jours à peu près. D’ici là, il va y avoir du boulot, côté météo et stratégie. C’est pas du tout droit pour l’instant, donc il va falloir faire les bons choix pour faire les bons empannages !

Yannick Bestaven
MAÎTRE COQ V

COURSE, 18 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Monnoyeur - DUO for a JOB lors de la course à la voile du Vendée Globe le 18 décembre 2024. (Photo du skipper Benjamin Ferré)
COURSE, 18 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Monnoyeur - DUO for a JOB lors de la course à la voile du Vendée Globe le 18 décembre 2024. (Photo du skipper Benjamin Ferré)

« Une nuit épique avec mon copain »

Reste quand même que naviguer de conserve aide à aller de l’avant. C’est ainsi que Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 12e) et Samantha Davies (Initiatives-Cœur, 13e) cheminent ensemble à la recherche du vent perdu, et que Romain Attanasio (Fortinet-Best Western, 15e) a perdu de l’allant depuis le démâtage de sa comparse Pip Hare (Medallia). Bon, à sa décharge, il traverse une zone de pétole brute qui le scotche littéralement sur place, le pauvre, c'est la double peine !

Un peu plus loin dans la flotte, Benjamin Ferré (Monnoyeur – Duo For a Job, 21e) nous raconte lui aussi combien naviguer bord à bord la nuit dernière avec Tanguy Le Turquais (Lazare, 22e), lui a permis d’avoiner comme jamais – c’est un peu long, mais on ne résiste pas à vous partager cette fougueuse déclaration d’amour concurrentiel : 
 


On sort d’une nuit épique avec mon copain Tanguy ! Les nuits avec lui sont quand même intenses… C’était n’importe quoi ! Toute notre vie on s’en souviendra ! Ca ressemblait à un speed test de débiles en baie de Lorient, sauf que nous on a décidé de le faire dans 45 nœuds, 6 mètres de creux, le long de la zone des glaces au Sud de l’Australie ! Après coup on en rigole, mais sur le moment on ne faisait pas les malins, on s’envoyait des messages toutes les heures en se disant qu’on allait tous mourir ! C’était un bon truc de poney, on était quasi bord à bord, et il n’y en avait pas un pour tirer l’autre vers le haut, ce qui nous a fini à 22 nœuds chacun, pendant toute la nuit on a été les plus rapides ! Une des nuits les plus mémorables de ma jeune vie de marin, et j’en rigole parce que je suis bien content qu’on s’en soit sortis presque indemnes on va dire. Ca marque un point final à cet Indien qui aura été quand même… (rires) relativement intense. Le répit s’est enfermé à double tour dans un placard et n’est pas venu nous rendre visite depuis 15 jours ! Je voyais que Jean Le Cam disait que c’était l’Indien le plus dur qu’il ait eu à traverser, et ça me rassure un peu, parce que je te cache pas que depuis 15 jours, je me disais que les mecs étaient un peu tarés d’y retourner parce que c’est quand même hyper dur !

Benjamin Ferré
MONNOYEUR - DUO FOR A JOB

Du coup, voilà le skipper de Monnoyeur-Duo for a Job en « descente », comme un lendemain de rendez-vous galant sans nouvelle de son amant. « Pour la première fois hier je me suis senti un peu seul, j’avais jamais ressenti ça depuis le départ ! Je sais pas, j’ai eu une après-midi un peu de petit temps, j’ai rangé tout le bateau, tout nettoyé, j’ai mis du chauffage. Et je me sentais un peu mélancolique ! », nous raconte le toujours bavard Benjamin Ferré, d’autant plus motivé pour « rester accroché » à son petit groupe. En proie voilà trois jours à une sérieuse avarie du vérin de quille qui lui a valu 12 heures de bricolage au ralenti, il s’estime déjà « comme un survivant »


Je prends chaque mille supplémentaire aujourd’hui comme un cadeau parce que j’ai pleuré de désespoir en pensant que ce Vendée Globe était terminé !

Benjamin Ferré
MONNOYEUR - DUO FOR A JOB

On imagine le même soupir de soulagement à bord de Fives Group-Lantana Environnement, où Louis Duc, 24e, nous racontait ce matin avoir réussi ses réparations sur sa barre de liaison de safran

« L’âge, je le sens tous les jours »

Actuellement en trentième position dans la flotte, le Japonais Kojiro Shiraishi, lui, ne fait pas de fougueuses embardées. Ou plus du moins. Avec ses cinq lattes de grand-voile cassées et plus de remplaçantes en stock, le marin reconnaît avoir « mis la course de côté ». Si ce n’est plus tant avec ses concurrents qu’il cherche désormais à se battre, c’est désormais surtout contre lui-même : 


L’âge, je le sens tous les jours et à quel point je suis fatigué ! En 2020, je venais d’avoir une chirurgie cardiaque et c’était un de mes points faibles, mais cette fois je sens que je me suis vraiment affaibli. Manu, Denis et moi avons à peu près le même âge, mais Jean Le Cam est plus vieux que nous, et il m’impressionne vraiment beaucoup, il navigue bien, fait les bons choix, c’est vraiment impressionnant, c’est Superman ! C’est aussi une épreuve qui rend modeste de me battre contre tous ces skippers du monde entier. Si j’avais 30 ou 40 ans, avec ce bateau, j’aurais poussé beaucoup plus fort, mais c’est la triste réalité de mon âge actuel !

Kojiro Shiraishi
DMG MORI Global One

De là à dire, comme Châteaubriand et Charles de Gaulle en son temps, que « la vieillesse est un naufrage, les vieux sont des épaves », ce serait un comble pour un marin qui réussit l’exploit, malgré tout, de poursuivre sa boucle vaillamment. A son rythme certes, mais assurément pas sans moins de mérite ! 

COURSE, 19 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau MACIF Santé Prévoyance lors de la course à la voile du Vendée Globe le 19 décembre 2024. (Photo du skipper Charlie Dalin)
COURSE, 19 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau MACIF Santé Prévoyance lors de la course à la voile du Vendée Globe le 19 décembre 2024. (Photo du skipper Charlie Dalin)

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