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La Horde du contrevent

En ce dernier jour de 2024, notre groupe d’élite continue de progresser dans ce monde déchiré par les vents, le rebroussant parfois pour mieux remonter vers leur point d’origine. « Nous sommes faits de l'étoffe dont sont tissés les vents », écrivait Alain Damasio dans son chef d’œuvre de science-fiction, qui n’est pas sans rappeler le quotidien de nos 35 solitaires encore en course, qui luttent autant qu’ils se soutiennent mutuellement.

LE 31 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau GUYOT Environnement - Water Family lors de la course à la voile du Vendée Globe le 31 décembre 2024. (Photo du skipper Benjamin Dutreux)
LE 31 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau GUYOT Environnement - Water Family lors de la course à la voile du Vendée Globe le 31 décembre 2024. (Photo du skipper Benjamin Dutreux)

Si vous êtes novice en matière de science-fiction mais que vous aimez suivre le Vendée Globe, on ne peut que vous conseiller de vous aventurer dans l’univers d’Alain Damasio, tant on a souvent l’impression de retrouver dans nos marins un peu des personnages de ses livres. Quelle meilleure définition en effet de cet incroyable tour du monde sans escale et sans assistance que cette phrase tirée de Le Horde du Contrevent : « La folie n'est plus folle, dès qu'elle est collective. Je crois que j’aurais pu faire n’importe quoi, le plus absurde, tant que nous le ferions ensemble ; ensemble, je sentais la puissance de chacun, physique et mentale, j’avais confiance en nous, et j’éprouvais cette profondeur du lien qui nous cousait à même la vague. »

Cousus à même la vague, c’est littéralement toujours la désagréable sensation qu’expérimentent toujours les deux leaders de la flotte, qui continuent d’évoluer dans les petits airs instables au large du Cabo Frio brésilien. Mais changement de taille, c’est Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) qui a repris en fin de journée la tête de flotte à Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA, 2e), visiblement moins bien loti au tirage de la loterie. Si le Havrais pointe au petit matin avec une vingtaine de milles d’avance sur son dauphin, nul doute qu’il garde la tête bien plus froide que l’océan qui se réchauffe à vue de foil, tant les écarts dans cette contrée se font et se défont en un claquement de voile. « Le hasard est un allié aussi fugitif que mortel. Il te tue avec la même facilité qu'il te sauve », écrivait fort à propos Alain Damasio, qui aurait pu être inspiré par ce mano a mano sans decrescendo. Etait-ce bien Talweg, le géomaître de la Horde, qui disait : « Ce sera insoutenable très vite mais faites face, toujours ! » ?

« On ne fait pas la même course »

Bien conscient de cette réalité, Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 3e), qui n’a cessé de reprendre du terrain sur ses deux prédécesseurs, gardait lui aussi les pieds sur le pont… Dans la nuit, il nous racontait : 


Honnêtement, je ne regarde pas trop ce qui va se passer par la suite en termes de position par rapport aux leaders, parce qu’on ne fait pas la même course. Je suis très content d’être revenu à 260 milles d’eux, mais je les vois bien repartir une petite journée avant moi. C’est un peu l’effet d’élastique qui se resserre et se desserre ensuite. Ce sera pareil pour Thomas ensuite, il va revenir au fur et à mesure, je pense qu’il va me grappiller 300-400 milles et l’élastique va s’étirer à nouveau quand je serai dans les alizés ! Tout ce que je souhaite c’est rester concentré sur ma trajectoire et ma vitesse pour mieux me tirer de là !

Sébastien Simon
Groupe Dubreuil

Effectivement, dans ce petit vent léger que certains appelleraient zéfirine ou slamino, il faut continuer à avancer, sans se déconcentrer. Mais en profitant tout de même de l’accalmie, après cinquante jours de furie. Alors le skipper vendéen s’amuse d’avoir pu regoûter au plaisir simple, mais ô combien précieux olfactivement…


J’ai pu prendre une douche après plus d’un mois, ça fait un bien fou, c’est incroyable la vitesse à laquelle les choses ont changé, en deux jours… Déjà la nuit dernière j’ai eu chaud alors que celle d’avant il faisait encore froid, tout a changé hyper vite, c’est impressionnant !

Sébastien Simon
Groupe Dubreuil

Voilà de quoi garder le moral avant la quinzaine de sprint final, puisqu’on le sait les marins du Vendée Globe sont aussi des « braconniers du ciel : nous prenons chaque saison davantage la couleur de ce qui nous traverse ».

COURSE, 30 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau TeamWork - Team Snef lors de la course à la voile du Vendée Globe, le 30 décembre 2024. (Photo du skipper Justine Mettraux)
COURSE, 30 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau TeamWork - Team Snef lors de la course à la voile du Vendée Globe, le 30 décembre 2024. (Photo du skipper Justine Mettraux)

Du bleu, voire même du turquoise ! Cela semble en effet bien plus coloré plus au Sud, même s'ils sont actuellement dans un puissant et douloureux contrevent - 25 noeuds au près tout de même... Si Paul Meilhat (Biotherm, 5e) a réussi à prendre la tête du petit groupe de fous furieux au-dessus des Malouines, la lutte est acharnée et, on l’imagine, aussi étouffante que galvanisante. « J’ai besoin de cette énergie fluante du groupe, de sentir les tensions et les fusions qui nous traversent, chacun et tous, dit l’un des membres de la Horde. J’ai besoin de me sentir noué dans la pelote de nos fils. » Cette fois, ils en sont même pour un bon sac de nœuds, avec seulement 23 milles d’écart entre Sam Goodchild (VULNERABLE, 6e) et Justine Mettraux (Teamwork – TEAM SNEF, 10e) ! 

