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Un tourbillon d’émotions sans fin

Hier, Sébastien Simon (Groupe Dubreuil) a franchi la ligne d’arrivée aux Sables d’Olonne, mettant un terme à son incroyable périple autour du monde. L’accueil chaleureux et l'intensité du moment ont marqué cet épisode, une libération après des semaines de tension, de fatigue et de dépassement de soi. Mais si pour lui les émotions s’apaisent dans la chaleur des retrouvailles, elles continuent de tourbillonner au large, là où de nombreux autres marins sont encore plongés dans le tumulte de leur défi. Car le Vendée Globe est avant tout une épopée faite de sommets vertigineux et de creux insondables. Être skipper dans cette épreuve, c’est vivre un grand huit permanent, où chaque montée, chaque descente, chaque virage semble amplifier ce que l’on ressent. Chaque jour en mer est une nouvelle vague d’émotions : l’exaltation d’un bateau qui file à pleine vitesse sous un vent parfait, la frustration face à des avaries imprévues, ou le poids de la solitude qui accompagne chaque décision à bord. Ceux qui naviguent encore alternent entre moments d’euphorie pure et instants d’épuisement total. Leur force réside dans cette capacité à accepter le chaos des sentiments, à les transformer en moteur pour continuer. Chacun trace sa route dans cette aventure extrême, porté par la résilience, le doute et cette profonde intensité émotionnelle qui fait de ce tour du monde une expérience unique, à la fois magnifique et implacable.

COURSE, 17 JANVIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau HUMAN Immobilier lors de la course à la voile du Vendée Globe le 17 janvier 2024. (Photo du skipper Antoine Cornic)
COURSE, 17 JANVIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau HUMAN Immobilier lors de la course à la voile du Vendée Globe le 17 janvier 2024. (Photo du skipper Antoine Cornic)

« La mer, c’est l’émotion incarnée. Elle aime, elle déteste, elle pleure. Elle défie chaque âme qu’elle touche », écrivait Christopher Paolini, auteur américain de la célèbre série de fantasy L’Héritage, dans son roman Eragon. Il y décrit l’océan comme une entité vivante, émotionnelle, presque humaine. Cette citation trouve un écho particulier dans le contexte du Vendée Globe, illustrant le lien intime entre les marins et cet univers marin. Adversaire redoutable, mais aussi compagnon de route, il met à l’épreuve leur force mentale et émotionnelle. À son arrivée, Sébastien Simon s'interrogeait justement : « Je ne sais pas si on vit ça ailleurs. » Car au-delà des défis, l’océan offre des instants de grâce qui transforment les moments difficiles en expériences profondément humaines, où chaque arrivée devient une victoire sur soi-même et un hommage à cet univers impitoyable. « La navigation en solitaire exacerbe les émotions comme jamais. On vit des moments d’une intensité incroyable : de la joie à en crier quand tout se passe bien, de la déception face à une casse, un mauvais classement ou la sensation d’être loin de la terre, et de la frustration lorsque l’on se sent impuissant. Finalement, c’est cette intensité que l’on vient chercher », a confié Sébastien Marsset la nuit dernière. Mais cette intensité a un prix. 

Forces mentales contre vents et marées

A ce stade de la course, le manque de sommeil devient un compagnon omniprésent. Les nuits entrecoupées par des alarmes, les muscles endoloris, et l’esprit constamment en éveil finissent par peser lourd. Chaque manœuvre demande un effort titanesque, chaque décision devient un défi pour un esprit épuisé. Pourtant, c’est dans ces moments de faiblesse que les marins trouvent une force insoupçonnée. « J’essaie de me satisfaire de tout ce qui va. Il me reste 5 000 milles à parcourir et je vais les vivre et les réaliser du mieux possible », a assuré le skipper de FOUSSIER qui se bat sans relâche tout en reconnaissant que la fatigue est un véritable défi.  « Elle exacerbe tout, on la sent bien présente, profondément ancrée. J’ai beau dormir, manger, prendre des vitamines ou tout ce qu’il faut, elle reste là. Je sais qu’il me faudra certainement du temps, même à terre, pour m’en débarrasser complètement. Ce qui est essentiel pour moi, c’est d’accepter ces variations d’émotions, parce qu’elles sont normales. Elles ont un sens, elles racontent quelque chose », a expliqué Sébastien, fort du travail de préparation mentale qu’il a effectué avant le départ. Une résilience précieuse alors qu’il continue de s’accrocher, évoluant au près depuis un bon moment, avec encore quatre jours à tenir dans ces conditions exigeantes, au large du Brésil.

