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Éric Bellion : « J’ai appris que j’étais un homme heureux »

Ce mercredi en milieu de matinée, Éric Bellion, skipper de Stand as One – Altavia, est arrivé aux Sables d’Olonne après 93 jours de navigation autour de la planète. Le 12 janvier dernier, il avait pris la difficile décision de se retirer de l’épreuve alors qu’il occupait la 29e place. La cause : l’axe de l’étai de la voile J2, récemment réparé, avait à nouveau cédé, mettant en péril la stabilité du mât. Confronté à des vents violents - 30 nœuds de moyenne et des rafales atteignant 50 nœuds en Atlantique Sud -, il s’était dérouté vers Port Stanley, aux îles Falklands, afin de sécuriser son bateau. Une avarie de ce type ne pouvait être solutionnée que sur mer plate et par des conditions clémentes, impossibles à trouver dans les jours suivants. Après les réparations, il avait repris la mer hors course le 16 janvier, animé par la volonté de boucler ce tour du monde coûte que coûte. Déjà en 2017, pour son premier Vendée Globe, le marin avait impressionné en terminant 9e et premier bizuth, un exploit remarquable pour un skipper qui n’avait encore jamais navigué en solitaire deux ans auparavant. Ce nouveau défi, malgré les embûches, démontre une fois de plus sa capacité à s’adapter face aux imprévus. Naviguant sur un IMOCA co-conçu avec Jean Le Cam et construit de manière plus simple et à moindre coût, il souhaitait montrer qu’il est encore possible de vivre de grandes aventures sans les moyens des écuries de pointe. En franchissant la ligne aujourd’hui, il prouve que la vraie victoire ne se mesure pas uniquement au classement, mais à la ténacité et au courage d’aller au bout de ses rêves.

LES SABLES D'OLONNE, FRANCE - 12 FEVRIER 2025 : STAND AS ONE - Le skipper d'Altavia Eric Bellion (FRA) est photographié lors de sa conférence de presse après avoir terminé le Vendée Globe hors course, le 12 février 2025 aux Sables d'Olonne, France - (Photo by Fred Olivier / Nefsea / Alea)
LES SABLES D'OLONNE, FRANCE - 12 FEVRIER 2025 : STAND AS ONE - Le skipper d'Altavia Eric Bellion (FRA) est photographié lors de sa conférence de presse après avoir terminé le Vendée Globe hors course, le 12 février 2025 aux Sables d'Olonne, France - (Photo by Fred Olivier / Nefsea / Alea)

Vendée Globe :

Quand on part sur un tour du monde en solitaire, on sait qu’on va forcément faire face à des soucis techniques. Mais est-ce que tu t’attendais à ces avaries-là en particulier ?

Eric Bellion
Éric Bellion
STAND AS ONE - ALTAVIA

Mes deux avaries sont, je pense, des avaries de jeunesse. La première concerne le système de tenue des safrans. C’est un système que nous avions déjà testé sur la Transat Anglaise, dans des conditions difficiles, notamment avec la mer agitée sur les Bancs de Terre-Neuve. On pensait vraiment que cette solution était validée… mais pas du tout. Pour l’anecdote, la première fixation a cassé au large de Madère. Je l’ai remplacée, mais toutes les autres ont cédé à l’entrée des mers du Sud, dans l’océan Austral. Ça a été un enfer. Il a fallu trouver une solution, en sachant que celle-ci n’était pas validée pour tenir le "guidon de la moto". On a eu un Indien très compliqué, et malheureusement, j’ai perdu énormément de temps à réparer ça… et à réparer mes voiles aussi. Cette première avarie m’a fait perdre pas mal de terrain.

Vendée Globe :

Le 1er janvier, on t’annonce la présence d’icebergs sur ta route. Comment as-tu vécu ce moment ?

Ce jour-là, je reçois effectivement un message de la Direction de course : « Bonne année, il y a deux icebergs devant toi. » C’est là que l’angoisse commence, car on sait qu’ils sont là… mais sans vraiment savoir où. J’ai déjà vu des icebergs, j’ai déjà navigué au milieu d’eux, mais avec des bateaux d’expédition en acier. J’adore ces géants de glace, c’est magnifique. Le problème, c’est que nos IMOCA, eux, n’ont que 3,6 millimètres d’épaisseur en carbone. Si on tape un growler ou même un simple bloc de glace, on casse le bateau… et dans ces eaux glaciales, cela peut être fatal. Le pire, c’était l’attente. Où étaient-ils exactement ? Impossible de le savoir avec précision. Puis, alors que j’étais à l’intérieur du bateau, je l’ai découvert, juste à ma droite… à quelques milles seulement ! Si certains skippers ont été pétrifiés en apercevant un iceberg, moi, au contraire, ça m’a libéré. Au moins, je savais enfin où il était.

Vendée Globe :

Le 12 janvier, tu annonces ton abandon. Pourtant, à terre, un incroyable élan de solidarité se met en place aux Falklands. Peux-tu nous raconter ?

