Yannick Bestaven : « Pas à l’abri d’une surprise ! »
PAROLES DE SKIPPER (15/40) : Jusqu’ici, seul Michel Desjoyeaux est parvenu à remporter deux fois le Vendée Globe (sur l'édition 2000 puis 2008). Yannick Bestaven, le tenant du titre, réussira-t-il à réaliser le même exploit lors de cette 10e édition ? Avant même de chercher à définir la probabilité que cela se produise, il faut bien évidemment le tenter et c’est bien le pari que fait le Rochelais, même si son objectif reste en premier lieu de boucler la boucle. L’ingénieur de formation et coconcepteur de l’hydrogénérateur que l’on retrouve sur la quasi-totalité des bateaux de course, le sait mieux que personne pour avoir démâté dès les premiers jours de course lors de sa première participation en 2008, effectuer un tour du monde à la voile en solitaire reste un défi hors-normes. Un défi qui impose un engagement sans bornes, mais aussi et surtout un défi qui permet de se sentir vivant et de humer la magie des mers du Sud. Selon son propre aveu, ces dernières, synonymes d’immensité et d’impermanence, lui ont clairement laissé un goût de trop peu il y a quatre ans et c’est précisément, et avant toute chose, ce qu’il souhaite retrouver.
Vendée Globe :
Après une première participation à l’épreuve en 2008 puis une deuxième en 2020 avec le succès que l’on connait, qu’est-ce qui t’a motivé à revenir sur la course une troisième fois ?
Yannick Bestaven
Quand on est en mer, on se dit que c’est la dernière fois qu’on fait ça puis quand on arrive à terre, on oublie tout ce qui a été dur. On pense, au contraire, uniquement à ce qui a été bon et c’est la raison pour laquelle on a envie d’y retourner. C’est finalement la preuve que le cerveau est bien fait ! (Rires) Bien sûr, se réengager dans une nouvelle campagne, c’est un vrai investissement mais ce qui me motive, personnellement, c’est que j’aime être en mer, l’aventure et la compétition. Au final, je reviens pour revivre un peu la même chose et surtout pour naviguer à nouveau dans les mers du Sud. Le Vendée Globe reste notre Everest à nous, les marins. C’est un évènement énorme à vivre. Lors de la dernière édition, à cause de l’épidémie de Covid-19, ça avait été un peu frustrant car il n’y avait personne sur les pontons au moment du départ. Je me réjouis, cette fois, de revoir la foule aux Sables d’Olonne.
Vendée Globe :
Tu es le tenant du titre. Dans quel état d’esprit et avec quels objectifs pars-tu ?
Ce n’est pas forcément facile de revenir sur le Vendée Globe après l’avoir déjà remporté mais je me dis que si j’ai 1% de chance de la gagner de nouveau, c’est mieux de le tenter plutôt que de rester chez moi, dans le canapé, en train de manger des chocolats devant la télé ! On n’est pas à l’abri d’une surprise, hein ! (Rires) Bien sûr que si je le gagnais une seconde fois, je serais super bien servi mais pour moi, la première victoire sera de terminer, même en l’ayant déjà gagné. J’ai la chance de pouvoir le revivre une fois. J’espère faire une belle course et me faire plaisir. On comptera les points à la fin. Il y a tellement de bons bateaux, de bons skippers et de favoris sur ce Vendée Globe ! Au bout du compte, il n’y en a qu’un qui gagnera. Pour ma part, je ne me mets pas la pression avec le résultat car je n’ai pas envie d’être déçu.
Vendée Globe :
Contrairement à il y a quatre ans, où tu naviguais sur l’ex-Initiatives-Cœur, tu pars cette fois avec un bateau neuf, un plan Verdier, mis à l’eau en 2022...
Oui et d’ailleurs je me rends compte que trois ans c’était court pour construire et mettre au point un IMOCA. Aujourd’hui, la préparation du bateau est toutefois bien aboutie, en tous cas j’ai l’impression. Il va évidemment se passer plein de choses pendant la course. On aura forcément des problèmes techniques car c’est aussi ça le Vendée Globe. Ce qui change vraiment par rapport à la dernière fois, c’est que j’ai des grands foils pour faire de belles vitesses. J’ai cherché à faire un bateau confortable même si c’est un grand mot car, comme tous les autres, il est inconfortable, mais il est pensé de façon à moins exposer le skipper. A titre d’exemple, le cockpit est fermé et les sièges sont sur amortisseurs. On a fait des choses qui font que je serai un peu plus protégé que je l’avais été il y a quatre ans.
