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Clarisse Crémer : «  j’aimerais un peu plus appuyer sur le champignon, être davantage en confiance »

PAROLES DE SKIPPER (36/40) : Quatre ans après sa douzième place, la record woman de l’épreuve est de retour. Entre-temps, bien des épreuves se sont dressées sur son chemin, avec lesquelles elle a dû apprendre à “faire la paix” pour renouer avec le plaisir d’être en mer, et de régater.

INCONNU - 19 JUILLET 2023 : Clarisse Crémer (FRA), skipper de L'Occitane en Provence, est photographiée le 19 juillet 2023 à Unknown - Photo by Georgia Schofield / Alex Thomson Racing
INCONNU - 19 JUILLET 2023 : Clarisse Crémer (FRA), skipper de L'Occitane en Provence, est photographiée le 19 juillet 2023 à Unknown - Photo by Georgia Schofield / Alex Thomson Racing
© Georgia Schofield | Alex Thomson Racing

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Des éclats de rire et des larmes qui coulent. Des petits bonheurs aussi rafraîchissants qu’un pamplemousse après deux mois de mer, et des peurs immenses, vertigineuses. Des doutes, et pourtant les résultats qui, eux, n’en laissent aucun sur son talent de marin. Le tout livré sans fard, avec l'œil qui pétille, les mots qui sonnent juste, et cette éternelle autodérision pour mettre à distance le trop-plein d’émotions. C’est avant tout ça, “Clacla”, comme elle s’auto-surnomme quand elle partage ses aventures iodées. Et le public s’en est vite épris, de cette jeune femme qui a balayé d’un revers de ciré tous les clichés du marin !

Après une Mini-Transat exemplaire conclue sur une 2e place en 2017, la navigatrice avait été projetée sur le devant de la scène en passant du Figaro à l’IMOCA en un claquement de doigts. Sur le Vendée Globe 2020, elle avait marqué les esprits, tant pour ses jolis récits que pour sa belle douzième place sur son bateau à dérives droites, la propulsant au rang de femme la plus rapide de l’histoire de la course. Une femme qui a ensuite désiré devenir mère, ce qui a conduit sa carrière, jusque là en croissance exponentielle, a subir un malheureux et brutal coup d’arrêt. De retour avec un nouveau partenaire sur un bateau au potentiel XXL, malgré un processus de qualification qui l’a mise sous constante pression et des accusations de triche dont elle est sortie blanchie, Clarisse Crémer sera bien en piste pour un deuxième Vendée Globe, et c’est déjà une victoire en soi pour la navigatrice de 34 ans. Après avoir surmonté tous ces obstacles, elle n’aspire qu’à vivre pleinement cette course pour laquelle elle s’est tant battue, et retrouver le plaisir de naviguer, qui ne l’a heureusement jamais quittée. 
 

Vendée Globe :

Dans quel état d’esprit te sens-tu, à quelques semaines du départ ? 

Crémer

Clarisse Crémer

L'OCCITANE en Provence

C’est sympa de demander (rires) ! Je dirais c’est un état d’esprit plutôt joyeux et positif, assez excitée de partir. Bien sûr, j’ai une petite ombre de stress et un léger sentiment de «  dans quoi je me suis encore fourrée », mais le tableau est plutôt lumineux. 
 

Vendée Globe :

A partir de quand tu t’es dit que tu avais envie d’un deuxième Vendée Globe ? 

C’est au Cap de Bonne Espérance, sur mon premier Vendée Globe. On le dit beaucoup, mais il y un peu quelque chose d’une drogue dans cette course, elle est très addictive. C’est étonnant et surtout hyper dur à expliquer avec des mots, mais c’est comme une planète inconnue, un lieu à part où tu vis mille émotions folles. Le Cap de Bonne Espérance, c’est après trois semaines de mer, une période qu’on vit rarement finalement en mer car les transatlantiques sont plus courtes. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il faudrait que j’y retourne. Comme pour un pays que tu découvres et où tu te dis tout de suite « là, il va vraiment falloir que je revienne, pour mieux comprendre ». Sauf que le pays que tu visites en plus, c’est toi-même. Oui, c’est un peu perché tout ça quand même (rires).