La fatigue, catalyseur d’émotions

Dans ce manège permanent, les émotions se succèdent sans répit. Une montée d’exaltation peut être suivie par une descente brutale dans le doute ou la frustration. Ce voyage, d’une intensité incomparable, ne laisse aucune place à la tiédeur. Chaque sentiment est vécu à fond, chaque défi force à puiser dans ses ressources. C’est ce balancier émotionnel qui fait du Vendée Globe une aventure hors norme, à la fois épuisante et profondément transcendante. Antoine Cornic (Human Immobilier) en témoigne parfaitement. Comme beaucoup de ses concurrents, il a connu un véritable choc intérieur lors de son passage du cap Horn il y a deux jours, un moment aussi libérateur que symbolique :


Franchir ce point mythique a été quelque chose de spécial, surtout après l’avoir rêvé pendant vingt ans. Même si je fais plus de 100 kg, je reste un grand nounours, et ce genre de moments me touche profondément.

Antoine Cornic
HUMAN IMMOBILIER

Depuis, il poursuit sa route avec prudence et détermination. Après avoir dépassé les îles Falkland jeudi soir, il bénéficie d’un bon flux pour avancer, tandis qu’un peu plus au nord, Oliver Heer (Tut Gut.) ralentit, offrant une opportunité de regroupement. « Je suis toujours à 70 % du bateau », explique-t-il, mentionnant une stratification décollée sur une cloison qu’il devra réparer dans l’anticyclone. Reste que malgré les défis techniques, l’ambiance reste positive. « Le Chinois revient bien, fleur au fusil. C’est super, ça va relancer le match pour l’Atlantique ! Ça fait un moment que je navigue seul au large, donc avoir un peu d’action avec un concurrent devant et Jingkun (Xu) juste derrière, ça va être sympa », a assuré le Rétais qui prévoit également d’effectuer sa pénalité de 180 minutes, infligée après son mouillage pour réparation sous l’île de Saint-Paul, dans la soirée, par 45° Nord.

Une relation unique avec son bateau

Pour lui, comme pour tant d’autres skippers, le lien avec son IMOCA se transforme avec le temps. De fait, à force de partager chaque instant, le bateau devient bien plus qu’un simple moyen de transport. Refuge dans les tempêtes, allié dans les accalmies, il se mute en partenaire indispensable. Chaque bruit, chaque vibration, est un message que le marin apprend à interpréter. On l’écoute, on l’observe, et parfois même, on lui parle, comme pour alléger le poids des défis à affronter. Mais vivre un tour du monde, c’est aussi une lutte contre soi-même. Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence) décrit parfaitement ce mélange explosif : « Il y a trois choses qui te poussent à bout : la solitude, qui te rend un peu zinzin, la fatigue, et la compétition, qui te fait te poser 36 000 questions. » Pour elle aussi, ce tour du monde est un véritable « roller coaster » émotionnel.


Un moment, tu te dis que tu es la personne la plus chanceuse au monde, et tu ne voudrais échanger ta place pour rien. Heureusement, ces moments sont nombreux. Mais parfois, tu donnerais tout pour dormir dans un lit qui ne bouge pas, qu’on te laisse tranquille, et que tu n’aies pas à résoudre de problèmes.

Clarisse Crémer
L'OCCITANE en Provence

Et c’est bien ça, le Vendée Globe : une alternance constante entre euphorie et épuisement, entre extase et lassitude. Une aventure où chaque émotion est vécue en grand, sans demi-mesure. 


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