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Guerre et plaies

Pour Tolstoï, il fallait pour écrire que chaque fois que la plume était trempée dans l'encre, « un morceau de ta chair reste dans l'encrier ». Après sept semaines de mer, c’est désormais aussi en y laissant beaucoup du leur que les marins du Vendée Globe continuent de progresser, alors que les meurtrissures sont légion et les mâchoires presque aussi serrées que les écarts qui souvent les séparent.

COURSE, 29 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau MACIF Santé Prévoyance lors de la course à la voile du Vendée Globe le 29 décembre 2024. (Photo du skipper Charlie Dalin)
COURSE, 29 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau MACIF Santé Prévoyance lors de la course à la voile du Vendée Globe le 29 décembre 2024. (Photo du skipper Charlie Dalin)

Longtemps, on a trouvé la flotte relativement épargnée. On vous arrête tout de suite, nous ne sommes pas des cyniques, et si notre humble rôle est de faire chronique de leurs tribulations quotidiennes, soyez assurés que nous sommes les premiers à prier pour avoir le moins de choses à raconter ! Cela nous allait donc à ravir de constater que malgré leur cadence effrénée et leurs vitesses à faire siffler les bergers d’Aas, tous les marins semblaient relativement épargnés par les tracas, avec un taux d’abandon exceptionnellement faible.

Mais force est de constater que, même parfaitement fiabilisés, les bateaux commencent à sérieusement en baver. Après 50 jours de mer, petites et grandes avaries se multiplient, à tel point qu’il est difficile d’en tenir le décompte précis. Voiles, hooks, barre, énergie… voilà le nouvel inventaire à la Prévert que nous récitent les marins épuisés ! Souvent à quelques milles seulement d’écart, tous s’observent désormais en essayant de deviner quels bobos accablent les uns et les autres, tout en essayant de panser, ou au moins d’atténuer, les leurs.

« ça fait franchement suer »

Le dernier en date pour Isabelle Joschke (MACSF, 19e) est désormais impossible à masquer. Avec la casse de son foil tribord, son IMOCA n’a plus qu’une aile, et ses espoirs de poursuivre sa course sans trop de tracas se sont malheureusement envolés. Au petit matin, la navigatrice franco-allemande, également aux prises ces derniers jours avec des problèmes moteur, des soucis de capteur de quille et une avarie sur son chariot de grand-voile et sur sa grand-voile, nous racontait :
 


Ca va être une course qui va se continuer pas à pas, une course différente, il faut faire avec, ça fait franchement suer, mais j’ai pas le choix, j’espère que tous les autres pépins vont pas m’handicaper davantage, et que la météo sera clémente après le Horn. Il y a beaucoup de si en fait ! Mais le Vendée Globe c’est ça…

Isabelle Joschke
MACSF

C’est « ça » et c’est comme « ça », mais « ça » n’empêche que « ça » fait mal… au corps pour commencer. « Ça a été très éprouvant de bricoler alors que le bateau continuait d’aller vite », explique ainsi Isabelle Joschke, parce que « ça engendre des tassements de vertèbres, ça tape et on n’est pas dans une bonne position, ça crée des grosses crispations dans le corps ! J’ai beaucoup de tensions dans le haut du dos, j’avais déjà une côte en vrac, ça a fait que s’amplifier, donc je me sens bien crevée… » Et quand on connaît leur capacité à endurer, s’ils nous disent qu’ils sont crevés nos marins, on a tendance à s’inquiéter ! 

Mais c’est surtout au cœur que la skipper de MACSF a quelques douleurs, elle qui a dû laisser s’échapper Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-lux, 17e) mais bataille toujours avec Giancarlo Pedote (Prysmian, 18e) et Alan Roura (Hublot, 20e). Désormais elle le sait, elle ne joue plus à armes égales : 


Je me sens déçue parce que ma course va plus du tout être la même ! Le foil, ce n’est pas juste une option pour aller plus vite, il fait partie de la stabilité, tout l’équilibre de mon bateau a été calculé avec ça, donc prendre une tempête sans foil, c’est ultra chaud. Donc pour la suite, ça va être tendu, je sais qu’en bâbord amure, le repos ça va être niet, il faudra naviguer en étant sous-toilée, mais même comme ça, ça va être chaud patate ! Je vais naviguer bien sûr en bon marin, mais ça ne va pas être simple !

Isabelle Joschke
MACSF

COURSE, 29 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Singchain Team Haikou lors de la course à la voile du Vendée Globe le 29 décembre 2024. (Photo du skipper Jingkun Xu) mi-parcours
COURSE, 29 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Singchain Team Haikou lors de la course à la voile du Vendée Globe le 29 décembre 2024. (Photo du skipper Jingkun Xu) mi-parcours

Panache et nostalgie

Rien n’est simple de toutes façons après autant de temps en mer, même si les deux leaders en donnent parfois l’impression, à regarder la trace qu’ils laissent dans la poudreuse derrière eux. Seulement une dizaine de milles d’écart encore ce matin entre Yoann Richomme (PAPREC-ARKÉA) et Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance, 2e), et une seule question dans toutes les têtes : combien d’années d’espérance de vie en tachycardie vont-ils nous faire perdre s’ils maintiennent ce suspense jusqu’aux Barges des Sables d’Olonne, qui n’aura du coup jamais aussi bien porté son nom ? 

