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Isabelle Joschke : « prendre du plaisir et m’écouter m’aide à être plus performante »

PAROLES DE SKIPPER (21/40) : Elle n’est pas du genre à faire semblant. Alors elle le dit ouvertement : son Vendée Globe 2020 avait été dur, et du plaisir sur sa longue route interrompue par des problèmes de quille, elle n’en avait trouvé que très peu. Quatre ans et une grosse remise en question plus tard, la navigatrice franco-allemande repart avec l’envie de vivre pleinement son tour du monde, en ayant fait la paix avec elle-même.

LORIENT, FRANCE - 9 AVRIL 2024 : Isabelle Joschke (GER-FRA), skipper de la MACSF, est photographiée le 9 avril 2024 à Lorient, France - Photo par Ronan Gladu
LORIENT, FRANCE - 9 AVRIL 2024 : Isabelle Joschke (GER-FRA), skipper de la MACSF, est photographiée le 9 avril 2024 à Lorient, France - Photo par Ronan Gladu
© Ronan Gladu

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Rarement un IMOCA ne semble aussi grand que lorsque Isabelle Joschke en est à la barre ! Forcément, avec son mètre 59 et sa cinquantaine de kilos, l’exploit de mener une telle monture à travers les océans déchaînés inspire d’autant plus le respect… En 2020, la navigatrice, qui avait déjà brillé en Mini, en Figaro et en Class40, avait impressionné dans le grand Sud, imposant un rythme soutenu qui lui avait valu de tutoyer le top 10. Mais si elle paraissait déjouer avec talent les éléments, c’est une toute autre tempête intérieure qui faisait pourtant rage en elle, et lui menait la vie dure ! Aux prises avec de nombreuses avaries, avec en toile de fond la menace du sistership coulé de Kévin Escoffier, Isabelle Joschke n’arrivait pas à trouver le plaisir qui d’ordinaire accompagne ses navigations en solitaire. Las, le couperet finissait par tomber, des problèmes de quille l’obligeant à faire escale au Brésil. Si la navigatrice avait tenu à rentrer aux Sables d’Olonne par la mer malgré son abandon, la frustration restait dure à digérer. Il lui aura fallu quatre ans pour faire la paix avec ce premier Vendée Globe, et surtout retrouver le sens de son aventure. A 47 ans, elle repart au combat, toujours aussi pugnace et déterminée, mais cette fois libérée de la pression de devoir (se) prouver qu’elle sait faire, et même très bien faire.  

Vendée Globe :

 Comment te sens-tu à quelques semaines du départ de ton deuxième Vendée Globe ? 

Isabelle Joschke
Isabelle Joschke
MACSF

Je suis beaucoup plus sereine qu’il y a quatre ans ! Je me sens mieux préparée, mon bateau aussi, mon équipe est plus expérimentée. Je suis montée en pression plus tôt dans la saison, quand la job list paraissait encore interminable, et là je me surprends à savourer les dernières semaines. Je crois qu’il faut se faire confiance, ça va bien et c’est chouette, même si je sais que la pression montera forcément une fois que je serai aux Sables d’Olonne. 

Vendée Globe :

Pourquoi as-tu décidé de partir à nouveau sur cette épreuve ?  

A aucun moment, je me suis dit “il en faut un deuxième”. Il se trouve que mon sponsor m’a proposée de repartir rapidement après mon premier Vendée Globe que j’avais bouclé hors course après mes problèmes de quille et mon escale forcée à Salvador de Bahia. Il fallait dire oui ou non. L’édition 2020 avait été dure à vivre pour moi, j’avais eu beaucoup d’avaries, l’impression d’avoir tout le temps quelque chose qui me tombait dessus, beaucoup de stress. Honnêtement, les moments de plaisir avaient été rares et je ne m’étais pas éclatée. Je ne savais pas si je voulais y retourner, mais je savais qu’en disant “oui” la donne serait différente car l’équipe était déjà constituée, que nous pouvions capitaliser sur l’expérience acquise. Alors je me suis lancée. 

Vendée Globe :

Et tu n’as pas regretté depuis ?  

Honnêtement, si. Toute l’année après le Vendée Globe, j’ai été épuisée. Et en 2022, la Vendée Arctique a de nouveau été une course très difficile pour moi. Je me suis surprise à nouveau à trouver que c’était un métier dur à vivre. Naviguer peut être difficile, mais sur un IMOCA à foils on ne réalise pas à quel point c’est violent. J’ai traversé une grosse remise en question, je me suis autorisée à dire “et si je n’y allais pas”. Et puis il y avait beaucoup d’injonctions qui commençaient à me fatiguer. On doit faire bonne figure, serrer les dents mais être authentique, je crois que je m’étais un peu perdue au milieu de tout ça, et j’en avais oublié ma raison d’être.  

Vendée Globe :

D’où est venu le déclic ?  

