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Sébastien Marsset : « il y a toujours un match dans le match »

PAROLES DE SKIPPER (38/40). Après trois tours du monde en équipage, le marin nantais ultra expérimenté rêvait de cette boucle en solitaire. Malgré l’un des plus petits budgets de la flotte et son vieux bateau, il a montré qu’il n’était pas là pour faire de la figuration.

LORIENT, FRANCE - 30 AOÛT 2024 : Sébastien Marsset (FRA), skipper de Foussier, est photographié le 30 août 2024 à Lorient, France - Photo par Marin LE ROUX - polaRYSE
LORIENT, FRANCE - 30 AOÛT 2024 : Sébastien Marsset (FRA), skipper de Foussier, est photographié le 30 août 2024 à Lorient, France - Photo par Marin LE ROUX - polaRYSE
© Marin LE ROUX - polaRYSE

Voilà un CV qui donne le vertige ! Mini, Figaro, Class40, IMOCA, Sébastien Marsset coche assurément toutes les cases du grand bingo nautique. Mais c’est surtout pour ses talents d’équipier modèle que le colosse nantais - 1m90 pour 90 kilos tout de même - s’est fait remarquer, avec trois tours du monde en quatre ans, dont une Volvo Ocean Race victorieuse aux côtés de Franck Cammas et un Trophée Jules Verne en Ultim. Après avoir été le bras droit de Romain Attanasio pour le dernier Vendée Globe, l’appel du Graal de la course au large se faisait de plus en plus pressant pour ce passionné, qui préfèrera toujours agir que parler. Sans sponsor, il prend le risque entrepreneurial de lancer son projet et rachète un IMOCA de 2006, vieillissant mais solide. 

Quelques mois plus tard, voilà le marin qui boucle la Route du Rhum en 11e position, et premier bateau à dérives droites ! Séduits par son talent autant que par son humilité et son abnégation, quelques partenaires rejoignent son aventure, mais le skipper affiche toujours l’un des plus petits budgets de la flotte. Avec son équipe ultra réduite, il s’évertue au quotidien à faire rimer performance avec tempérance, en ayant notamment recours à la seconde main pour, revendique-t-il, contribuer aussi à un avenir raisonné et accessible de son sport. Reste que sur l’eau, il ne s’économise jamais, et cherche toujours à élever son niveau de jeu. Par amour de la compétition autant que par respect pour ses concurrents, il entend bien aller au bout de lui-même et savourer ce tour du monde pour lequel il s’est tant donné sans compter.

Vendée Globe :

Ton premier Vendée Globe approche, dans quel état d’esprit te sens-tu ? 

Sébastien Marsset
Sébastien Marsset
FOUSSIER

Je suis content que ça arrive, ça fait tellement longtemps qu’on en parle, ça commence à se concrétiser ! J’ai deux enfants en bas âge, alors il a fallu bien leur expliquer pourquoi la maison est en train de se vider de toutes mes affaires, mais ça fait quand même deux ans et demi qu’ils entendent parler du Vendée Globe alors ils ne sont pas surpris. Il faut se rendre compte qu’une aventure du genre, ça prend beaucoup de place dans une famille !

Vendée Globe :

Cela prend d’autant plus de place que tu as l’un des plus petits budgets de la flotte, ce qui t’oblige à prendre en charge beaucoup de choses toi-même. Peux-tu nous décrire ce que ça veut dire concrètement d’avoir des moyens limités ?

Ce que ça change, c’est qu’on cherche toujours des partenaires, même encore maintenant ! En fait, on n’a jamais arrêté, on propose quelque chose d’accessible, pas dans la démesure, j’en profite pour repasser cette petite annonce (rires). Sinon, ce que ça change c’est que je ne suis pas un pilote mais un chef d’entreprise. On ne me confie pas juste la barre d’un bateau où mon seul rôle serait de le faire aller vite. Je suis propriétaire du bateau, je suis redevable des emprunts que j’ai fait, ça rajoute une pression et de la charge de travail, mais il faut assumer ses envies. 

Vendée Globe :

Cette envie de Vendée Globe, de quand date-t-elle ? 

J’en rêve depuis toujours, même si j’ai longtemps navigué en équipage. Mais j’ai vraiment fixé cet objectif du Vendée Globe 2024 à l’arrivée de la Transat Jacques Vabre 2019, en double avec Romain (Attanasio, ndlr). Je me suis lancé dès 2021 dans le process de sélection en naviguant toujours avec Romain, mais très vite j’ai compris que je n’allais pas débloquer un budget pour acheter un bateau récent, mais je n’allais pas non plus trouver de budget tant que je n’avais pas de bateau… C’était le serpent qui se mordait la queue, alors je me suis lancé comme ça !

Vendée Globe :

Tu as donc racheté ce plan Farr de 2006, dont ce sera le cinquième départ de Vendée Globe. Comment décrirais-tu ce bateau ? 

Clairement, je ne vais pas pouvoir gagner le Vendée Globe avec, mais il a ses avantages : il a de la bouteille, il est robuste. Et du coup, il a ses inconvénients. Comme il est âgé, c’est techniquement presque plus difficile d’aborder certains sujets, beaucoup de pièces sur ces bateaux sont quasi uniques au monde, les précédents propriétaires ont fait ce qu’ils pouvaient mais souvent les fournisseurs n’ont plus le matériel en question et il faudrait refaire du sur-mesure, ce qui coûte cher. Mais je ne me plains pas du tout, j’ai l’avantage d’avoir un bateau, tout court. Il faut déjà réaliser la difficulté et la chance que c’est, et le travail que ça demande. 