Vendée Globe :
Justement, dans quelle mesure t’es-tu appuyé sur ton expérience précédente ?
J’ai clairement beaucoup calqué sur ce que j’avais fait sur le tour du monde gagnant en termes de préparation et de mise au point du bateau pour cette nouvelle édition. L’équipe autour de moi est pratiquement inchangée. On avait de bonnes fondations et on a continué à travailler dans ce sens-là en se reposant sur mon expérience, sur ma façon de naviguer et sur notre manière de mener le projet. Je pense qu’on est encore mieux armé cette fois que sur l’édition précédente.
Vendée Globe :
Qu’est-ce qui fait, selon toi, ta force aujourd’hui ?
Ma façon, disons plutôt décontractée, d’aborder les choses, mais aussi mon expérience. J’en ai plus qu'auparavant. Ce sont mes deux points forts.
Vendée Globe :
Que redoutes-tu le plus lors cette édition ?
Nos bateaux sont de plus en plus complexes et ce que je redoute le plus, c’est la casse, l’imprévu, la collision… Ces choses-là, hélas, on ne peut pas les gérer. Elles sont liées au destin. C’est un système complexe qu’on ne maîtrise pas.
Vendée Globe :
Quelle est la première image qui te vient en tête à l’évocation du Vendée Globe ?
Je pense aux Vendée Globe de mes prédécesseurs, Christophe Auguin, Yves Parlier, Alain Gautier, Titouan Lamazou… tous ces mecs-là. Ils étaient véritablement des pionniers. Ils partaient dans des terres totalement inconnues. Ils m’ont clairement donné le goût de l’aventure.
Vendée Globe :
Et concernant les tiens ?
J’en ai plein mais se sont, pour l’essentiel, des images dans les mers du Sud, avec des albatros derrière le bateau, des couleurs magnifiques, de la grosse houle… Ce sont des images que j’ai envie de revoir. J’ai aussi, bien sûr, des images de mon passage du cap Horn mais également de mon arrivée aux Sables d’Olonne où j’ai reçu un accueil incroyable avec, en prime, un gigantesque feu d’artifice. Dans ce contexte, débarquer sur le ponton, à moitié ahuri, c’était tout simplement magique !
Vendée Globe :
Quel est, à date, ton meilleur moment passé sur ce bateau, Maître CoQ V ?
Lors des derniers entraînements, en septembre, on a fait des pointes à plus de 30 nœuds, sous grand gennak et sur mer plate, avec l’impression de naviguer sur du velours ! C’est le genre de moment qu’on a envie de vivre tous les jours !
Vendée Globe :
Ton rêve le plus fou pour ce Vendée Globe ?
Le regagner une deuxième fois !
Vendée Globe :
Le marin qui t’inspire le plus ?
Je dirais Michel Desjoyeaux et Loïck Peyron. Ce sont des mecs complets. Des mecs qui ont toujours répondu présents lors des grands rendez-vous.
Vendée Globe :
Ce que tu fais quand tu ne fais pas de bateau ?
Je fais plein de choses mais en ce moment je fais de l’avion. Je prends des cours de pilotage. Après le Vendée Globe, j’aimerais aller au bout de ce truc-là parce que c’est génial. Je découvre un nouveau milieu qui me rappelle beaucoup celui des Yacht Club. Je rencontre des passionnés d’aéronautique et j’apprécie le fait de voler. C’est un truc que ne maîtrisais pas jusqu’ici mais qui m’éclate.
Vendée Globe :
Une chose que tu emmènes toujours avec toi en mer ?
J’ai des grigris, en l’occurrence des petits bracelets. Certains sont en corail corse, d’autres en pierre œil du tigre. Ils ont tous leurs vertus. Ma mère me les a offerts avant mon dernier Vendée Globe et depuis je les garde toujours avec moi !