De moi ! Je me suis dit : je le fais pour moi, pour aller au bout de mon chemin, de mon engagement, et pas débarquer en cours de route. Et surtout je me suis autorisée à dire ce que je pensais. Que c’était dur quand c’était dur, que je ne me mettais plus de pression vis-à-vis de certaines exigences quand je ne les trouvais pas justifiées. Je veux être moins dans la contrainte, et décider d’être moi-même.  

Vendée Globe :

Et cela t’a réussi, notamment en solitaire où tu signes deux très belles neuvième place sur la Route du Rhum et sur Le Retour à La Base ! 

Oui, je me suis autorisée à partir d’une page blanche. A me dire “On verra ce qu’il se passe, pas de pression”. Et au final, j’ai eu de supers résultats, c’était encore plus sympa à vivre, alors que justement je m’écoutais davantage. Sur Le Retour à La Base par exemple, j’ai énormément lu sur les premiers jours de course. Parce que j’aime ça, et ça me faisait du bien. Par moments, je me disais que c’était un peu n’importe quoi de faire ça en compétition, mais en fait prendre du plaisir et m’écouter m’aide à être plus performante. 

Vendée Globe :

Et aujourd’hui, c’est dans cet état d’esprit que tu abordes le Vendée Globe ? 

Oui, je veux vraiment garder cette approche. Ces deux dernières années m’ont permis de cheminer intérieurement sur mon parcours nautique, repositionner pourquoi je suis là, pourquoi je continue, retrouver le sens de tout ça. Ce sont des projets tellement engageants qu’on l’oublie parfois. Aujourd’hui je suis super contente de repartir, alors qu’en 2021 j’ai signé la main tremblante. Il m’aura fallu quatre ans pour digérer mon premier Vendée Globe. 

Vendée Globe :

Quels objectifs te fixes-tu ?  

Il y a quatre ans, j’avais été performante sportivement, surtout dans les mers du Sud, et ça m’avait rendu fière de moi. Cette fois, j’ai envie de la même chose mais sans la douleur que ça m’a causée, avec la bonne distance, le lâcher prise, l’acceptation qu’on peut échouer. Je n’acceptais tellement pas l’échec que j’étais verrouillée par lui ! Je me suis défait de tous mes fantasmes. Je sais qu’à nouveau tout peut s’arrêter, c’est comme ça. Mais je sais aussi que j’aimerais vraiment accrocher le top 10, que j’en suis capable. Je sais surtout quand je suis à ma place, et c’est ça qui compte. 

Vendée Globe :

En 2020, des problèmes de quille t’avaient obligé à faire escale et donc à abandonner. Pourtant, tu avais quand même fait le choix de rentrer en bateau jusqu’aux Sables d’Olonne hors course, pourquoi ? 

Quand j’ai dû abandonner, j’étais dans une grosse tempête et j’étais surtout accaparée par ma sécurité. La colère est arrivée ensuite, j’étais très frustrée de devoir abandonner pour une casse qui aurait pu être évitée. A ce moment-là, je pensais qu’à une chose : laisser mon bateau au port et rentrer au plus vite pour passer à autre chose. Mais avec mon problème de quille, j’ai dû naviguer lentement, et ça m’a permis de réfléchir, et de comprendre que c’était impossible pour moi. Ce n’était pas l’histoire que je voulais écrire, mais c’était encore plus idiot de ne même pas la finir. Ça n’a pas été facile, mais c’était le choix du moins pire. 

Vendée Globe :

Est-ce qu’il y a des choses que tu as fait différemment dans ta préparation ? 

Il y a plein de choses que j’ai merdé il y a quatre ans ! Cette fois, j’ai assuré sur le côté pouf, matelas, et couvertures, parce que j’ai eu tellement froid la dernière fois ! J’avais pris une couverture pas respirante, donc toujours humide, c’était l’horreur et pourtant c’était évitable. Cette fois, j’ai assuré le minimum vital pour ne pas perdre trop d’énergie ! Par contre paradoxalement, j’étais super prête physiquement il y a quatre ans, j’étais beaucoup plus musclée. Là je fais de la préparation physique tous les jours, mais je mise davantage sur la vitalité et la ressource d’énergie au départ que sur la force physique pure. Et surtout je crois que j’ai développé ma résistance au stress, que je n’avais pas il y a quatre ans ! 

Vendée Globe :

C’est quoi ton plus beau souvenir du dernier Vendée Globe ?  

Le lendemain du passage du Cap Horn, on venait d’en terminer avec une tempête monumentale. Et d’un coup, il y avait du soleil, une mer plate, des baleines. J’ai eu l’impression de revivre, c’était un instant de grâce pile au moment où je n’y croyais plus. J'espère en vivre à nouveau des instants de cette intensité. 

Rencontre avec Isabelle Joschke, MACSF | Vendée Globe 2024

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