Vendée Globe :

Surtout qu’à son bord, tu as signé de très belles performances, notamment sur la Route du Rhum 2022, où tu signes une superbe 11e place…

Oui, sportivement il y a toujours des choses à faire. Moi je suis un compétiteur, je ne regarde que le classement général, et je ne me dis jamais que je ne peux pas être au niveau des autres. Après, ce qui est génial sur cette course, c’est qu’il y a toujours un match dans le match, et on peut faire une régate acharnée et tout donner, y compris dans le peloton. Entre bateaux à dérives, on se bat par exemple avec autant d’intensité que les derniers foilers devant. 

Vendée Globe :

Du coup, est-ce que tu t’es fixé des objectifs sur ce Vendée Globe ?

J’en ai plein, sinon je ne partirais pas ! Ce qui est sûr, c’est que je vais y chercher quelque chose, même si j’arrive pas à le décrire complètement. J’ai eu la chance de faire trois fois le tour du monde en équipage et ce sont des souvenirs incroyables. M’y frotter en solitaire, c’est vraiment l’objectif. Et puis après il y a le challenge. Faire un tour du monde sans aucun autre bateau autour c’est déjà dingue, alors tu ajoutes à ça la compétition, le niveau d’exigence que ça impose en mer, pas pour écraser l’autre, mais pour se tirer le haut, c’est puissant. C’est vraiment ça que j’aime dans l’art de la navigation, quand on a toujours envie d’être un cran au-dessus. Donc oui, j’attends aussi une confrontation.

Vendée Globe :

Tu as eu quelques soucis techniques avec le bateau ces deux dernières années, est-ce que c’est quelque chose que tu appréhendes ?

Tout le monde appréhende la casse ! Mais oui forcément, quand tu as un plus petit budget, tu ne peux pas changer tout ce que tu veux. On est toujours sur le fil, les dépenses sont scrutées à la loupe, même pour quelques centaines d’euros. C’est une discipline très pesante au quotidien pour l’équipe, et surtout on n’a pas le droit à l’erreur. Au moment de choisir entre une voile de 110 m2 ou de 130 m2, il faut bien réfléchir car on sait qu’on n’aura pas les moyens de faire la deuxième si on se plante. Cela oblige à encore plus de rigueur, et je pense qu’au final ça me servira sur l’eau.

Vendée Globe :

Le pragmatisme d’une gestion en bon père de famille, en somme ? 

Sauf que je crois que le bon père de famille, il ne se serait jamais lancé dans un projet aussi fou (rires) ! 

Vendée Globe :

Aujourd’hui, il y a de plus en plus de concurrence pour être au départ du Vendée Globe, penses-tu que des petits projets comme le tien en souffrent ? 

Oui, aujourd’hui il y a encore un peu de place pour des histoires comme la mienne, mais c’est à l’organisateur et à la classe IMOCA de faire en sorte que ce soit encore le cas à l’avenir. Ce qui intéresse le public c’est la diversité des projets, la dimension humaine derrière chaque bateau, c’est ce qui fait la beauté de la course au large et du Vendée Globe. Il faut du renouveau, des jeunes, de la diversité, qu’on n’ait pas tous le même profil. Pour moi, le pire serait que cette course devienne comme la Coupe de l’America, avec un entre soi élitiste qui ne correspond pas du tout à l’ADN des gens qui suivent le Vendée Globe. Laissons ce sport accessible ! Aujourd’hui, il y a énormément de dépenses contraintes qui sont les mêmes pour tous les coureurs, que ce soit les inscriptions de course, la communication satellite, les adhésions à la classe… Tout ça pèse lourd dans un budget. 

Vendée Globe :

Pour minimiser les coûts, tu as beaucoup utilisé la seconde main, dont tu es un fervent défenseur… 

Ce qui nous challenge tous, c’est aussi la soutenabilité de notre sport. Je trouve qu’aujourd’hui, il y a une surenchère matérielle qui est préoccupante. Ce serait mon souhait que cette dimension de réduire son impact soit plus ambitieuse, qu’on aille vers un sport plus sobre. Avec de la technologie quand même, mais oui, je trouve que le réemploi n’est pas assez utilisé, pas assez développé. J’en fais énormément sur mon bateau, c’est même toujours la première solution technique envisagée pour tout dans notre équipe. J’ai des voiles qui ont déjà fait le tour du monde, mais qui ne sont pas du tout obsolètes pour autant. C’est à la fois un gage de durabilité pour la course au large, et aussi une forme de protection pour les skippers qui investissent tout tout tout pour ça, que ce soit de l’argent professionnel, personnel, et même quelques dettes…

Vendée Globe :

Quel est ton meilleur souvenir à bord de ce bateau ? 

En deux ans et demi, il y en a eu plein ! L’arrivée de la Route du Rhum et cette onzième place, c’est sûr. J’étais fier, fier de tout ce qui avait été réalisé. J’avais acheté le bateau en mars, je n’avais pas d’équipe, personne. De mars à novembre, on a réussi tout ça, deux semaines avant le départ on savait même pas si on pouvait y aller. Dans ces moments-là, les émotions que ça procure, c’est incroyable. Et tu sais que tout ça, c’est avant tout grâce à quelques humains qui sont passionnés et donnent tout pour t’accompagner. Mon projet, il tient grâce à cinq personnes qui ont tout donné, mais aussi grâce aux proches de ces cinq personnes, à ma famille de sponsors…  C’est ça le plus beau au final, l’aventure humaine qu’il y a derrière chaque marin ! Pour y arriver, je n’ai jamais autant rencontré de monde en quatre ans ! Tu ne peux pas être seul dans un projet pareil, t’es obligé d’aller vers les autres. C’est à la fois épuisant et passionnant. 

Rencontre avec Sébastien Marsset, Foussier | Vendée Globe 2024

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