Les marins du Vendée Globe excellent dans l’art d’apprivoiser l’inconnu. Seuls face à l’océan, ils affrontent l’imprévisible avec une force mentale hors du commun. Chaque tempête, chaque avarie est un défi qu’ils surmontent en gardant leur calme et leur détermination. Leur plus grande victoire ? Transformer l’incertitude en opportunité, la solitude en alliée, et prouver que la maîtrise de soi est la clé pour repousser les limites. Cette capacité à maintenir le cap malgré les épreuves se reflète dans les témoignages des skippers, à l’image de Benjamin Ferré (DUO for a JOB) :
L’art de tenir bon quand tout dit de lâcher
Après deux mois et demi en mer, les marins du Vendée Globe ne se contentent plus de naviguer. Ils transcendent leurs limites, franchissant chaque jour des frontières physiques et mentales qu’ils n’auraient jamais cru possibles. Isolés dans l’immensité, ils vivent une épreuve où il ne s’agit plus seulement de course, mais de maîtrise de soi. Leur corps, devenu une machine endurante mais malmenée, fonctionne en mode automatique. Privés de sommeil et usés par les manœuvres incessantes, chaque mouvement coûte, chaque effort pèse, mais ils continuent. Non pas parce qu’ils le peuvent, mais parce qu’ils le doivent. La véritable bataille se joue dans leur esprit. L’océan, miroir cruel, reflète autant leurs forces que leurs faiblesses. Face à cette solitude infinie, il faut dompter les doutes, les peurs, et parfois l’envie d’abandonner. Il ne suffit pas de tenir, il faut avancer. Trouver l’énergie quand il n’y en a plus, puiser dans une détermination forgée par des années de préparation, mais surtout par une volonté inébranlable de réussir. Ce n’est plus uniquement une bagarre contre d’autres marins, mais contre les limites du corps et de l’esprit. Ils savent que le Vendée Globe n’accorde aucun répit, mais à travers cette douleur et cette fatigue, ils découvrent qui ils sont vraiment. Se surpasser, c’est choisir de continuer, même quand tout semble perdu. Car au fond, ce voyage n’est pas qu’une performance ou un classement : c’est un voyage intérieur, une quête de dépassement dans sa forme la plus pure.
De fait, à ce moment précis, il évolue sur des temps identiques à ceux de Michel Desjoyeaux lors de sa victoire en 2008. Une performance qui prouve qu’au-delà des classements visibles, lui et les autres sans foils repoussent les limites de leurs embarcations, et surtout les leurs. Ils naviguent dans l’ombre, à pleine puissance, et ce parallèle avec l’un des exploits les plus mémorables de la course montre combien leur engagement est total. « C’est une tension permanente. Je crois que tout ça se mélange dans ma tête. Mon cerveau n’arrête pas de me rappeler que l’arrivée n’est plus si loin, et paradoxalement, plus je m’en rapproche, plus c’est compliqué. J’essaie de rester concentré et de ne pas lâcher mentalement. Physiquement, je suis aussi usé. Tous les efforts sont de plus en plus durs. Je crois que c’est la première fois depuis le début du Vendée Globe que je ressens ça », a ajouté le Bretillien.
Apprivoiser l’inconnu
Pourtant, malgré tout, il continue de se donner à fond, avec panache et détermination, repoussant encore et encore ses limites. Pour lui, chaque mille parcouru est un défi pour garder la place de leader dans la lutte acharnée des « dériveurs », une position qu’il échange régulièrement avec Tanguy Le Turquais (Lazare). C’est aussi une bataille contre la fatigue et les conditions extrêmes. « On navigue dans un vent d’alizé très soutenu, qui ne ressemble pas vraiment à un alizé habituel : il n’y a pas de ciel bleu, tout est gris et couvert de nuages. Le vent oscille entre 23 et 30 nœuds, mais c’est surtout l’état de la mer qui est éprouvant. La seule façon de dormir, c’est d’être épuisé et c’est ce qui m’est arrivé cette nuit où je me suis affalé comme un chien sur son coussin. On est au près, et pour la première fois depuis le début du Vendée Globe, je sens le bateau vraiment souffrir à chaque vague. Par moments, le vent faiblit un peu. Il se redresse, grimpe la vague, et derrière, il retombe lourdement. C’est comme au ski : tu prends une bosse et au lieu de retomber dans la descente, tu retombes brutalement sur le plat. Ça explose les genoux. Ici, c’est exactement la même sensation. Le bateau encaisse terriblement et, forcément, le marin souffre avec lui. ».
