Nicolas Lunven : « Mission accomplie ! »
Nicolas Lunven a franchi la ligne d’arrivée de son premier Vendée Globe en décrochant une superbe 6e place. Le skipper d’Holcim-PRB s’est illustré par son engagement total et sa ténacité remarquable. Classé 6e aux passages des trois caps emblématiques (Bonne Espérance, Leeuwin et Horn), il termine ce tour du monde exigeant à bord d’un bateau déjà mis à rude épreuve lors de The Ocean Race en 2023. Début janvier, la perte de ses instruments aériens l’oblige à naviguer « à l’aveugle » pendant trois jours, privé d’informations cruciales sur la direction et la force du vent, ce qui lui coûte de précieux milles. Malgré cet handicap et la casse de la galette de son J3 survenue un peu plus tard, le navigateur vannetais sait faire preuve d’une grande ingéniosité pour rester dans la course. Entre défis techniques et efforts physiques, il prend un immense plaisir à repousser ses limites, tout en tirant le meilleur de son IMOCA. Pour un skipper qui n’avait pris les commandes d’Holcim-PRB qu’un an avant le départ, cette 6e place vient récompenser un investissement sans relâche et une volonté inébranlable. Interview.
Vendée Globe :
Que ressens-tu après cette arrivée et ces 75 jours de course ?
« L’esprit humain est étrange : on garde facilement les bons moments, tandis que les mauvais s’effacent vite. Pourtant, cette dernière semaine a été particulièrement éprouvante. Les conditions météo étaient difficiles, et quelques soucis techniques sont venus compliquer la tâche, comme des cailloux dans mes chaussures. La dernière nuit a été la plus rude : météo infernale, trafic maritime dense, mer chaotique… Le stress de croiser un pêcheur ou de subir un incident était constant. J’ai dormi seulement trois fois vingt minutes, comme sur une course en Figaro, sauf qu’en Figaro, on n’a pas 74 jours de mer derrière soi. »
Vendée Globe :
Quel est le sentiment qui domine ?
« Je suis heureux. Il y a quelques jours, j’espérais encore rattraper Paul Meilhat. Je revenais sur lui, mais des soucis m’ont contraint à ralentir. Finir 6e, c’est mission accomplie : j’ai la satisfaction du travail bien fait, avec une course propre. Je me suis battu tout du long et me suis éclaté, notamment dans un duel incroyable avec Jérémie Beyou, quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Nous avons souvent été en compétition, que ce soit en Figaro ou maintenant en IMOCA, et c’est toujours aussi enrichissant. Je suis vraiment satisfait de cette 6e place. »
Vendée Globe :
Avoir des concurrents proches en permanence, est-ce motivant ou épuisant ?
« C’est un peu des deux. C’est une course longue, et parfois on aimerait souffler, mais savoir qu’un concurrent ne lâchera rien te pousse à continuer. C’est motivant et stimulant, ça évite de tomber dans une routine. Même dans les moments difficiles, je n’ai jamais trouvé le temps long. Par exemple, dans les mers du Sud, Jérémie et moi étions souvent bord à bord. Contrairement à ce que certains imaginaient, ce n’était pas planifié, mais c’était passionnant. »
Vendée Globe :
Tu as battu le record des milles parcourus en 24 heures dès le début de la course. T’y attendais-tu ?
« Pas du tout ! C’était une surprise. Quand mon équipe m’a félicité, je ne savais même pas que j’avais battu le record ! Le début de course était incroyable : une bagarre intense avec de nombreux bateaux. La compétition a rendu la descente de l’Atlantique passionnante. Jouer aux avant-postes était un vrai bonheur, je me suis éclaté. »
Vendée Globe :
La suite a-t-elle été plus difficile dans les mers du Sud ?
« Pas de grande surprise pour moi, ayant déjà navigué dans le Sud lors de The Ocean Race. Mais cette fois, j’étais seul, et ça change tout. L’expérience reste unique, même si je n’ai pas découvert grand-chose de nouveau sur le fait d’être seul face à moi-même. »
Vendée Globe :
As-tu fait de nouvelles découvertes sur ton bateau pendant la course ?
« On apprend toujours sur un bateau ! J’ai progressé en performance, surtout au début, grâce à une forte compétition qui exigeait des réglages optimaux. J’ai aussi appris à bricoler : soudure, composite… Rien de majeur, mais une accumulation de petites réparations au quotidien. Comme le dit Michel Desjoyeaux : « Le Vendée Globe, c’est une galère par jour ». Mais il est coquin, car ça, c’est pour les bonnes journées. Les mauvaises, il y en a souvent bien plus ! (Rires) »
Vendée Globe :
Comment as-tu vécu le scénario météo de ta course ?
« Après le cap Horn, nous avons beaucoup navigué au près, ce qui est rarement confortable. Même au portant, les vents soufflaient à 50 nœuds, rendant la navigation tout aussi éprouvante. Les conditions n’ont pas été favorables à notre groupe. Les derniers jours ont été les plus durs : trois dépressions en cinq jours, avec des vents violents et une mer chaotique. C’était physiquement et mentalement épuisant. »
Vendée Globe :
As-tu rencontré des problèmes qui t’ont freiné pendant la course ?
« Oui, malheureusement. Près des Falkland, la tête de mât s’est arrachée, me privant d’aérien pendant plusieurs jours. J’ai bricolé un système, mais ces jours-là ont été compliqués, autant pour le pilote que pour mes choix stratégiques. Ensuite, ma galette de J3 a explosé. Ne disposant pas de pièce de rechange, j’ai dû improviser, ce qui m’a fait perdre du temps. Plus tard, un problème d’enrouleur sur le bout-dehors m’a empêché d’utiliser une voile de portant. C’est là que Paul s’est échappé, avec des conditions météo plus favorables. Je n’ai pas pu revenir. »
Vendée Globe :
As-tu été surpris par l’intensité de la régate ?
« Pas vraiment. C’était mon premier Vendée Globe, mais avec un tel plateau de départ, je savais que ce ne serait pas une promenade de santé. Cette intensité était enrichissante : elle m’a poussé à rester concentré et à prendre les meilleures décisions stratégiques. Ça a rendu l’expérience passionnante. »
Vendée Globe :
Si tu devais construire un prochain bateau, que changerais-tu ?
« J’opterais pour un bateau qui ne passe pas son temps avec un mètre d’eau sur le pont au portant. Un peu plus de confort serait appréciable. Les derniers IMOCA vont dans ce sens. Boris Herrmann a été un précurseur, et des bateaux comme ceux de Thomas Ruyant, Yoann Richomme et Charlie Dalin bénéficient de ces avancées. Ils sont moins "sous-marins" que les générations précédentes. Dans les mers du Sud, c’est usant d’avoir toujours l’étrave plantée dans la vague. »
Vendée Globe :
As-tu déjà envie de repartir ?
« C’est difficile de dire non. On oublie vite les mauvais moments et on ne retient que les bons. Alors oui, je ne dirais pas non. »