Justine Mettraux : « Finir première femme, c’est surtout symbolique »
La navigatrice suisse Justine Mettraux a marqué l’histoire en devenant la première femme et la première internationale à terminer cette édition du Vendée Globe. À bord de TeamWork – Team Snef, elle a réalisé une prestation exceptionnelle, s’offrant au passage la meilleure performance jamais atteinte par une femme sur cette course mythique. Avec un chrono améliorant de 11 jours le record de Clarisse Crémer, elle établit un nouveau standard dans l’histoire de la compétition. Cette prouesse, la Suissesse l’a construite au prix d’une détermination sans faille et d’une gestion irréprochable de son bateau. Elle a su exploiter chaque opportunité stratégique et faire preuve d’une maîtrise technique impressionnante, même dans les situations les plus critiques. À la veille de son arrivée, elle a déchiré sa grand-voile, une avarie majeure qui aurait pu bouleverser sa fin de course. Pourtant, fidèle à sa résilience, elle a maintenu son cap jusqu’à franchir la ligne d’arrivée avec brio. Tout au long de son périple, elle s’est affirmée comme une concurrente redoutable et une figure incontournable de la Classe IMOCA. Sa régularité, son mental d’acier et son talent lui ont permis de rivaliser avec des skippers disposant de bateaux plus récents, tout en inscrivant son nom dans les annales de l’épreuve. Cette performance confirme son statut de leader parmi les navigatrices et de modèle pour la nouvelle génération. Avec cet exploit, Justine Mettraux prouve une fois de plus que les limites sont faites pour être repoussées, dans un sport où excellence, persévérance et passion se rencontrent.
Vendée Globe :
Comment vis-tu cet accueil aux Sables d’Olonne ?
« C’est incroyable ! Arriver un samedi après-midi, sans l’avoir planifié, et voir autant de monde dans le chenal, c’était impressionnant ! L’atmosphère était fantastique, et ça fait vraiment plaisir. Le Vendée Globe est une course exigeante, au point qu’on oublie parfois l’ampleur de ce qu’on est en train de faire. J’ai pris énormément de plaisir jusqu’au cap Horn, mais la remontée de l’Atlantique a été éprouvante, jusqu’au dernier moment. Même aujourd’hui, il a fallu se battre pour franchir la ligne. Mais quelle satisfaction de ramener le bateau, avec une équipe formidable à mes côtés. »
Vendée Globe :
As-tu pris beaucoup de plaisir lors de ce premier tour du monde en solitaire ?
« Oui, j’en ai pris beaucoup, surtout pendant la descente de l’Atlantique et dans les mers du Sud, où je me suis sentie à l’aise. J’ai bien géré mon bateau et ma stratégie. En revanche, la remontée de l’Atlantique a été bien plus rude pour mon groupe. Nous avons affronté de nombreuses conditions difficiles, notamment ces derniers jours, qui ont sans doute été les pires du tour. »
Vendée Globe :
Une course au coude à coude, c’est rassurant ou stressant ?
« C’est un peu des deux. Être proche des autres permet de comparer les vitesses et de valider ses choix stratégiques. Mais sur la fin de course, la pression était bien là, notamment avec Sam (Goodchild) juste derrière moi. J’avoue qu’à ce moment-là, je me serais bien passée d’un bateau aussi proche surtout que les conditions étaient très instables : on passait de 20 nœuds à un arrêt total. C’était loin d’être simple. »
Vendée Globe :
Tu es la première femme à boucler cette 10e édition. Que cela représente-t-il pour toi ?
« Sur le Vendée Globe, il n’y a pas de classement distinct, donc c’est avant tout symbolique et médiatique. C’est une belle visibilité pour mes partenaires c'est sur. Cette année, nous étions six femmes au départ, comme lors de l’édition précédente, mais avec des projets plus compétitifs. J’espère que cela continuera sur cette lancée pour les prochaines éditions. »
Vendée Globe :
Parle-nous de l’écart que tu as creusé avec Sam Davies et Clarisse Crémer dans le Grand Sud ?
« J’ai réussi à attraper un front météo et à rester dedans plusieurs jours, ce qui m’a permis de m’échapper. C’était une question de timing, être au bon endroit au bon moment. Mais ces jours-là, j’ai dû affronter des conditions très difficiles, avec des vents de 40-45 nœuds au reaching. Ce n’était pas drôle, mais cet effort a été déterminant. »
Vendée Globe :
Ton bateau est le premier d’ancienne génération à franchir la ligne. Quelles ont été les différences avec les bateaux récents ?
« Les IMOCA de ma génération sont moins confortables et moins performants en vitesse de pointe. Il y a des moments où je ne pouvais tout simplement pas suivre les bateaux plus récents. Un ou deux nœuds d’écart semblent peu, mais sur la durée, cela crée des écarts significatifs. »
Vendée Globe :
Tu as déchiré ton Code 0 sur la descente de l’Atlantique. Cela t’a-t-il pénalisée ensuite ?
« Dans les mers du Sud, ça n’a pas trop manqué, mais sur la remontée, c’était plus compliqué. J’ai dû effectuer davantage de changements de voiles, ce qui coûte de l’énergie. Le J0 est une voile polyvalente qu’on peut garder longtemps, même si elle n’est pas optimale. Sans elle, c’était moins confortable. »
Vendée Globe :
On t’a vue très concentrée du début à la fin. C’est ta façon de gérer une course aussi longue ?
« Oui, il y a de la concentration, mais j’ai aussi pris des moments pour appeler mes proches, écouter de la musique ou lire. Peut-être moins que d’autres skippers, mais chacun a sa méthode pour gérer la durée d’un Vendée Globe. »
Vendée Globe :
Reviens-tu changée ?
« Forcément. Passer autant de temps en mer, c’est très riche. J’ai progressé sur la maîtrise du bateau, j’ai appris à mieux me connaître et j’ai gagné en expérience, notamment en stratégie et bricolage, qui n’est pas forcément mon point fort. Cette expérience est précieuse et fait une vraie différence, comme le montre Jean Le Cam, toujours compétitif à 65 ans. C’est ce que j’aime dans ce sport : on progresse en permanence. »
Vendée Globe :
Comment as-tu vécu la solitude ?
« Bien mais il y a des moments où j’aurais bien aimé avoir quelqu’un à bord. Les expériences en équipage m’ont beaucoup appris, que ce soit dans la préparation ou dans la navigation. »
Vendée Globe :
As-tu ressenti la peur de la casse sur la fin ?
« Oui, surtout sur la remontée de l’Atlantique. A la fin d’un tour du monde, les bateaux sont fatigués, l’usure se fait sentir, surtout lorsque les mers sont très dures. Ces derniers jours, ce poids a vraiment pesé sur moi. »
Vendée Globe :
Quelles sont tes envies pour la suite ?
« Le projet TeamWork - Team Snef continue en 2025 avec des courses en double et en équipage. Je vais naviguer avec Xavier Macaire, qui m’a aidée sur la météo en amont de cette course. Ça va être une belle aventure. Je vais aussi prendre un peu de temps jusqu’au printemps pour voir comment je vis l’après Vendée Globe et réfléchir à la suite. »