Quand l’océan ne pardonne pas
Les montures pâtissent, et Benjamin Ferré n’est pas le seul à le constater. Thomas Ruyant, lui aussi, a confié les difficultés qu’il rencontre à mesure qu’il se rapproche de l’arrivée. Après des semaines en mer, le marin vient de faire son entrée dans le golfe de Gascogne, où il affronte des conditions pénibles alors que l’arrivée aux Sables d’Olonne est prévue pour la nuit prochaine.
Vivre à la limite sans la dépasser
Le skipper de VULNERABLE gère cette dernière ligne droite avec une maîtrise qui reflète l’essence même du Vendée Globe : se dépasser sans jamais perdre le contrôle. Alors que la Suissesse reste à portée et que chaque manœuvre est décisive, il continue à naviguer intelligemment, en tenant compte de ses limites et de celles de son bateau. « Avec trois tours du monde et plusieurs transats derrière moi, je commence à bien me connaître. Le dépassement de soi, c’est aussi savoir s’écouter et anticiper. Lors de ce tour du monde, dans les moments difficiles, je ne me suis jamais senti dépassé. Il y a eu un moment étrange, quand j’ai dû prendre la barre après un black-out total du bateau. Ça m’a fait drôle, mais je suis content de la façon dont j’ai géré. Je n’ai jamais été vraiment dans le rouge », a souligné le Nordiste pour qui ce dépassement constant repose sur un équilibre subtil : pousser le bateau et soi-même sans franchir la limite fatale. « J’ai su gérer les dettes de sommeil et la fatigue pour éviter de tout compromettre. Avoir un bateau prêt, qui ne te fait pas trop de crasses, ça aide aussi à rester dans cet équilibre. Maintenant, il ne reste plus qu’une chose : arriver aux Sables et savourer. »
Dernier tronçon sous tension
Pour Benjamin Dutreux, l’histoire est similaire. Le skipper GUYOT environnement – Water Family ressent lui aussi cette envie pressante de boucler la boucle, mais sait qu’il doit rester concentré jusqu’au bout, sans relâcher ses efforts. La ligne est proche, mais chaque mille reste un défi, un effort supplémentaire pour aller au bout de lui-même. « J’ai eu pas mal de petites galères qui m’ont coûté quelques heures de sommeil, donc je suis un peu fatigué. Actuellement, je suis en pleine dorsale et j’espère réussir à récupérer un peu avant d’attaquer la suite, car il y a plusieurs zones de transition sur la route. C’est un peu frustrant, d’autant qu’une belle dépression est attendue dimanche… et nous aussi », a détaillé le Vendéen qui aurait espéré un dernier tronçon plus indulgent. « J’avoue que j’aurais préféré arriver sous le soleil. Les bateaux ne sont plus à 100 %, tout comme nous. Ce mélange dans la boîte à routages produit des scénarios parfois incohérents. Mais on finira bien par arriver, c’est l’essentiel ! », a relaté Benjamin Dutreux qui s’efforce de trouver du positif dans ces derniers jours d’effort. C’est justement cette attitude qui lui permet de tenir bon : une capacité à accepter l’imprévu, à gérer l’incertitude et à maintenir son énergie intacte jusqu’à la toute dernière manœuvre.
Une victoire sur soi-même
En somme, après 75 jours de mer, pour les marins du Vendée Globe, ce n’est plus seulement une course contre la montre ou une bataille pour le classement. C’est une quête intérieure, où chaque instant devient une leçon de résilience et de transcendance. Malgré les vents contraires, les vagues violentes et la fatigue omniprésente, ils continuent d’avancer avec détermination, illustrant ce que signifie réellement "aller au bout de soi-même". Pour chacun d’eux, ces derniers milles sont bien plus qu’un simple tronçon à parcourir. Ils incarnent la persévérance, la capacité à rester maître de son destin malgré les éléments, et cette volonté de terminer ce tour du monde hors normes en restant fidèle à l’esprit du Vendée Globe. Tous partagent cette même quête : transformer la difficulté en expérience, et l’expérience en accomplissement. C’est ce qui fait de cette épreuve bien plus qu’une simple compétition. En franchissant la ligne d’arrivée, chaque marin ne célèbre pas seulement une victoire sur l’océan, mais surtout une victoire sur lui-même.