Les images que l’on a de nos voisins belges ont la vie dure. Mais les Belges nous le renvoient bien et Denis en est le meilleur exemple. À 57 ans, après de multiples vies comme chef d’entreprise ou moniteur de voile, il a le sens de la formule, des expressions piquantes, le sourire facile et ne rechigne pas au plaisir de déguster une bière, à terre comme en mer. Denis a la légèreté de ceux qui savent à quel point s’inviter sur la ligne de départ de la plus prestigieuses des courses au large est un défi de géant. Il s’y est attelé avec sa bonne humeur, sa patience, son équipe 100% bénévole et ce bateau dans lequel il a dormi et vécu pour veiller à son budget. Amateur éclairé, il a disputé les courses les plus prestigieuses de la discipline. Reste donc la plus iconique d’entre elle et son rêve le plus grand : boucler la boucle.
Denis Van Weynbergh : « montrer que rien n’est impossible »
PAROLES DE SKIPPERS (26/40). Il y a une équipe 100% bénévole qui a préparé le Vendée Globe et dont le bateau sera au côté de celui des teams les plus étoffées. C’est celle de Denis Van Weynbergh qui espère devenir le premier Belge à aller au bout du Vendée Globe. Rencontre avec un iconoclaste qui a bataillé pour s’offrir ce rêve, lui qui a un temps vécu sur son bateau et n’a jamais baissé les bras.
Vendée Globe :
Comment le chef d’entreprise puis le moniteur de voile que tu as été s’est retrouvé skipper au Vendée Globe ?
Denis Van Weynbergh
C’est une longue histoire. Pour participer à cette course, il faut une fibre entrepreneuriale, savoir manager une équipe, un budget… C’est avant tout un projet d’entreprise. En matière de navigation, j’ai commencé par la Mini-Transat puis participé aux grandes courses en Class40 en tant qu’amateur éclairé. J’ai toujours lorgné sur le Vendée Globe, je rêvais de cette aventure fabuleuse.
Vendée Globe :
Justement, que représente cette course pour toi ?
Pour moi, l’IMOCA est la classe ultime et le Vendée Globe le graal pour tous les marins. J’ai couvert plusieurs éditions du Vendée Globe comme journaliste en presse écrite et en radio. Je me souviens notamment de l’arrivée de Michel Desjoyeaux lors de sa 2e victoire en 2009… Ça m’a mis l’eau à la bouche. Quand j’ai commencé à parler de mon projet, tout le monde m’a dit que c’était impossible pour un Belge. Ça m’a encore plus motivé. J’ai acheté mon bateau en 2018 mais je n’ai pas pu participer à la précédente édition à cause du budget et du confinement. Mais je n’ai pas lâché et grâce à D'Ieteren Group puis aux qualifications, j’ai pu finaliser ce projet.
Vendée Globe :
Comment expliques-tu ton envie de Vendée Globe ?
C’est une question à 1000€ ! (rires) Même mon coach mental n’y a pas répondu ! Je pense qu’il y a de nombreuses raisons, bonnes ou mauvaises d’ailleurs comme tout projet de management. Il y a un côté symbolique, initiatique incroyable. Pendant trois mois, tu restes en mer et tu traverses des coins parmi les plus isolés de la planète. Ça t’oblige à sortir constamment de ta zone de confort. J’avais envie d’essayer et d’aller au bout : je préfère avoir des regrets que des remords. Mais le plus dur reste à faire, il faut d’abord boucler la boucle !
Vendée Globe :
Quand est-ce que tu t’es dit : « je suis capable de le faire » ?
En juin dernier, une fois que j’avais réussi le processus de qualification. Ça peut paraître paradoxal mais ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai commencé à me sentir prêt. J’ai parcouru plus de 20 000 milles avec ce bateau ! Cette année, il y a eu deux transatlantiques puis l’été à naviguer avec Sébastien Audigane. Ça m’a conforté dans les choix que nous avons pu faire.
Vendée Globe :
Comment fonctionne ton équipe ?
