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Plein le dos !

Allongez-vous, soufflez, on va pouvoir commencer… Gageons qu’à leur retour à terre, il y aura bien plus d’une séance de kinésithérapie nécessaire pour remettre en état ce corps patraque qu’ils ont transformé en vaste bric-à-brac. Mais en attendant de repasser le contrôle technique de cette couenne sur laquelle ils ne cessent de tirer façon supplice du chevalet, il faut continuer à faire le dos rond, et garder la tête sur les épaules.

COURSE, 08 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Initiatives-Coeur lors de la course à la voile du Vendée Globe le 08 janvier 2025. (Photo du skipper Sam Davies) coucher de soleil
COURSE, 08 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Initiatives-Coeur lors de la course à la voile du Vendée Globe le 08 janvier 2025. (Photo du skipper Sam Davies) coucher de soleil

La première sensation au réveil nous vient du Pacifique, et donne à nouveau froid… dans le dos ! Le monticule de glace immortalisé cette fois par Oliver Heer (Tut Gut., 30e) ressemble presque à un innocent dessin d’enfant qui impressionne par la hauteur de sa lèvre glacée. Si le navigateur suisse-allemand a bien gardé ses distances pour éviter toute embrassade non consentie, l’alerte est désormais très claire : il y a toujours des glaçons au nord de la ZEA, et il va falloir rester aux aguets ! Surtout Jingkun Xu (Singchain Team Haikou, 32e) et Antoine Cornic (Human Immobilier, 31e) qui suivent de près... Dans la nuit, ce dernier nous a justement laissé un petit message pour signaler « un coup de mou » pas banal pour ce colosse toujours jovial, mais voilà que ce bel avertissement glacial devrait tordre le cou à ses idées noires, et le faire plutôt guetter le blanc immaculé !

« j’avais un voile noir, la transpi, la nausée »

Car voilà leur lot à tous, à peine le dos tourné, un nouveau rebondissement leur tombe sur le coin du nez. Pour Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 12e), le cauchemar a pris la forme d’un douloureux blocage, qu’elle nous expliquait dans la nuit 


Sur le coup c’était ultra violent. J’avais une petite douleur dans l’omoplate et l’épaule depuis quelques jours mais j’y prêtais pas trop attention, c’était plus une gêne. Et là tout d’un coup, je me suis penchée pour ramasser quelque chose, et 'schla', le cou et l’épaule complètement bloqués. Et la douleur était tellement intense que j’ai fait un malaise, j’ai pas perdu connaissance mais j’étais assise et j’avais un voile noir, la transpi, la nausée, j’étais pas bien du tout pendant plusieurs minutes !

Clarisse Crémer
L'OCCITANE en Provence

Après un échange avec les médecins de course et une médicamentation adaptée, la douleur est heureusement vite retombée, pour la navigatrice qui nous disait déjà « aller beaucoup mieux, même si j’ai eu des difficultés à me reposer pendant quelques heures ». « Mais sur le coup c’était vraiment pas pratique, j’avais 35 nœuds, j’étais au milieu de la dépression, il y avait une mer horrible, tu te sens vulnérable et fragile ! Déjà que je n’étais pas dans une bonne phase où je me sentais fatiguée, où j’avais l’impression de pas bien naviguer, de pas avoir les clés de ce que j’étais en train de faire, c’était venu rajouter une couche ! », nous expliquait la skipper de L’Occitane en Provence, qui a décidément le dos large !

Car la navigatrice était déjà handicapée, on le rappelle, par la perte de son grand gennaker en début de course, un blocage d’un de ses foils dans l’Indien et plus récemment des soucis majeurs d’ordinateur – « ça a l’air de marcher depuis une semaine, j’ai un peu peur d’en parler parce que j’ai peur de m’attirer l’œil… Je ne suis pas superstitieuse mais on le devient très vite avec des problèmes techniques, surtout avec des trucs comme ça, si vous voyiez l’intérieur de mon ordi, il y a des morceaux de brûlé, des traces de sel, c’est n’importe quoi… ».

Mais malgré ces petits coups de poignard dans le dos administrés par le destin, Clarisse Crémer tente de voir le verre à moitié plein, même si elle reconnaît être « dans une phase de régate difficile », en voyant s’échapper sous son nez Benjamin Dutreux (Guyot Environnement – Water Family, 11e), et revenir dans son dos – pas trop brutalement, vu le contexte – Samantha Davies (Initiatives-Cœur, 13e). Même si son option Ouest vers la côte brésilienne, elle l’a davantage subie que choisie : 


J’avais très envie d’aller dans l’Est pour une bonne raison : j’ai plus d’AIS, et ma VHF semble ne pas fonctionner non plus, donc j’avais pas envie d’aller proche des côtes là où il y a le plus de bateau... Mais la porte ne s’ouvrait pas du tout pour moi… Ca s’est ouvert pour Benj et j’étais un peu dégoutée ! Mais j’avais pas 36 000 options moi, c’était compliqué… Donc tout ça va se jouer sur un peu de réussite parce que normalement, avec les routages, avec Benjamin on arrive à peu près à égalité, mais il suffit d’avoir un peu plus de molle, des orages qui se vivent plus ou moins bien, des alizés plus ou moins Est… Ça se joue à rien de se prendre 100 milles !

