Thomas Ruyant : « Fier d’avoir terminé »
Thomas Ruyant a bouclé le Vendée Globe à la 7ᵉ place, au terme d’une course exigeante et semée d’embûches. Considéré comme l’un des favoris de cette édition, fort d’un palmarès prestigieux — vainqueur de la Transat Jacques Vabre et de la Route du Rhum —, le Dunkerquois espérait naturellement viser plus haut. Pourtant, dès les premiers jours, une voie d’eau a entravé sa progression, et la suite de son aventure a été marquée par des défis constants. La perte de son J2, voile essentielle pour remonter l’Atlantique, a été particulièrement pénalisante, limitant ses options tactiques et son rythme dans les derniers milles. Malgré ces coups durs, il a fait preuve d’une résilience exemplaire, surmontant chaque difficulté avec calme et détermination. Portant un projet engagé sur la vulnérabilité, le skipper de VULNERABLE n’a pas seulement brillé sur le plan sportif. Ce bateau a incarné un message puissant, sensibilisant un large public à l’importance de valoriser la fragilité humaine et environnementale. Si son résultat est en deçà de ses attentes, il symbolise une capacité unique à transformer l’adversité en force et à maintenir un engagement sans faille. Pour Thomas, ce Vendée Globe est bien plus qu’un résultat : c’est une leçon de résilience et un nouveau jalon dans son impressionnant parcours de marin. Ses premiers mots.
Vendée Globe :
Comment as-tu vécu ce troisième Vendée Globe ?
Ce n’était pas toujours facile, mais je crois que ça a été dur pour tout le monde. Chaque marin a son lot de soucis, et c’est ce qui fait le charme de cette course. La remontée de l’Atlantique a été particulièrement complexe, entre des cartes météo difficiles à lire et quelques avaries. Malgré tout, je suis très fier d’avoir terminé, en gardant l’énergie que je voulais mettre du début à la fin. Je suis aussi fier d’avoir ramené un bateau en bon état, même s’il y a eu quelques petits soucis. Bien sûr, le résultat sportif n’est pas celui qu’on espérait. Si on m’avait dit que je finirais 7e au départ, je n’aurais pas signé, mais finalement, ça aurait été une erreur. J’ai vécu une belle course, avec de la régate à tous les étages. J’ai pris beaucoup de plaisir, parfois moins, mais c’est ce qu’on recherche dans un tour du monde.
Vendée Globe :
Et par rapport à il y a quatre ans ?
Cette fois, j’avais une équipe différente, plus étoffée, avec beaucoup d’énergie autour du projet. On visait les premiers rôles, et même si le résultat n’est pas celui attendu, il n’y a pas de regrets. Ce qui compte, c’est de ne pas avoir baissé en intensité, même face aux difficultés. J’ai beaucoup de fierté, pour l’équipe et pour moi-même. On s’est préparé pendant des années, et même si certains marins ont été meilleurs, je n’ai aucune amertume. Ce bateau m’a donné beaucoup de plaisir sur l’eau, malgré quelques moments compliqués. Je retiens les émotions, les moments de grâce, et la beauté de ce tour du monde.
Vendée Globe :
Comment as-tu fait pour transformer la déception en satisfaction ?
Heureusement, cette course est longue, ce qui laisse le temps de faire le deuil de certaines choses et de se remobiliser. Par exemple, au début de l’Indien, j’ai pris une décision difficile en évitant une dépression. Cela a permis à Charlie de prendre beaucoup d’avance, mais je ne regrette pas ce choix. À ce moment-là, c’était ce qu’il fallait faire pour me préserver et protéger le bateau, en pensant que d’autres opportunités se présenteraient. Les six marins devant ont navigué de façon exceptionnelle, et c’est ce qui rend cette édition différente de 2020 : le niveau de jeu, des bateaux, des équipes, et des marins a énormément progressé. Ça n’a jamais ralenti, c’était pied au plancher du début à la fin. Bravo à Charlie, Yoann et Seb pour leur course incroyable. J’aurais aimé jouer davantage avec eux, mais j’ai fait ma course avec ce que j’avais.
Vendée Globe :
As-tu eu des avaries dont tu n’as pas parlé ?
Non, je ne cache jamais mes problèmes. Les deux moments les plus difficiles ont été la déchirure de mon J2 au pire moment de la course, lors de la remontée de l’Atlantique, où il est indispensable, et un blackout total dans le grand Sud. Pour le J2, le vent est monté brutalement à 50-60 nœuds, et la voile a explosé. J’ai dû revoir toute ma stratégie, ce qui m’a coûté beaucoup de temps. Pour le blackout, c’était de ma faute : je n’ai pas rechargé mes batteries à temps, et tout s’est coupé, y compris le pilote. J’ai dû barrer deux heures dans le noir, aux sensations, en attendant que les hydrogénérateurs rechargent. Ces moments ont été les plus compliqués techniquement.
Vendée Globe :
Tu as montré ces dernières années que tu savais gagner, notamment sur les transats. Qu’est-ce qui te manque encore pour le Vendée Globe ?
Le Vendée Globe est une course unique, très différente des transatlantiques, qui sont plus des sprints. C’est une épreuve hors-norme, où l’imprévisible domine. Finir cette course est déjà une victoire. Même si on prépare tout pour gagner, il faut savoir apprécier l’aventure, les moments magiques sur des mers incroyables. Dans le Sud, le rythme n’a jamais baissé. Après une semaine folle en Atlantique Sud, il m’a fallu un moment pour entrer dans mon rythme de Vendée Globe, mais devant, ils n’ont jamais ralenti. Ils ont été meilleurs, tout simplement.
Vendée Globe :
Est-ce que ce troisième Vendée Globe t’a appris des choses sur toi-même ?
Je ne suis plus le même marin qu’en 2020. J’ai une connaissance plus fine du bateau, et j’assume davantage les vitesses. Ce qu’on a fait en 2024, je n’aurais pas pu le faire il y a quatre ans. La flotte et les marins ont beaucoup progressé. Je ne me suis jamais mis dans le rouge, sauf peut-être les trois derniers jours, où j’ai très peu dormi. Là, j’étais proche de mes limites.
Vendée Globe :
Tu disais avoir conçu un bateau te permettant de miser sur le plaisir. Est-ce que ce pari a été réussi ?
Tout est relatif, car plus un bateau va vite, plus il est inconfortable. Mais je pense que nous avons conçu un excellent bateau, grâce à une équipe formidable et à Antoine Koch, qui l’a dessiné avec nous. J’ai pris énormément de plaisir, notamment dans l’Atlantique Sud, avec des moyennes incroyables, et dans le Pacifique, où j’ai vraiment exploité tout le potentiel du bateau. Jusqu’au cap Horn, j’ai savouré chaque moment à bord.
Vendée Globe :
Envisages-tu de revenir en 2028 ?
Avant le départ, j’aurais dit non, que c’était mon dernier Vendée Globe. Mais j’aime tellement être en mer, sur ces bateaux, et régater avec une flotte aussi incroyable… Pourquoi s’arrêter ? Cela dit, ce n’est pas une décision que je peux prendre seul. Je dois en discuter avec ma famille, mon équipe, mes partenaires. Il faut avoir une envie viscérale d’y retourner, sinon ça ne vaut pas la peine. Pour l’instant, je ne veux pas répondre trop vite à cette question.