« Dans l’instant, je suis dans un beau grain, mais avec du vent cette fois. Dieu sait que ça ne va pas durer alors j’en profite ! Notre mission du moment reste la même que ces derniers jours : il s’agit de gagner vers le sud en essayant de trouver les bons couloirs et ce n’est toujours pas simple. Théoriser les choses et essayer de faire corréler ce que l’on voit sur les cartes avec ce qui se passe sur le terrain ne permet pas de sortir grand-chose de cohérent. Il faut continuer de fonctionner en grande partie au feeling », a expliqué Benjamin Dutreux qui persévère, comme les autres, à slalomer au mieux entre les nuages. « C’est un coup à l’un, un coup à l’autre. Cet effet élastique, c’est rigolo dans les moments où on revient sur ceux de devant mais un peu moins quand ce sont ceux de derrière qui recollent ou ceux de devant qui repartent, mais les conditions sont sympas et il y a un peu de jeu alors on ne va certainement pas se plaindre ! », a relaté le skipper de GUYOT environnement qui semble chercher toujours plus à l’ouest, un peu comme le professeur Tournesol guidé par son pendule dans « Le trésor de Rackman le rouge ».
Vers un petit coup d’accélérateur
« Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions », écrivait André Gide. Louis Burton (Bureau Vallée) et Szabolcs Weöres (New Europe) l’ont encore prouvé ces dernières heures. Le premier en réalisant le tour de force de colmater les importantes fissures apparues sur le pont de son bateau au niveau de l’écarteur de gennaker et le second en accomplissant d’importants travaux de couture sur sa grand-voile à l’abri de Gran Canaria qu’il a quitté hier soir aux environs de 18h30 (heure française). L’un et l’autre poursuivent désormais de nouveau leur route normalement (en tous les cas ils l’espèrent), l’un à l’ouest et l’autre à l’est, exactement comme le reste du peloton au sein duquel les vitesses restent très disparates mais devraient nettement augmenter ce mardi. Et pour cause, les alizés sont en place au sud de la latitude du Cap Vert. Reste que si les solitaires vont allonger un temps la foulée, ce ne sera que de manière éphémère puisque la traversée du fameux Pot-au-Noir est - à tout le moins en théorie - prévue à partir de demain pour les leaders.
De fait, le gros de la meute devrait faire son entrée dans la fameuse zone de convergence intertropicale quelque part entre le 25e et le 30e Ouest.
Des alizés… enfin
« On sait que plus on passe le Pot-au-Noir dans l’ouest, plus il est étroit et donc facile à traverser en principe. Il se trouve que la stratégie de ces derniers jours nous a amené faire faire énormément de gain de ce côté ce qui, d’une certaine manière, nous simplifie les choses aujourd’hui », a souligné Nicolas Lunven (Holcim – PRB) qui, comme ses adversaires, se fie actuellement peu à ses routages mais observe avec attention les images satellites et ce qui se passe dans le ciel. « On regarde beaucoup dehors pour éviter les nuages ou, au contraire, en profiter quand c’est possible. Globalement, on prend un peu notre mal en patience, même si c’est plutôt chouette d’être là », a ajouté le Vannetais pointé en 7e position sur une trajectoire intermédiaire entre Sam Goodchild et Thomas Ruyant (VULNERABLE). Si, pour l’heure, il évolue autour de dix nœuds de moyenne, le navigateur, va, comme l’ensemble des marins du groupe de tête, nettement accélérer la cadence ce mardi. A partir de la mi-journée, les uns et les autres devraient en effet composer avec des alizés soufflant entre 15 et 18 nœuds. « L’accélération va leur faire du bien mais elle ne sera toutefois que momentanée car très vite ils vont se retrouver dans le Pot-au-Noir », prévient cependant la Direction de course par la voix de Jacques Caraës qui les voit ralentir de nouveau dès demain.
Pas aux vieux singes qu’on apprend à faire la grimace
Quid de Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-lux) ? « Sa position est très intéressante. Il l’a dit lui-même : qui ne tente rien, n’a rien, et il a bien raison. Il a pu traverser la zone de pétole plus facilement que nous en choisissant de passer à l’est de l’archipel du Cap Vert. A présent, tout le jeu pour lui est de gagner dans l’ouest à fond pour essayer d’aller chercher son point de passage dans le Pot-au-Noir. Ça se fait au portant VGM, avec des empannages, ce qui n’est pas ce qu’il y a de plus rapide mais Jean et très malin. Ce n’est clairement pas aux vieux singes que l’on apprend à faire la grimace ! », a concédé Nicolas Lunven. De fait, le Finistérien n’a assurément pas dit son dernier mot, surtout avec son bateau à dérives, idéal à ces allures. Dans l’immédiat, il est toujours installé à la première place au pointage, et a parcouru le double de la distance avalée par les leaders du groupe de l’ouest ces dernières 24 heures. Les faits montrent qu’il optimise parfaitement sa trajectoire et il devrait, en ce sens, raser le coin de la zone de protection de la biodiversité du Cap Vert avant de chercher à se positionner le plus à l’ouest possible, tout en restant à l’affût pour couper le fromage si l’occasion se présente. « Son pari est assez osé mais s’il arrive à passer correctement, il bénéficiera alors d’un latéral intéressant », annonce Jacques Caraës. Un avis partagé par Benjamin Dutreux : « Jean nous fait du beau Jean. Il y a quatre ans, il avait fait un coup comme ça dans l’anticyclone de Sainte-Hélène. Je m’étais dit qu’il était complètement malade or en fait ça avait marché. Il a régulièrement des petits coups de génie ». Celui-ci en sera-t-il un ? Les paris restent plus que jamais ouverts !