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L’étoffe des héros

Loin des regards et des projecteurs, les 38 marins du Vendée Globe encore en course continuent de progresser dans ces zones maritimes qui font partie des plus hostiles de la planète. Une journée après avoir pris la 2e place de la course, Yoann Richomme (PAPREC ARKEA) n'est plus qu'à 82,5 milles du leader Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance). Derrière, le regroupement attendu à cause d’une dorsale a bien lieu et concerne un groupe allant de Thomas Ruyant (VULNERABLE, 4e) à Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 13e). Par ailleurs, Damien Seguin (Groupe APICIL, 17e) progresse enfin dans du vent un peu moins fort alors que Guirec Soudée (Freelance.com, 30e) s’apprête à affronter un nouveau front dans la journée.

Guirec Soudée à bord de Freelance.com
© Guirec Soudée

Il y a d’autres façons de se surpasser que d’arpenter un podium, contempler ses semblables et attendre des heures un sacre cathodique. Les marins l’ont bien compris : la promesse de traverser les océans du globe ne nécessite d’ailleurs ni projecteur, ni maquillage, ni discours pré-écrit. L’intensité du défi au large et ce qu’il implique emportent tout. Tanguy Le Turquais (Lazare, 23e) fait partie de ceux qui en parle le mieux. Il en faut beaucoup pour atteindre son enthousiasme mais ces derniers jours avec des problèmes de voile, les 40 nœuds de vent moyen et la houle de 7 mètres l’ont fait entrer dans une nouvelle dimension. 


Je me rapproche de l’Australie et c’est dingue de se dire que je suis arrivé jusqu’ici grâce à mon bateau. Mais je ne m’attendais pas à ce que l’océan Indien soit aussi dur. Dans la bannette, je fais des vols planés. Quand je me fais à manger, la nourriture saute partout… Le bateau fait des accélérations, des plantées, des bruits, des craquements, des voiles qui claquent, des départs au tas, à l’abattée… Franchement, c’est invivable ! Aux grandes joies les grandes peines comme on dit !

Tanguy Le Turquais
Lazare

« Vivement qu’on se casse ! » 

Alan Roura (Hublot, 20e) a déjà deux Vendée Globe à son actif. Situé dans le petit groupe de cinq qui progresse tout droit après avoir bien géré le passage de la dépression, le Suisse corrobore la description de Tanguy dans cet océan Indien décidément impitoyable :


Quand on m’avait demandé de le décrire en un mot les deux dernières fois, j’avais dit que c’était le diable. Et ça m’est resté. Là, j’ai un bateau en bon état, j’ai tout pour mais la mer est tellement forte que je n’arrive pas à passer. La mer est croisée, les vagues font 7 mètres, le vent passe subitement de 25 à 40 nœuds, le bateau ne sait plus quoi faire… Le plaisir pur, je ne l’ai plus. Depuis deux à trois jours. Il n’y a pas de répit et c’est très ingrat. L’Indien est très dur avec nous, vivement qu’on se casse !

Alan Roura
HUBLOT

Richomme se rapproche de Dalin 

Vu de là-bas, le Pacifique a des allures d’eldorado. Le Pacifique justement, ils sont désormais cinq à y être entrés, le passage de la Tasmanie le matérialisant symboliquement. Thomas Ruyant (VULNERABLE, 4e) et Jérémie Beyou (Charal, 5e) l’ont franchi ce samedi. Ils sont déjà ralentis par la dorsale (la zone sans vent) qui leur barre la route. Situés plus au Nord, ils se font déjà rattraper par Nicolas Lunven (Holcim-PRB, 6e) qui évolue plus au Sud. Surtout, ce sont les skippers de derrière qui reviennent comme prévu. Alors que Thomas et Jérémie progressent à moins de 15 nœuds, la cavalerie accélère à l'instar de Boris Herrmann (Malizia – Seaexplorer, 10e, 22 nœuds), Justine Mettraux (TeamWork-Team Snef, 11e, 22,3 nœuds), Samantha Davies (Initiatives-Cœur, 12e, 21 nœuds) et Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 13e, 22 nœuds). 

Devant, le trio de tête allonge la foulée dans le Pacifique. Dépassé par Yoann Richomme (PAPREC ARKEA, 2e) hier, Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 3e) a plongé au Sud et compte désormais plus de 100 milles en latéral sur son rival. Yoann, lui, réduit encore la distance avec Charlie Dalin en passant sous la barre des 100 milles d’écart (82,5 milles à 7 heures). Le leader explique : « Yoann et Sébastien ont touché le front avant moi, j’ai dû faire un gros zig-zag dans le Sud avant de me repositionner et de récupérer le vent de Nord-Ouest que j’ai actuellement ». Il sait que ses deux rivaux « vont continuer à se rapprocher » mais cela ne semble pas ébranler sa sérénité. Interrogé sur sa place de n°1 qu’il occupe depuis le 2 décembre, le Normand répond du tac au tac : 


Pourvu que ça dure ! Je dois mon avance à ma gestion de la dépression dans l’océan Indien qui m’a propulsé devant et m’a permis d’avoir un peu d’avance. Malheureusement, je n’ai pas pu m’échapper de façon définitive par rapport au reste du groupe mais ça fait partie du jeu. Si ça pouvait rester comme ça jusqu’au bout, ça m’irait très bien ! Là, j’attends le passage d’un front pour me mettre à tribord et faire une route un peu plus sud-est vers la zone des glaces. Après, vers mardi, on devrait se faire un peu ralentir à cause d’une zone sans vent. Ce qui est sûr, c’est que je préfère être là où je suis et que je ne vais pas ralentir !

Charlie Dalin
MACIF Santé Prévoyance

Accalmie en vue pour Seguin, passage de front pour Soudée

À signaler également, dans l’océan Indien cette fois, la ténacité de Damien Seguin (Groupe APICIL, 17e). Victime d’une avarie hier, touché au cou et au genou, le skipper de Groupe APICIL voit enfin les conditions s’améliorer. « Il a encore 30 nœuds de vent moyen mais ça devrait diminuer, précise Pierre Hays à la direction de course. En revanche, il a encore 5 à 6 mètres de creux. Damien devrait essayer de conserver sa trajectoire et s’atteler dès qu’il le peut à effectuer les réparations nécessaires ». Plus loin, Guirec Soudée (Freelance.com, 30e) en a fini avec les réparations, lui qui devait composer avec une avarie de J2. En revanche, il va se faire rattraper par un front virulent dans la journée. « Je devrais avoir 60 nœuds, des rafales de 70 nœuds, des creux de 8 à 9 mètres… Il va falloir être prudent et prendre le moins de risques possibles » confiait-il hier. 

Pour Guirec, Damien et tous les autres, il y a toujours, même au cœur des difficultés, des petits bonheurs qui n’ont pas de prix. C’est le leader, Charlie Dalin, qui l’a évoqué à sa manière : « quand j’ai un peu de chance en mettant la tête dehors, je tombe parfois sur un albatros. Leur vol est assez fabuleux, on n’est pas loin de la perfection aérodynamique quand on les voit voler, c’est assez magique ». Qu’il se rassure : on ressent la même exaltation à les voir évoluer, jour après jour, dans les contrées inhospitalières de l’Indien et du Pacifique. 

 

 

 


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