Bien arrivé à Ushuaïa, le temps doit être à la peine pour Yannick Bestaven (Maître CoQ V), contraint à l’abandon après son passage du Cap Horn. Mais « savoir renoncer est parfois un plus haut signe de grandeur que de s'entêter dans l'absurde ». S’il parvient avec son équipe à réparer tous ses tracas, il l’a dit : il repartira ! Et c'est tout le mal qu'on lui souhaite, pour avoir le plaisir bien mérité, aux Sables d'Olonne, de lui faire sa fête...

USHUAIA , 30 DÉCEMBRE 2024 : Photo du bateau Maître CoQ V skipper Yannick Bestaven (FRA) arrivant à Ushuaia, Argentine, après avoir abandonné la course à la voile du Vendée Globe pour un problème technique le 30 décembre 2024. (Photo par Vendee Globe)
USHUAIA , 30 DÉCEMBRE 2024 : Photo du bateau Maître CoQ V skipper Yannick Bestaven (FRA) arrivant à Ushuaia, Argentine, après avoir abandonné la course à la voile du Vendée Globe pour un problème technique le 30 décembre 2024. (Photo par Vendee Globe)

Derrière, eux espèrent ne pas s’arrêter… Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 11e) et Benjamin Dutreux (Guyot Environnement – Water Family, 12e) sont en effet en approche de la pointe sud-américaine, véritable massif des Malachites, après une dépression qui les a bien secoués. Toujours flashés à plus de 20 nœuds de moyenne, ils ne doivent pas avoir le temps de trop réfléchir… « Ceux qui vous disent « pendant la vague j’ai pensé à ceci et à cela » mentent. Quand elle passe, tu ne penses plus. Tu oublies ce que tu voulais faire, rêvais d’être, croyais pouvoir. Le corps seul répond.(…) Juste tenir. » 

Mais juste devant eux se tient désormais une belle barrière bleu nuit, sans la moindre once de vent, qui fait les affaires de Samantha Davis (Initiatives-Cœur, 13e). La Britannique espère ainsi rattraper sa mini-horde pour retrouver un peu de quoi s’amuser… « La maturité de l'homme est d'avoir retrouvé le sérieux qu'on avait au jeu quand on était enfant » !

« Après 50 jours de course, je me sens bien »

S’il y en a bien qui s’amusent, même s’ils sont loin d’être en croisière, c’est ceux du peloton qui ont le point Nemo dans le radar ! De Benjamin Ferré (Monnoyeur – Duo For a Job, 20e) à Guirec Soudée (Freelance.com, 29e), on n’em finit plus de recevoir des cartes postales de leurs croisements ! C’est bien simple nous disait Sébastien Marsset (Foussier, 22e), « je n’ai pas beaucoup de temps pour moi, ça fait longtemps que je n’ai pas pu prendre mon livre ou faire une grille de mots fléchés » ! 

Une situation qui ravit Kojiro Shiraishi (DMG Mori Global One, 27e), qui nous partageait sa joie d’être en si bonne compagnie :
 


Après 50 jours de course, je me sens bien, je n’ai plus d’aphtes, donc ça c’est une bonne chose ! Je suis un peu fatigué mais je me sens bien, le bateau va bien aussi, donc pas de souci ! Ces derniers jours j’ai rattrapé un peu les bateaux devant moi, j’avais des conditions assez particulières et meilleures pour les foilers, je vais avoir moins de vent bientôt et je serai peut-être moins performant, mais j’espère continuer comme ça avec tous les bateaux autour de moi !

Kojiro Shiraishi
DMG MORI Global One

Si leurs logiciels leur permettent désormais d’envisager le Cap Horn d’ici huit jours, d’autres plus loin ont encore bien du chemin avant la pointe symbolique. Mais tous devraient bientôt atteindre le Pacifique, puisque Denis Van Weynbergh (D’Ieteren Group, 35e) avance maintenant sous la Tasmanie… Peu importe au final leur géographie actuelle, la suite, comme nous l'expliquait Sébastien Simon, reste de toutes façons par définition un peu obscure : 


J’ai tenté de faire des routages mais ça bouge encore beaucoup donc je croise le doigt pour avoir le plus de tribord possible, maintenant je prendrai ce qu’il y aura et c’est pour ça aussi que c’est important de conserver les écarts maintenant, pour éviter de me faire avoir par la suite !

Sébastien Simon
Groupe Dubreuil

« Qu'importe où nous allons, honnêtement. Je ne le cache pas. De moins en moins. Qu'importe ce qu'il y a au bout. Ce qui vaut, ce qui restera n'est pas le nombre de cols de haute altitude que nous passerons vivants. N'est pas l'emplacement où nous finirons par planter notre oriflamme, au milieu d'un champ de neige ou au sommet d'un dernier pic dont on ne pourra plus jamais redescendre. N'est plus de savoir combien de kilomètres en amont du drapeau de nos parents nous nous écroulerons ! Je m'en fiche ! Ce qui restera est une certaine qualité d'amitié, architecturée par l'estime. » La leur, entre eux, et la nôtre, assurément. Furvent, ceux qui vont mûrir te saluent !

COURSE, 30 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Fives Group - Lantana Environnement lors de la course à la voile du Vendée Globe le 30 décembre 2024. (Photo du skipper Louis Duc) Arnaud Boissières (FRA), skipper de La Mie Caline, en vue.
COURSE, 30 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Fives Group - Lantana Environnement lors de la course à la voile du Vendée Globe le 30 décembre 2024. (Photo du skipper Louis Duc) Arnaud Boissières (FRA), skipper de La Mie Caline, en vue.

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