Vendée Globe :

Mieux comprendre ce pays inconnu qu'est toi-même, c’est ton objectif sur cette course ? 

Oui pour la partie plutôt intime. En fait, il y a plein de phases dans un Vendée Globe, c’est vraiment long. De l’extérieur, c’est difficile à en prendre conscience, mais pour nous en mer, sur chaque journée de 24 heures, il se passe un milliard de choses. Tu peux passer en quelques jours d’un sentiment d’être au plus profond du trou à la joie la plus pure qui te ferait passer à terre pour un illuminé complet. J’aimerais ressentir ces moments de joie, mais aussi mieux vivre les aléas que la dernière fois. Tomber moins bas. Et pour la partie sportive, j’aimerais un peu plus appuyer sur le champignon, être davantage en confiance. 

Vendée Globe :

Qu’est-ce qui a changé depuis ton dernier Vendée Globe ? 

Il s’est passé tellement de choses en quatre ans, parfois j’ai l’impression que c’est une autre vie ! La dernière fois, l’opportunité m’était un peu tombée dessus, et même si c’était une chance immense pour laquelle je suis toujours aussi reconnaissante, je crois que j’étais dans un état un peu ahuri, je ne réalisais pas bien. En plus, il y avait le Covid, c’était un moment bizarre et, en y réfléchissant, j’ai l’impression que j’étais un peu dans un trou noir, submergée par tout ce que ça représentait. Avant le départ, j’étais à la fois hyper curieuse et excitée et en même temps, j’avais un peu l’impression d’un compte à rebours qui m’emmenait vers l’abattoir. Franchement, j’étais revenue aux Sables trois jours avant le départ, un peu comme un zombie. Je crois que c’est ça qui m’a joué des tours dans les premiers jours de mon dernier Vendée Globe. Cette fois, et encore plus avec tout ce qui s’est passé, j’ai été moteur dans ce projet, et j’y retourne en pleine conscience, donc c’est très différent. 

Vendée Globe :

Ça n'a pourtant pas été un chemin facile pour arriver là, comment tu le qualifierais ? 

Lourd, fastidieux, pesant et tous les synonymes (rires) ! Il y a eu une première épreuve avec la perte de mon sponsor suite à ma grossesse et le gros coup dur médiatique qui s’en est suivi. Puis le début du projet avec L’Occitane en Provence, qui a demandé forcément beaucoup d’énergie, au moment où j’apprenais aussi le grand chambardement de la maternité. Et puis après, tout le processus de qualification a été hyper difficile, je ressentais une pression dingue. Et en janvier, quand j’ai commencé à sortir un peu la tête de l’eau, à me sentir mieux dans mon corps aussi, car ma fille avait un peu plus d’un an, c’est là que sont arrivées les accusations anonymes de triche sur le dernier Vendée Globe (ndlr : Clarisse Crémer et son mari, Tanguy Le Turquais, ont été blanchis de toute « mauvaise conduite » par un jury international). Je n’aurais jamais imaginé ça, cette violence. Malheureusement, les histoires sont complètement liées, il y a des gens qui ne voulaient pas que je sois au départ du Vendée Globe, mais j’essaie de mettre ça derrière moi. Ça ne reste que du bateau, il faut relativiser. 

Vendée Globe :

C’est forcément loin d’une préparation idéale, est-ce que tu es malgré cela satisfaite de ton projet actuel ? 

Un de mes rêves à la fin de mon premier Vendée Globe, c’était d’avoir plus de temps pour me préparer, et moins subir l’intensité du calendrier. La dernière fois, j’avais eu un projet très court en moins d’un an et demi, et là ça a fait exactement pareil. Donc c’était clairement pas ça mon idée de base. Pour le bateau c’est pareil, on n’a pas eu le temps d’entreprendre les modifications qu’on aurait pu imaginer pour me permettre d’être plus performante. Et puis, à titre personnel, j’ai laissé beaucoup trop d’énergie sur autre chose que le sportif, c’était dur.  Donc non, tout n’est pas comme j’ai rêvé, mais en même temps j’ai fait la paix. 

