Le golfe de Gascogne s’étale devant lui, aussi calme qu’un chat repu au soleil. Chaque mille s’étire comme un chewing-gum trop mâché, ralentissant inexorablement l’instant où il devra poser le pied sur la terre ferme. Pourtant, avant son départ, c’était bien ce moment-là qu’il redoutait le plus. L’idée de quitter l’immensité de l’océan pour replonger dans le brouhaha du monde lui semblait aussi agréable qu’un plongeon dans une piscine vide. Mais maintenant qu’il y est, cette arrivée dans les petits airs ressemble plutôt à une transition en douceur.
Des derniers milles suspendus
Rappelez-vous, il y a plusieurs jours déjà, Sam Davies et Boris Herrmann ont dû ralentir dans une mer déchaînée pour éviter de finir leur Vendée Globe façon machine à laver en mode essorage. Benjamin Dutreux et Clarisse Crémer, eux, ont franchi la ligne d’arrivée avant de devoir se réfugier dans un autre port que celui des Sables d’Olonne. Mais tandis qu’ils ont livré leurs derniers combats face aux éléments, Antoine Cornic, lui, connaît une tout autre réalité. Contrairement à ses compagnons de course, ce n’est ni la tempête ni l’urgence qui dictent ses derniers milles, mais une pétole monumentale. Piégé dans un océan aussi animé qu’un dimanche après-midi chez Mamie après le gigot, le skipper de Human Immobilier avance au rythme d’un escargot en pleine introspection. Plus de vagues, plus de rafales, juste une mer d’huile et un vent aux abonnés absents. Son bateau glisse à la vitesse d’une trottinette à plat. Son Vendée Globe s’achève donc sur un tempo plutôt lent, entre frustration et douce ironie. Là où d’autres ont lutté jusqu’à la dernière seconde, lui est coincé dans une arrivée en slow-motion, partagé entre l’envie d’en finir et celle de profiter encore un peu de ce tête-à-tête avec l’océan. Mais l’attente touche à sa fin. Sauf surprise de dernière minute, il est attendu demain matin aux Sables d’Olonne.
![LE 10 FÉVRIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau HUMAN Immobilier lors de la course à la voile du Vendée Globe le 10 février 2024. (Photo du skipper Antoine Cornic)](/sites/default/files/styles/article_header_desktop/public/imported_img/2025/02/67a9fb9ab7780.jpg.webp?itok=Bv163kxo)
Après les tempêtes et les turbulences, entrer dans cette phase plus calme a quelque chose d’apaisant. D’un côté, j’aimerais que ça aille plus vite pour profiter des derniers moments de navigation en surfant à pleine vitesse. Mais d’un autre, une arrivée en slow-motion permet aussi de décompresser avant de retrouver la terre ferme. Finalement, ce n’est peut-être pas si mal.
Il faut dire que la pétole, ce fléau des marins, a parfois des allures de professeur de yoga : elle impose le calme, la respiration, l’adaptation. « Ne pas avancer est frustrant. En course, l’objectif est toujours d’aller le plus vite possible, alors se retrouver ralenti par une mer d’huile, c’est compliqué. Dans ces moments-là, je suis bien content d’être seul. Je peux râler autant que je veux, sans personne à accabler ni à subir mes plaintes ! » Mais cette fois, il n’a plus envie de se débattre. Après des semaines et même des mois à slalomer entre les coups de vent et les vagues de la taille d’un immeuble, se retrouver dans un océan aussi plat qu’une flaque n’est peut-être pas si mal.
L’ultime parenthèse avant la frénésie du retour
« Passer du silence absolu à l’agitation humaine est toujours un choc. Mais cette période de petit temps m’offre une transition en douceur vers le monde extérieur. » Car bientôt, il devra troquer ses longues conversations muettes avec la mer contre un déluge de questions et de retrouvailles. Un peu comme un moine sortant d’une retraite silencieuse pour se retrouver en plein festival de musique électro. « Je le sais par expérience : quand tout le monde me parle en même temps, les voix se mélangent et deviennent un vacarme incompréhensible. C’est comme si on me parlait en chinois. » Mais pour l’instant, il savoure encore ce moment. Dans quelques heures, la machine s’emballera, l’émotion sera partout, et la ligne d’arrivée viendra signer la fin de cette incroyable aventure. Alors, même si son bateau avance au ralenti, il profite. Parce qu’après tout, ce dernier instant suspendu, c’est un peu comme rester quelques minutes de plus sous la couette avant que la journée ne commence : une parenthèse précieuse avant de plonger dans l’inconnu du retour. « Comparé à d’autres arrivées, c’est plutôt paisible. Il faut savoir savourer ces derniers instants. ». Ce sas de décompression, aussi ironique soit-il, est finalement le cadeau parfait.
Derniers milles, derniers contrastes
Pendant que le Rétais apprécie ses derniers milles sur l’eau, d’autres vivent une tout autre fin de course, dans un dernier sprint effréné vers les Sables d’Olonne. Oliver Heer (Tut Gut.) et Jingkun Xu (Singchain - Team Haikou) ont clairement choisi la prudence en passant au sud des Açores, évitant ainsi les dépressions les plus virulentes. Désormais positionnés à l’arrière d’un front, ils profitent d’un vent de nord-ouest qui leur permet de maintenir une bonne cadence. « On peut vraiment dire que j’ai l’impression d’être de retour dans des eaux familières et dans la dernière ligne droite. Bientôt, on va faire route vers le cap Finisterre », confie le Suisse. S’il réussit à tenir son rythme, il pourrait franchir la ligne dès dimanche après-midi. Mais il n’est pas à l’abri d’un ralentissement soudain. S’il tombe dans une zone de molle, son arrivée pourrait se compliquer et virer au combat au près face à un vent capricieux.
L’arrivée se rapproche, mais elle paraît encore interminable. J’essaie de ne pas trop y penser et me focalise sur l’essentiel : préserver le bateau et moi-même.
Derrière lui, Jingkun Xu évolue sur une trajectoire similaire, légèrement en retrait mais toujours dans des conditions soutenues. Il file à 20-25 nœuds dans une mer creusée de 3 à 4 mètres, brinquebalé comme un grain de café dans un moulin. « Beaucoup de bateaux ont eu des avaries ici et il faut que je fasse très attention. » Contrairement à Antoine Cornic, qui profite de ces derniers milles comme d’un ultime moment de sérénité avant le tumulte du retour à terre, le navigateur chinois reste pleinement concentré sur la course. « Passer sous la barre des 1 000 milles est une étape symbolique. L’arrivée se rapproche, et avec elle, les retrouvailles avec ma famille et mes amis. Ça me réjouit vraiment et ça m'aide à ternir le coup. » Certains savourent leurs derniers instants en mer, d’autres luttent pour chaque mille. Mais tous s’apprêtent à franchir le seuil entre solitude et effervescence. Bientôt, ils toucheront terre, mettant un terme à cette odyssée. Mais jusqu’au dernier souffle du vent, jusqu’au dernier mille avalé, c’est encore l’océan qui mène la danse…et il n’est jamais à l’abri d’un dernier pas de travers avant le final !