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Océan

Un océan « submergé » par le plastique

Dans l’imaginaire collectif, l’océan est associé à une nature vierge, loin de la civilisation et de son sillage de pollutions. Pourtant cette représentation est trompeuse car, d’un bout à l’autre du globe, l’océan que traversent les skippers du Vendée Globe est gorgé de plastiques, dont la majorité est invisible à l’œil nu.

COURSE, 17 FÉVRIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Singchain Team Haikou lors de la course à la voile du Vendée Globe le 17 février 2024. (Photo du skipper Jingkun Xu)
COURSE, 17 FÉVRIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Singchain Team Haikou lors de la course à la voile du Vendée Globe le 17 février 2024. (Photo du skipper Jingkun Xu)

Aujourd’hui il n’y a plus de prélèvement d’eau de mer qui soit indemne de plastique, plus un échantillon vierge que ce soit en environnement côtier, en haute mer, ni même en Antarctique, ni dans les lacs de montagne ni même dans les abysses.

Arnaud Huvet
Chercheur de l’unité écophysiologie et traits d’histoire de vie des organismes marins (PHYTNESS) à l’Ifremer

Une colonisation totale sur l’océan 

Cette réalité ne saute pourtant pas immédiatement aux yeux et pour cause : on ne s’alerte souvent que des macro plastiques visibles à l’œil nu qui ne représentent au final « que » 10 % du nombre de déchets plastiques présents dans les océans. Le reste est composé de microplastiques, c’est-à-dire de fragments de moins de 5 millimètres, équivalant à la taille d’un grain de riz rond, voire de nanoplastiques dont le diamètre n’excède pas 1 micromètre, soit 10 fois plus petit que le diamètre d’un cheveu, pour donner un ordre de grandeur. A cette taille infinitésimale, « ces particules sont même présentes dans l’air et remises en suspension par les embruns marins ». 

La majorité du plastique charrié de la Terre vers la mer  

Si on remonte la piste du plastique, il faut tourner le regard vers la Terre d’où proviennent la majorité des déchets plastiques entrainés par la pluie jusqu’aux rivières et aux fleuves. Une fois dans l’eau, certains macro-déchets se déposent sur les sédiments. Certains canyons sous-marins sont littéralement tapissés de bouteilles plastique, comme l’ont montré les premières images vidéos de cette pollution analysées en 2021. D’autres partent pour une longue traversée de plusieurs mois autour du globe et se regroupent au niveau des gyres, ces gigantesques tourbillons océaniques créés à la convergence des courants et à la croisée desquels se forment les fameux « continents » de plastique. C’est la fragmentation de ces macro-déchets sous l’influence notamment de l’eau, des rayonnements UV, qui donne naissance au micro et nanoplastiques. Une partie de ces déchets arrivent toutefois directement à l’état de microplastiques dans l’environnement comme les fibres textiles contenues dans les eaux de lavage des machines à laver, les microbilles plastiques matière première de la plasturgie, les fragments de pneumatiques… 

La Méditerranée détient l’un des records de la contamination microplastiques tandis que la zone asiatique comme le golfe du Bengale est la plus concernée par les macro-déchets. 

Hautement toxique pour l’écosystème 

Cette « soupe » de plastique n’est pas seulement indigeste, elle est carrément dangereuse pour la faune marine. Le premier impact direct est le risque de piégeage, d’étranglement ou d’obstruction des voies respiratoires des animaux marins par les macroplastiques. On a tous en tête ces images de tortues se débattant avec des sacs plastiques ! Il y a aussi l’effet « radeau» pour une population opportuniste de bactéries dont certaines potentiellement pathogènes, de virus ou de champignons qui se servent des morceaux de plastiques comme autant d’esquifs pour réaliser des traversées au long cours. On a ainsi vu des espèces se déplacer via ce mode de « transport » du Japon jusqu’aux USA. Ces arrivées sont susceptibles de bouleverser l’équilibre des communautés au point de devenir parfois des espèces invasives. 

Jusque dans le cerveau des poissons 

Autre conséquence indirecte, l’ingestion de plastique modifie la sensation de satiété chez les animaux avec à la clé retards de croissance et diminution des défenses immunitaires. « Ingéré par les organismes vivants, le plastique relargue des substances chimiques comme les phtalates ou le bisphénol qui sont des perturbateurs endocriniens, indique Arnaud Huvet. Pour notre modèle d’étude, l’huître, nous avons pu constater expérimentalement des incidences sur la reproduction, qui plus est, transmises à la génération suivante. On a également pu mettre en évidence que le plastique « neuf » a des effets plus nocifs que le plastique usagé liés à la libération de molécules chimiques. Enfin des études réalisées en laboratoire attestent la présence de nanoplastiques dans le système circulatoire de coquillages ou de cerveau de poissons, ce qui induit des modifications de leur comportement important pour se nourrir mais aussi dans leur stratégie de fuite aux prédateurs ». 

Fabrice Amedeo (Nexans Wewise)
© Jean-Marie Liot / Reporter du Large

Course à la voile et butin de données  

Conscients de cette pollution largement invisible, certains skippers du Vendée Globe prêtent main forte aux scientifiques pour dresser le triste inventaire de la contamination plastique en mer profitant de leur passage dans des zones peu fréquentées. « Depuis le Vendée Globe 2020, nous avons noué un partenariat avec le navigateur Fabrice Amédéo qui a installé un instrument océanographique multi-capteur à bord de son voilier IMOCA, en capacité notamment d’effectuer des prélèvements de microplastiques de différentes tailles (300, 100 et 30 microns) toutes les 24 heures.» explique Enora Prado, chercheur en chimie analytique au laboratoire Détection, capteurs et mesures de l’Ifremer. « Ce type d’association avec les skippers de la course au large est très intéressant sur le plan scientifique car, dans le cas du Vendée Globe, les marins effectuent un tour du monde complet des océans, là où les campagnes océanographiques ont un champ d’exploration bien plus limité, pour des raisons de coût. Contrairement à d’autres catégories de navires, il n’y a pas de risques de contamination par relargage d’eaux sales avec les voiliers, ce qui nous assure des prélèvements de qualité. De plus, chaque édition offre la possibilité de réaliser un suivi régulier tous les quatre ans. Enfin, les concurrents prennent des routes peu empruntées permettant de collecter des données dans des zones moins étudiées comme l’océan Indien par exemple. Autre bénéfice de cette collaboration, nous avons beaucoup amélioré et automatisé notre méthodologie. Nous sommes trois scientifiques impliquées dans le laboratoire et nous analysons désormais 30 particules par heure alors que ce chiffre n’était que de 80 mesures par jour en 2020. Cela a pris du temps pour standardiser notre process mais nous avons gagné en efficacité ! ». 

Dans le sillage de la course au large, s’inscrivent donc des retombées autres que sportives avec une accélération des connaissances scientifiques en parallèle des milles parcourus. 


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