Comme une famille ! Nous sommes la seule équipe IMOCA à être exclusivement composée de bénévoles. C’est une autre façon de fonctionner, ça implique d’autres contraintes mais ça participe à la richesse et à l’ADN du projet. Nous vivons ensemble les joies, les déceptions, les moments forts, ceux qui sont plus compliqués… C’est une gestion en famille.
Vendée Globe :
Comment décris-tu la relation que tu entretiens avec ton bateau ?
La première fois que je suis monté dessus, je me suis tout de suite senti à l’aise. C’est comme lorsque tu achètes un appartement ou une maison, les premières impressions sont toujours importantes ! Ça fait six ans que je l’ai et nous avons une relation fusionnelle. Je n’ai pas toujours eu le budget pour dormir à l’hôtel ou dans des Airbnb. Alors, pendant 2 ans, j’ai vécu à bord, je me faisais à manger, j’y dormais… Avec l’expérience mutuelle qu’on a construite, je sais qu’il est bienveillant avec moi et j’essaie aussi d’être bienveillant avec lui.
Vendée Globe :
Que ressens-tu à l’idée d’être sur la ligne de départ avec des projets qui ont des structures beaucoup plus importantes ?
Je trouve ça marrant ! C’est une sacrée victoire d’être sur la ligne de départ, comme si un club belge de 3e division jouait la Ligue des champions avec le Real Madrid et Manchester City ! Il y a beaucoup de bonheur à l’idée de se dire qu’un petit Belge avec des bénévoles seront de la partie.
Vendée Globe :
La seule ambition, c’est d’aller au bout ?
Oui d’aller au bout en faisant un beau Vendée Globe ! J’espère que j’aurai de belles trajectoires… L’idée, ce serait aussi de battre le record du bateau qui est de 94 jours. Après, je serai en « mode compétition ». J’ai envie de faire la course à fond, de dépasser, de me faire dépasser… Et puis ce qui est excitant, c’est la part d’inconnu, la certitude qu’il faudra composer avec des choses imprévisibles qu’on n’a pas anticipées. C’est aussi très challengeant !
Vendée Globe :
Ce sera aussi ta première fois dans les mers du Sud…
Oui, j’attends ça avec une grande impatience ! On m’en a tellement parlé mais je préfère voir par moi-même. Ça m’intéresse de savoir comment le bateau et moi nous allons nous comporter. Je sais que ce sera compliqué, avec les vagues, le vent, la météo capricieuse, la force des éléments… J’espère que je serai à la hauteur.
Vendée Globe :
Plus globalement, est-ce que tu as des appréhensions ?
Il y en aura forcément, surtout en s’approchant du départ. Mais il y a surtout beaucoup d’enthousiasme. C’est comme si on disait à un skieur passionné : « tu as trois mois pour skier sans t’arrêter et te faire plaisir ». Il ne va pas te répondre : « j’ai peur d’avoir mal aux jambes ». Il y va et il profite ! Parfois, je me dis que ce n’était pas une bonne idée d’ouvrir ma gueule et de vouloir y participer. Mais je suis au pied du mur, il va falloir se jeter dans l’aventure !
Vendée Globe :
Tu revendiques ta nationalité belge… C’est un marqueur du projet ?
Je serai le deuxième Belge à y participer et j’espère être le premier à le finir. Oui je le revendique. Je crois que c’est une façon de travailler, une manière de faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux. Souvent, on dit en tant que Belges qu’on manque d’ambition sportive. C’est vrai qu’il y a une forme de plafond de verre comme si on ne s’autorisait pas à faire partie des grandes compétitions. Ma participation est une façon de montrer que rien n’est impossible.
Vendée Globe :
Tu embarqueras à bord quelques spécialités belges justement ?
Oui, du chocolat, de la charcuterie et de la bière bien sûr. Je ne vais pas en boire trois par jour mais je prendrai de petits apéritifs. C’est aussi ma manière de décompresser et de me faire plaisir !