Louis Duc : « Le Vendée Globe, un rêve devenu un objectif »
PAROLES DE SKIPPER (27/40). « Pas de problème, que des solutions ! ». Voilà, en une phrase, comment résumer l’état d’esprit de Louis Duc. Le Normand, véritable self-made-sailor, a toujours réussi à faire beaucoup avec peu. Il le prouve encore une fois avec son projet Vendée Globe puisqu’il s’aligne au départ avec un IMOCA qui n’est autre que celui de Clément Giraud qui avait accidentellement pris feu en 2006, peu avant le coup d’envoi de la Transat Jacques Vabre. Ses atouts ? Une détermination inébranlable et une persévérance résolue. Son crédo ? Profiter des petites choses. Son arme ? La simplicité. En l’espèce, celle-ci ne signifie pas conformisme ou passivité. Tout au contraire. Le skipper de Fives Groupe – Lantana Environnement marche léger à travers la vie et avance toujours dans un sens évolutif. Réussir à boucler la boucle avec un bateau en bon état reste son objectif numéro 1 pour ce tour du monde, mais il espère vivre intensément chaque moment passé sur l’eau, en particulier ceux dans les tempêtes des mers du Sud puisqu’il n’aime rien de plus que de gérer les conditions difficiles.
Vendée Globe :
Que représente le Vendée Globe pour toi ?
Pour ma part, ça fait vingt ans que je construis ce projet. C’est une des courses qui m’a fait le plus rêver quand j’étais gamin. Je l’ai vraiment découverte en suivant Alain Gautier lors de l’édition 1992-1993 et surtout après, en 1996-1997. J’avais seulement treize ans mais la lucidité pour bien comprendre ce qui se passait : les accidents, les histoires énormes, les images de mer et la gueule des mecs à leur arrivée. Pour moi, Le Vendée Globe est un des trucs les plus extrêmes qui existent et c’est ce qui m’a donné vraiment envie d’y aller. Je me suis toujours dit : il faut que je le fasse un jour. C’est devenu un rêve puis, au fil des années, c’est devenu un objectif. Aujourd’hui, j’y arrive. Pour être au départ, c’est un long parcours. C’est un aboutissement de plein de choses. Pour ma part, je n’ai pas gagné de courses mais j’ai fait trois Route du Rhum, des Transats Anglaises, des Transat Jacques Vabre… Pour finir, je compte pas mal de milles à mon actif et je considère que j’ai une partie de l’expérience pour y arriver et, surtout, pour prendre du plaisir sur ce type d’exercice. Pour moi, le Vendée Globe est une épreuve sur laquelle on peut s’engager à tous les moments de sa vie mais plus on y arrive âgé, plus on prend du plaisir du fait qu’on a mis du temps à y arriver. On sait cependant que tout peut arriver, qu’il y a plein d’histoires qui s’arrêtent dès la première nuit. Il faut par ailleurs rester lucide et être capable d’accepter ça.
Vendée Globe :
Tu évoques le fait qu’être au départ est un long parcours. Tu as, de ton côté, choisi de retaper l’ancien bateau de Clément Giraud qui avait brûlé en 2019. Un sacré défi !
C’est vrai. On a repris les bases et on a tout démonté. Comme c’est un bateau un peu ancien puisqu’il a été construit en 2006, on a forcément eu des surprises et trouvé des vices cachés. Le fait d’avoir tout repris à zéro et d’avoir tout sorti du bateau à un moment donné nous a permis de repartir presque d’une page blanche. Je n’ai, bien sûr, pas tout fait tout seul. Beaucoup de monde a travaillé sur le bateau mais j’ai été là à toutes les étapes. Ça, c’est hyper important car chaque pièce qui se trouve à bord, c’est moi qui l’ai choisie.
Vendée Globe :
Tu as toujours été passionné par les défis techniques. On sait que tu es l’origine du Lift 40 par exemple. Qu’est-ce qui t’amuse autant ?
J’aime faire les choses à A à Z. Le dossier de cet IMOCA m’a éclaté parce qu’on est parti d’une épave que l’on a reconstruit. Il a fallu chercher puis trouver des solutions. Ça a été compliqué de trouver les budgets. On a vraiment fait l’inimaginable. Ça aurait pu s’arrêter à chaque étape mais on a réussi à monter tous les échelons pour arriver au résultat d’aujourd’hui et c’est plutôt très satisfaisant.
Vendée Globe :
Comment te projettes-tu sur la course ?
Ce qui me fait le plus flipper, c’est de ne pas arriver au bout. J’espère que je suis prêt à être un peu moins casse-cou que d’habitude pour essayer de finir le truc. Ma fierté serait de revenir aux Sables d’Olonne avec un bateau en bon état.
Vendée Globe :
Comment se prépare-t-on à son premier tour du monde ?