Il faut garder ça plutôt que l’image de cet étai qui se balade. Tout ça a été un cauchemar. Aller à l’avant du bateau, en pleine mer, essayer d’empêcher la voile de se dérouler. Je me suis retrouvé dans l’endroit le plus mal famé des Malouines. Si j’avais abattu, j’aurais fini sur les cailloux. C’est vraiment un très mauvais souvenir. Mais j’ai eu une chance incroyable. Il y a 25 ans, j’ai fait un tour du monde avec deux copains, Brice et Hervé. Brice, lui, a élu domicile en Patagonie, il a connu beaucoup de monde là-bas et c’est lui qui a orchestré toute la solidarité pour m’accueillir sur place. Le plus fou, c’est que j’étais déjà venu aux Malouines… pour une avarie de gouvernail, il y a 25 ans ! Rebelote ! Ça a vraiment été un enfer et, honnêtement, si c’était à refaire, je ne le referais pas. Heureusement, j’ai été entouré de gens très professionnels et très calmes. C’est en voyant la sérénité dans leurs yeux que j’ai trouvé le courage d’y aller.

Vendée Globe :

Qu'as-tu appris de ce Vendée Globe ?

La première chose que cette course m’a apprise, c’est que j’étais un homme heureux. Et ça, c’est une vraie nouveauté pour moi. En 2016-2017, j’étais célibataire, avec une moto et un sac à dos. Aujourd’hui, j’ai une femme, une petite fille, un chien, une maison… et j’ai réalisé à quel point cela me rendait heureux. C’est une bénédiction, mais en même temps, ça a été compliqué à gérer au début de la course. J’ai ressenti une tristesse que je n’avais pas anticipée, une sorte de manque qui m’a accompagné pendant un moment. Mais avec le recul, cette tristesse signifiait justement que j’étais heureux. J’ai aussi énormément fait confiance à mon instinct. Il y a huit ans, j’avais mis du temps avant d’oser l’écouter. Cette fois, j’ai navigué en me fiant à lui, et j’ai compris que j’avais vraiment un bon instinct. J’ai appris tellement de choses : sur mon bateau, sur mes émotions, sur la tristesse et la déception… et surtout sur la façon de vivre avec, de les accepter tout en continuant à avancer. J’ai encore beaucoup à digérer. Le Vendée Globe, c’est l’inconnu. Chaque jour, on se retrouve dans des situations rocambolesques, dans une solitude extrême, une peur extrême, un inconfort extrême. Alors forcément, on en apprend plus sur soi que dans le confort de la vie quotidienne à terre.

Vendée Globe :

Et-ce-que tu vas y retourner ?

Il faut d’abord que j’en parle avec Marie, ma femme, mais oui, j’aimerais beaucoup revenir. Ce qui est génial, c’est cette frustration. En 2016-2017, je suis arrivé comblé. Je n’avais jamais fait de solitaire de ma vie, et pourtant, j’ai terminé premier bizuth, 9ᵉ, après avoir vécu une aventure totale, complètement folle. Cette fois, je reviens avec un sentiment différent. Je n’ai pas fini. Mon bateau est extraordinaire. Je peux encore l’affûter, encore progresser, et faire un tour du monde mieux préparé, plus affûté. Ce serait incroyable. Et puis, on a un bateau tellement unique, tellement engagé sur une autre voie. Moi, j’ai mes convictions. Je suis persuadé que la sobriété, la légèreté, la simplicité… c’est ça, l’avenir. Et j’ai encore envie de courir pour défendre ces valeurs.

Vendée Globe :

Le concept des IMOCA sans foil te paraît-il toujours pertinent ?

On a pris un gros caramel, c’est sûr. Les foilers nous ont mis une belle raclée. Ce serait intéressant de voir ce qu’aurait donné la course sans cette dépression qu’ils ont attrapée dans l’Atlantique Sud, et s’ils avaient navigué dans les mêmes conditions que nous. C’est clair qu’il y a un gros décalage maintenant, mais c’est aussi une voie extrême. Si le Vendée Globe ne devait se courir que sur ces bateaux-là, ça voudrait dire que moi et plein d’autres ne pourrions plus y participer. Heureusement, cette course garde une vraie diversité, et la performance ne se résume pas qu’à la vitesse. Avec Jean Le Cam, on a la conviction que ce bateau représente l’avenir, celui de la raison. Comme le dit la fameuse phrase du Guépard : « Pour que rien ne change, il faut que tout change. » Je ne sais pas si notre concept est celui du futur, mais en tout cas, on a eu le mérite de proposer quelque chose de différent. Je pense que c’est une voie intéressante, et j’attends de voir d’autres innovations émerger. Je suis certain que le record de Charlie Dalin sera battu, car on sait toujours aller plus vite, toujours plus loin… mais est-ce qu’on saura faire mieux avec moins ? Ça, ce n’est pas certain.


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