Vendée Globe :

Être au départ de ce Vendée Globe constitue déjà une victoire en soi ?

C’est sûr que j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de tout arrêter (rires) ! Mais si je me suis autant battue, c’est parce que j’en avais envie ! Il y a une forme de soulagement de partir sur l’eau et de n’avoir bientôt plus que des problèmes de marin, même s’ils sont compliqués à gérer évidemment. Mais je pars pour faire du bateau parce que c’est ce que j’aime faire. Quelque part, toutes ces histoires m’ont permis de clarifier les raisons pour lesquelles je pars. Et c’est la première fois depuis longtemps que je vais pouvoir naviguer avec un état psychologique égal aux autres, c'est-à-dire sans la pression de «  moi il faut que je finisse absolument sinon je serai pas au départ du Vendée Globe. »

Vendée Globe :

A travers ton parcours, tu es aussi devenue un symbole pour beaucoup de sportives et de femmes qui revendiquent le droit de combiner leur vie personnelle et leur vie professionnelle plus facilement. Tu en as conscience ?

En tant que sportif, on ne sauve pas le monde, mais on renvoie un message. J’ai toujours dit que notre seule valeur ajoutée pour une entreprise qui nous soutient, elle est de l’ordre des valeurs et de l’inspiration. Alors oui, si mon histoire peut participer à faire évoluer les mentalités sur des sujets aussi importants, tant mieux. 

Vendée Globe :

Et tu te retrouves aujourd’hui, sur ce très beau bateau, ancien IMOCA de Charlie Dalin, avec lequel tu as réussi à accrocher plusieurs top 10, notamment sur la Transat Jacques Vabre 2023 ! 

Pas autant que j’aurais aimé car encore une fois, il y avait cette pression de me qualifier, et on a aussi eu la casse sur The Transat CIC (fissure d’une cloison structurelle qui l’a obligée à une escale technique aux Açores, ndlr). J’ai beaucoup oscillé entre mettre le pied sur le frein pour assurer et vouloir me pousser. Mais j’ai envie de faire mieux que la dernière fois, de mettre le curseur plus haut, d’avoir une belle trajectoire et de me battre avec des bateaux de ma génération. Faire un top 10, ce serait génial. 

Vendée Globe :

Peux-tu nous partager ton meilleur souvenir à bord de ce bateau ? 

Un de mes meilleurs souvenirs, c’est peut-être un peu bizarre, mais c’est quatre heures après avoir cassé sur The Transat CIC. Quand j’ai vu que je le vivais bien, que la course était décevante mais que j’étais quand même contente d’être là, de retrouver le bonheur d’être en mer. Et puis, pour le côté compétition, le départ de la New York-Vendée où j’étais pas mal dans le match, et c’était assez cool cette sensation de faire de la régate avec un IMOCA. 

Vendée Globe :

Enfin, sur une note plus personnelle, toi et ton mari allez donc naviguer tous les deux sur ce Vendée Globe, et laisser votre petite Mathilda à la maison. Comment vis-tu cela ? 

C’est sûr que ce n'est pas anodin ! Ce qui est chouette c’est qu’on est le deuxième couple à vivre ça (après Samantha Davies et Romain Attanasio, avec leur fils Ruben, ndlr), et qu’on a pu partager nos expériences ! Évidemment, j’ai une grande peur, c’est qu’il lui arrive quelque chose pendant qu’on est en mer, mais ça fait partie de l’inquiétude d’être parent et c’est pas forcément différent à terre ! Mais de manière générale, quand je suis sur l’eau, ma fille est plutôt une force. Je pense à elle, et je sais exactement pourquoi je fais tout ça. 

Rencontre avec Clarisse Crémer, L'Occitane en Provence | Vendée Globe 2024

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