Le maximum de temps que j’ai passé en mer pour le moment, c’est 25 jours. Là, ça change un peu la donne. Je sais qu’il y aura des merdes, c’est obligatoire. J’espère qu’on a bien préparé le bateau pour ça. Je n’aimerais pas finir à cause d’une connerie à côté de laquelle on serait passé. Ça me fait clairement rêver d’aller naviguer pendant deux mois et demi, trois mois. C’est un truc qui me passionne depuis tout le temps. J’ai hâte de découvrir les mers du Sud. J’adore naviguer dans des conditions un peu difficiles, quand ça caille un peu, qu’on est au portant dans la braff et que la mer et le bateau fument dans tous les sens. C’est ça que j’ai envie de voir pendant un mois !
Vendée Globe :
Lors de ta préparation, quel sont les points sur lesquels tu as mis l’accent ?
Pendant les trois premières années, on a beaucoup modifié le bateau pour arriver à la plateforme qu’on rêvait d’avoir avec nos moyens. Ça reste un bateau à dérives mais on a voulu le rendre le plus performant possible. On est arrivé exactement à ce qu’on voulait. On a un bateau avec beaucoup plus de quête. On a gagné 500 kilos. On a aussi passé le bateau à la jauge de 2016. On a changé beaucoup de choses même si certaines d’entre elles peuvent paraître anodines. On a aussi fait beaucoup évoluer le plan de voilure et ça paie. On a vu, lors de The Transat CIC, qu’il y avait des allures où le bateau était plus rapide que nos voisins à dérives. Certes, pas tout le temps, mais sur les allures auxquelles on voulait aller vite. Cette année, on a fini la configuration avec les voiles neuves puis on s’est concentré sur la fiabilité. On a démonté toutes les pièces une par une pour tout vérifier. On a ajouté un peu de confort cet été en mettant un beau siège de veille et en faisant une bannette à peu près confortable.
Vendée Globe :
Qu’est-ce qui, selon toi, fait ta force aujourd’hui ?
Par rapport aux autres, je n’en sais rien mais j’ai l’envie d’y aller ! J’ai vraiment hâte de découvrir tout ce qui m’attend. Ce qui me fait peur, ce sont ces derniers jours à terre. Ça risque d’être un peu dur pour moi car j’ai du mal à vivre les départs de course d’une manière générale. Je vais vivre le coup de canon comme une libération.
Vendée Globe :
Quelles sont les images du Vendée Globe que tu as en tête ?
J’en ai plein ! Des trucs pas très drôles comme les mésaventures de Thierry Dubois ou de Raphaël Dinelli, mais aussi de belles histoires. Je pense notamment à la victoire de Christophe Auguin. Il avait mené sa course de main de maître. J’ai aussi l’image d’Alan Roura à la veille de son premier Vendée Globe. Son bateau était en kit complet, avec des bouts par terre, partout sur le pont…Je pensais qu’il ne dépasserait pas le golfe de Gascogne mais au final il a fait un super tour du monde. Il a navigué à sa manière, il a fait une super trajectoire mais surtout, à la fin, il a terminé avec le sourire et l’envie d’y retourner. A l’époque, ça m’avait fait rêver !
Vendée Globe :
Ton plus beau souvenir en mer ?
Il y a beaucoup de trucs variés mais je dirais que c’est une navigation que j’ai faite au Groënland, avec des icebergs tout autour. Quand j’étais gamin, ce qui me faisait rêver, c’était de voir des images d’Alain Gautier au milieu des glaçons même si je pense que lui, ça ne l’avait pas fait marrer ! (Rires) J’ai aussi en tête des Transat Anglaise où j’ai fini rincé complet, mais avec le sentiment d’avoir fait une belle course, un beau voyage et une belle performance. D’une manière générale, les arrivées sont de bons moments mais il faut en avoir un peu bavé avant ! (Rires)
Vendée Globe :
Ton meilleur moment sur ce bateau ?
La Transat Jacques Vabre 2021 que j’ai courue avec Marie Tabarly. L’histoire était dingue. On avait mis le bateau à l’eau un peu à la dernière minute et au final on s’en était bien sortis en termes de performance. Pour moi, ça reste un souvenir exceptionnel.
Vendée Globe :
Quel est ton rêve le plus fou sur ce Vendée Globe ?
Arriver à le finir correctement, bien placé et avec une belle histoire derrière moi. C’est basique mais c’est mon idéal.
Vendée Globe :
Le marin qui t’inspire le plus ?
Un mec comme Francis Joyon. Il fait de la récup’ de bateaux et il fait de belles performances avec, sans trop de déballage d’argent. C’est un esprit qui me plait beaucoup. Je suis un peu à l’image de ça. J’essaie en tous cas de faire des trucs bien avec des projets raisonnés. J’apprécie aussi énormément, un peu pour les mêmes raisons, des marins comme Halvard Mabire ou Jean Le Cam.
Vendée Globe :
Ce que tu fais quand tu ne fais pas de bateau ?
Quand je ne fais pas de bateau de course, je fais du bateau de croisière. Je suis bien sur l’eau. Je découvre par ailleurs l’univers de la montagne grâce aux personnages que j’ai rencontré dans le cadre du Trophée Mer Montagne et ça me passionne.
Vendée Globe :
Une chose que tu emmènes toujours avec toi au large ?
Rien. Je suis assez superstitieux, c’est vrai, mais pas fétichiste ! (Rires)