Au niveau des Malouines, c’est une autre bataille qui fait rage, et laisse les observateurs tout autant en haleine. Six bateaux en moins de 50 milles, et pas franchement les couteaux les moins aiguisés du tiroir, si vous voyez ce qu’on veut dire… L’affrontement se fait certes au près et pour l’heure dans des petits airs, mais les coups sont d’autant plus impressionnants quand ils comportent autant de risques ! C’est d’ailleurs ce que nous racontait Sam Goodchild (VULNERABLE, 9e), dans la nuit, quelques heures après sa jolie option en solitaire à l’intérieur du détroit de Lemaire : 


Je voulais suivre cette route, mais je n’étais pas sûr que ça le fasse parce que le vent était très léger sur les fichiers, et ça donne toujours une part d’aléatoire sur ce que ça va être dans la réalité… Mais au final le vent est rentré et m’a permis de faire ce petit coup sans avoir à faire trop de manœuvres. Je n’ai pas gagné de place dans l’histoire, mais j’ai gagné des milles sur Paul et Boris ! La seule déception c’est que c’était en pleine nuit, donc je n’ai rien vu du tout, juste quelques silhouettes de terre…

Sam Goodchild
VULNERABLE

Du panache, après sept semaines de mer, voilà toujours de quoi nous impressionner, alors que de notre côté on se prend souvent à rêver de se mettre en pilote automatique ou en ChatGPT…  Mais nulle intelligence artificielle ne pourra remplacer le talent de nos marins, qui se mènent aussi une belle guerre des nerfs ! 

Le marin britannique, « nostalgique de quitter le Grand Sud en se demandant si et quand on pourra revenir un jour », est quand même ainsi bien soulagé d’avoir pu profiter du petit temps pour lever « le gros stress sur l’état du bateau » en menant une bonne inspection. Mais le constat d’usure, à l’image d’un Yannick Bestaven (Maître CoQ V, 11e) qui a franchi cette nuit le Cap Horn malgré tous ses tracas, reste quand même bien présent : 


On a encore 7000 milles devant nous, le bateau commence à fatiguer et nous aussi, donc il faut rester alerte et vigilant ! Et j’ai l’impression que tout le monde panse un peu ses plaies, et essaie de se soigner physiquement et mentalement… Cette année l’Atlantique Sud a l’air de vouloir nous laisser des souvenirs, j’espère que ce seront des bons… Ca bouge vraiment vite entre les fichiers les différents modèles, il n’y a rien d’établi, on va se retrouver avec 30-40 nœuds au près dans les prochains jours, il va falloir minimiser les risques stratégiques…

Sam Goodchild
VULNERABLE

« Mon bateau est juste extraordinaire »

Dans le Pacifique, l’autre groupe compact qui évolue vers le point Nemo, mené par Benjamin Ferré (Monnoyeur – Duo For a Job, 21e) est sous la même pression. Avec neuf bateaux en moins de 300 milles, c’est peu dire qu’il n’y a guère de répit et qu’on se trouve clairement là dans une zone de « voisins vigilants ». Revenu ainsi au contact des bateaux de devant, Eric Bellion (Stand as One – Altavia, 27e) n’a plus l’intention de lâcher ses petits camarades : 


J’avais été largué par le groupe à cause de mes problèmes de safrans, mais depuis que j’ai réparé j’envoie, j’essaie de rattraper, j’ai grappillé au fur et à mesure. C’était pas facile parce que devant il y a des bons numéros, il y a des figaristes, un gars qui a fait la Volvo, plusieurs Vendée pour Cali, c’est pas n’importe quoi ! La météo n’était jamais pour moi, ça partait par devant, mais là, j’ai eu un bon coup de pouce de l’océan Pacifique ! On a vu réapparaître Guirec et Kojiro, et maintenant on profite de ce vent-là pour recoller avec Violette, Seb, Louis. Et ça fait plaisir parce que ça fait depuis le cap de Bonne Espérance que je les ai dans mon viseur !

Éric Bellion
STAND AS ONE - ALTAVIA

Vu le nombre de bateaux dans le radar, il va effectivement falloir songer à augmenter la lorgnette ! D’autant qu’Eric Bellion peut se targuer, lui, d’avoir un bateau en pleine santé, ce qui n’est pas le cas de tous ses copains de cordée : 


Mon bateau est juste extraordinaire, j’ai pas beaucoup de mérite, il avance tout seul, je suis hyper heureux à bord, il est simple, il va vite, il n'est pas exigeant, pas besoin de changer de voile souvent, et techniquement je touche du bois j’ai pas de problèmes ! Alors c’est sûr que j’ai navigué avec beaucoup de prudence, parce que je pense que prudence et audace il n’y a rien de plus fort, et écoute on est pour l’instant récompensés, j’espère que ça va durer ! J’ai un bateau qui se présente au cap Horn comme au départ des Sables d’Olonne !

Éric Bellion
STAND AS ONE - ALTAVIA

Voilà la course en tous cas bien relancée, et nous toujours autant impressionnés par ces inusables guerriers...

COURSE, 29 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Fortinet - Best Western lors de la course à la voile du Vendée Globe le 29 décembre 2024. (Photo du skipper Romain Attanasio)
COURSE, 29 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Fortinet - Best Western lors de la course à la voile du Vendée Globe le 29 décembre 2024. (Photo du skipper Romain Attanasio)

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