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Entre luttes et réconforts

Tous les skipper du Vendée Globe avancent à leur rythme. Pour la plupart, les mers du Sud sont encore leur décor quotidien : hostiles, puissantes, imprévisibles. Pour une poignée d’autres, l’Atlantique offre un retour progressif vers des conditions plus clémentes. Mais partout, les petits bonheurs font leur chemin. Pour les uns, ces joies prennent souvent la forme de simples victoires sur les éléments : un moment placide après des heures de lutte contre des vagues déchaînées, un rayon de soleil qui réchauffe le visage malgré le froid cinglant, ou un repas avalé sans être interrompu par une alarme ou un empannage d’urgence. Ici, chaque instant de répit est un cadeau, une pause volée à un environnement sans pitié. Pour les autres, ces bonheurs simples prennent une autre saveur. La mer devient plus docile, le vent plus doux. Dans ce calme relatif, certains en profitent pour se laver pour la première fois depuis des jours, voire des semaines, ou pour enfiler des vêtements secs, une sensation si rare qu’elle en devient presque euphorique. Ces petits plaisirs, dispersés dans l’immensité de l’océan, rappellent que l’aventure d’un tour du monde n’est pas seulement une lutte. C’est aussi une leçon sur la capacité à trouver du réconfort et de la joie dans les plus infimes détails, là où d’autres ne verraient que la difficulté.

COURSE, 28 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Charal lors de la course à la voile du Vendée Globe le 28 décembre 2024. (Photo du skipper Jérémie Beyou)
COURSE, 28 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Charal lors de la course à la voile du Vendée Globe le 28 décembre 2024. (Photo du skipper Jérémie Beyou)

Dans un Vendée Globe, les instants de répit, si précieux soient-ils, restent rares et fragiles. Pour les skippers encore plongés dans les latitudes infernales, chaque moment de calme est vite balayé par la réalité des mers du Sud. Une déferlante inattendue, des matériels qui cèdent sous la pression, ou un albatros curieux qui vient rappeler à quel point ces eaux appartiennent à un autre monde. Mais les marins, tenaces et résilients, savent s’adapter. Ils savourent ces petits moments comme des parenthèses précieuses. « J’étais content de retrouver un peu de molle hier et il se trouve que mon alarme de réveil ne s’est pas enclenchée. Du coup, j’ai dormi exactement trois heures d’affilée : un truc de ouf ! Ça m’a fait le plus grand bien. Je suis assez content d’avoir récupéré un peu d’énergie parce que la dépression qui s’est transformée en tempête entre la Tasmanie et la Nouvelle-Zélande m’a quand même drôlement malmené », a commenté Antoine Cornic (Human Immobilier), qui a affronté des rafales flirtant avec les 80 nœuds sur une mer énorme, presque caricaturale, du genre à faire passer un film catastrophe pour une balade tranquille en barque. « J’ai déjà connu deux ou trois tempêtes dans ma vie de marin, mais là, c’était vraiment du très, très lourd. On se demande franchement comment on gère si quelque chose casse à ce moment-là ! Quand on atteint ce niveau de violence, on ne contrôle plus rien, on subit. Heureusement, nos bateaux sont incroyablement robustes dans ces conditions, même si, franchement, ce ne sont pas des moments qu’on qualifierait de plaisants », a ajouté le Rétais que, dans un tel moment, même croiser une sirène en pleine chorégraphie aurait à peine fait lever un sourcil. 

Quand prendre soin de soi devient stratégique

Il le sait, la lutte ne va pas tarder à reprendre de plus belle mais lorsqu’une accalmie se présente, même brève, elle prend parfois la forme d’un petit miracle : un simple instant où l’on peut relâcher les épaules, observer la mer sans avoir à la combattre, avaler un repas chaud sans crainte de le voir se renverser ou même enfiler une paire de chaussettes propres. Et surtout, pour s’accorder enfin un moment essentiel : bichonner sa monture et prendre soin de soi. 


Hier, j’ai enfin réussi à me changer pour la première fois depuis mon arrivée dans le Grand Sud. Les lingettes ont fait leur boulot, ça fait du bien ! En revanche, j’ai un souci avec les chaussettes étanches : mes pieds ne respirent pas assez. Je dois vraiment me forcer à les enlever quand je suis à l’intérieur, sinon je risque de finir avec des pieds en compote.

Antoine Cornic
HUMAN IMMOBILIER

Ce genre de moment, aussi trivial qu’il puisse paraître, est crucial pour tenir le coup face à l’intensité de la course. En mer, où tout est une question de compromis entre survie et performance, chaque geste visant à améliorer le confort ou préserver la santé devient stratégique. Pour le skipper de Human Immobilier, il s’agit autant de prolonger la vie de son bateau que celle de ses petons !

Petits gestes, grandes victoires

Mais tous les skippers ne vivent pas ces moments de la même manière. Ceux qui remontent l’Atlantique redécouvrent une autre facette de leur aventure : celle où le corps, malmené par des semaines de course, commence à retrouver un semblant de confort. Une mer plus clémente permet enfin de penser à autre chose qu’à la survie immédiate. Ils retrouvent des gestes ou des plaisirs simples mais oubliés. 

 


Ça fait du bien de retrouver un rythme de navigation un peu moins engagé. Un rythme un peu classique, plus similaire à celui d’une transat où on a l’impression de prendre un peu soin du bateau. C’est ce qui manque un peu dans les mers du Sud : pouvoir être à jour dans la job-list et ne pas laisser des choses traîner.

Justine Mettraux
Teamwork-Team Snef

Ces conditions plus douces permettent (enfin) de se concentrer sur d’autres aspects de la vie à bord : ranger, réparer, faire attention à soi. Une toilette sommaire ou un changement de vêtements n’ont jamais eu autant de valeur. Ce sont ces gestes, si anodins à terre, qui redonnent aux solitaires un sentiment d’humanité, presque de normalité, dans un environnement qui, jusqu’alors, semblait tout sauf accueillant. « La première douche avec l’eau chaude quand ce sera un peu plus tropical va faire plaisir ! », a assuré la Suissesse dont le dernier shampoing remonte à presque un mois.

Quand le froid sublime les petits instants

« Dans les mers du Sud, je me suis quand même changée régulièrement car si c’est glacial et qu’on n’a pas envie de se déshabiller, on transpire quand même toujours beaucoup dans les manœuvres. C’est vrai aussi que passé un certain stade et vu qu’il fait froid, on ne se sent pas si sale, mais j’avoue que oui, j’ai hâte que ça se réchauffe un petit peu pour pouvoir me laver autrement qu’avec des lingettes. Aujourd’hui, il y avait du soleil et c’était déjà super agréable », a-t-elle ajouté. Ces petits bonheurs ne sont pas spectaculaires, mais ils s’additionnent pour créer un équilibre subtil. Ils permettent de compenser la fatigue accumulée, de supporter les blessures parfois invisibles du quotidien en mer, et surtout de maintenir cette étincelle de détermination qui pousse chaque skipper à continuer, jour après jour. Car si l’aventure est faite de grandes vagues et de défis monumentaux, elle se construit aussi sur ces instants fugaces comme un moment de calme, une trouée de ciel bleu, une nuit où le sommeil est un peu moins fragmenté. Ainsi, qu’ils soient encore dans les griffes des mers du Sud ou qu’ils commencent à retrouver des conditions plus clémentes, tous partagent cette vérité fondamentale : ce sont ces petits plaisirs simples, dénichés dans les creux du chaos, qui transforment une course impitoyable en une aventure profondément humaine… même si elle reste parfois un peu collante.


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