Clarisse Crémer
L'OCCITANE en Provence

COURSE, 07 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau L'Occitane en Provence lors de la course à la voile du Vendée Globe le 07 janvier 2025. (Photo de la skipper Clarisse Crémer)
COURSE, 07 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau L'Occitane en Provence lors de la course à la voile du Vendée Globe le 07 janvier 2025. (Photo de la skipper Clarisse Crémer)

Paul Meilhat (Biotherm, 8e) ne pourra que partager ce constat, lui qui n’y est pas allé avec le dos de la cuillère sur son option Est, mais va peut-être regretter de n’avoir pas changé son fusil d’épaule. Car à la côte brésilienne, le groupe toujours mené par Jérémie Beyou (Charal, 4e) a bien réaccéléré, et semble bien positionné pour remporter le bras de fer iodé :


L’option Est, c’est souvent la route la plus sûre, mais c’est logique que le groupe de derrière ait choisi la côte, parce que quand on est derrière on attaque, donc ça peut passer ! Sur les routages c’est très proche, ils ont même un petit avantage je crois, mais la météo est quand même très différente des modèles, donc ce n’est pas perdu. Et de toutes façons même si c’était perdu, qu’ils passaient devant, rien n’est fini ! Je ne me dis pas que s’ils passent c’est pas dramatique ! L’important c’est de pouvoir jouer des coups jusqu’à la fin !

Paul Meilhat
Biotherm

Car le skipper de Biotherm ne s’amuse jamais autant que quand il croise le fer ! Et à ce niveau-là, il est plus que servi depuis son départ des Sables d’Olonne, comme il nous le racontait, réalisant à peine qu’il était en mer depuis près de deux mois :


Le rythme de la course je trouve ça génial, je partais sur le Vendée Globe pour ça, mon objectif c’était la bagarre ! C’est pas celle pour le podium malheureusement parce qu’ils ont été très bons et ils ont vraiment bien navigué devant, mais tout le groupe derrière, ça joue, et c’est vraiment avec ça que je prends du plaisir ! Et c’est pas fini !

Paul Meilhat
Biotherm

« je suis déjà heureux d’être toujours en course… »

On peut assurément compter sur cette recrue pour rester sur le dos de la concurrence jusqu’aux derniers milles de course ! De son côté, Eric Bellion (Stand as One -ALTAVIA, 27e) aurait bien aimé rester au coude-à-coude avec le quintet de devant, et franchir à leurs côtés le majestueux rocher, survolé cette nuit en drone par Conrad Colman (MS Amlin, 22e).

COURSE, 07 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau MS Amlin lors de la course à la voile du Vendée Globe le 07 janvier 2025. (Photo du skipper Conrad Colman) Cap Horn
COURSE, 07 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau MS Amlin lors de la course à la voile du Vendée Globe le 07 janvier 2025. (Photo du skipper Conrad Colman) Cap Horn

Mais le second Cap Horn d'Eric Bellion attendra finalement demain, car en bon marin, il a choisi de faire le dos rond. Victime d’une avarie sur son gréement - dont il est toujours en train de réparer le système qui lui permet de tenir son étai de J2 - il était impossible d’aller au front des Malouines en même temps ! Un choix difficile, mais qu’il résume avec philosophie : 


C’est difficile parce que j’en avais encore sous le pied, je savais que je pouvais aller plus vite ! Mais c’est le Vendée Globe, je suis déjà heureux d’être toujours en course… On est toujours sur le fil du rasoir ! Quand tout va bien c’est extraordinaire, mais quand il y a un truc qui ne va pas, notre intégrité physique est en jeu ! La performance, c’est de faire le maximum de ce qu’on peut, et pour moi, la performance là c’est de réparer vite et repartir ! Ce n’est pas une mésaventure, c’est le Vendée Globe ! On a tous des problèmes, celui ou celle qui va au bout, c’est celui qui a décidé que les problèmes faisaient intégralement partie de l’aventure ! Même si j’ai perdu plein de places au classement, l’image qu’on peut donner c’est de ne jamais baisser les bras et toujours avancer coûte que coûte, résoudre les problèmes au fur et à mesure. L’important c’est de mériter notre place, faire tout ce qu’il faut pour être là où on est ! Donc je suis un homme heureux, même si je dois freiner, même si je suis plus dans la bataille où j’étais… j’avance !

Éric Bellion
STAND AS ONE - ALTAVIA

Et même si, bien souvent on l’avoue, on se demande comment ils s’activent encore à la colonne alors qu’ils nous disent tous en avoir quand même plein le dos, on ne peut qu’être impressionné par la résistance de ces corps et de ces esprits en mouvement, qui ne font aucune entorse à leur passion pour la compétition. 

Avec toutes ces contorsions, on n’a même pas parlé de notre tête de flotte ! Au-dessus de l’Equateur, Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance, 1er) continue de mener les opérations sans trop de friction, avec plus de 170 milles d’avance sur Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA, 2e) et 700 milles sur Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 3e)... Alors que les Sables d’Olonne se rapprochent et devraient être atteints d’ici une semaine, pas sûr qu’il trouve encore un créneau libre sur Doctolib pour prendre un rendez-vous ostéo !

COURSE, 07 JANVIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Singchain Team Haikou lors de la course à la voile du Vendée Globe le 07 janvier 2024. (Photo du skipper Jingkun Xu)
COURSE, 07 JANVIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Singchain Team Haikou lors de la course à la voile du Vendée Globe le 07 janvier 2024. (Photo du skipper Jingkun Xu)

Côté météo, pour le skipper de L'Occitane en Provence, l’atmosphère s’est nettement réchauffée, reléguant polaires, salopette et sous-couches dans les tréfonds du bateau.


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