Il y a quatre ans, l’ancien figariste émérite était parti des Sables d’Olonne en quasi inconnu, et était revenu en héros. Avec son épaisse barbe rousse, ses larmes d’émotions et son improbable neuvième place sur un vieux bateau à dérives à bord duquel il n’avait navigué qu’une seule fois en solitaire avant le départ, le “branleur” de l’édition 2020, comme l’avait surnommé affectueusement Jean Le Cam, avait crevé l'écran. Quatre ans plus tard, le marin est de retour avec un peu plus de milles au compteur, une équipe largement étoffée, et surtout un “foiler” nettement plus performant, avec lequel il aura connu le pire comme le meilleur ces trois dernières années. Son deuxième Vendée Globe, il entend toutefois l’aborder avec la même philosophie, celle de vivre au jour le jour et saisir toutes les opportunités qui se présentent à lui avec, qui sait, la possibilité de faire à nouveau un hold-up.
Benjamin Dutreux : « On ne pourra jamais vraiment trouver les mots pour expliquer l’intensité de ces projets »
PAROLES DE SKIPPERS (10/40). Révélation sportive autant qu’humaine du dernier Vendée Globe, le marin islais avait montré toute sa pugnacité de compétiteur. Un tour de force qui lui a permis de gagner du galon, et de revenir en 2024 avec un projet plus abouti, et plus performant.
Vendée Globe :
A partir de quand as-tu eu envie de repartir sur un deuxième Vendée Globe ?
Assez tôt. Pas tout de suite après l’arrivée du précédent, parce que le mois après l’arrivée, j’étais plutôt en train d’essayer de récupérer, et j’étais pas capable de grand chose (rires). Mais grosso modo à partir du moment où on m’a appelé pour faire The Ocean Race Europe avec Offshore Team Germany (qui remporte l’épreuve dans la catégorie IMOCA, ndlr), j’ai commencé à essayer de me projeter sur un bateau disponible. J’avais le feeling qu’il fallait y aller tôt pour ne pas être en retard.
Vendée Globe :
En 2021, tu rachètes donc le premier “11th Hour Racing”, de l'Américain Charlie Enright. Trois ans plus tard, tu es content de ce choix ?
On est là où on voulait être. On a vécu beaucoup de choses en trois ans, et notamment des avaries majeures pendant The Ocean Race, dont un démâtage. Dans une aventure comme ça, on doute tout le temps, ça fait même partie de la réussite du projet. Mais les moments plus compliqués sont souvent effacés par les émotions positives derrière, ça décuple l’envie, la motivation, la cohésion de l’équipe. Il a fallu faire beaucoup d’investissements dans le bateau pour pouvoir le garder le plus compétitif possible avec nos armes, mais aujourd’hui on est prêts et, à quelques semaines du départ, on est dans le peaufinage.
Vendée Globe :
Il y a quatre ans, tu avais créé la surprise avec cette très belle neuvième place sur un bateau pourtant ancien, sans foils. Qu’est-ce que tu attends de ce deuxième Vendée Globe ?
Pas grand chose, et c’est justement ça qui est sympa (rires) ! J’essaie de ne pas me mettre de trucs dans la tête, je préfère ne rien prévoir. J’ai mis toutes les chances de mon côté dans ma préparation, et le reste, c’est pas moi qui ai la main dessus ! Je suis très dans l’instant présent et vivre le moment. Émotionnellement et sportivement, il n’y a rien d’anticipable avec la mer, avec la météo. Après, j’aime bien jouer avec les cartes que j’ai en mains, et me donner à fond. Il y a quatre ans, à aucun moment je me suis dit que j’avais un bateau moins bien que les autres. J’avais un bateau, point. Aujourd’hui, je n’ai pas d’objectif de classement, mais à la fin je saurai si j’ai rendu une bonne copie ou si j’ai été trop timide. L’important pour moi, c’est de mettre l’intensité qu’il faut. Sur The Ocean Race, on a poussé le curseur un peu trop loin par rapport à la réalité de notre bateau et de notre projet. Je ne veux pas tomber dans ce piège.
Vendée Globe :
Est-ce que tu as fait des choses différemment dans ta préparation ?
La dernière fois, je n’avais rien fait donc oui, c‘est facile (rires) ! J’ai repris quelques habitudes de mon époque Figaro, une préparation physique sérieuse et régulière. On peut vite se faire happer par le côté entrepreneur, j’ai essayé de séparer un peu plus les casquettes cette fois. Même si je suis loin de n’être qu’un pilote car on est encore un petit projet, j’essaie de m’en approcher !
Vendée Globe :
Est-ce que tu as des appréhensions ?
Tu m’aurais posé la question l’année dernière, je t’aurais dit oui, parce que je ne me projetais pas trop à vivre dans cette grotte. Mais depuis qu’on a fait des gros travaux sur l’ergonomie, avec un nouveau cockpit et un nouveau roof, c’est beaucoup plus vivable, alors la perspective est un peu plus sympa !
Vendée Globe :
Tu as la particularité d’avoir monté ton premier projet avec une très petite équipe, quasiment familiale. Cette fois, c’est un peu différent ?
C’est le changement majeur de ce deuxième Vendée Globe ! On est partis entre copains, à bricoler dans le garage en mode démerde, et on a essayé de se professionnaliser au fil des années. Aujourd’hui, on a encore un budget assez limité, mais on est une vraie équipe solide, avec plus de monde. C’est pas forcément plus simple à gérer (rires), mais c’est indispensable avec un bateau techniquement beaucoup plus complexe. Encore une fois, on a essayé de faire au mieux avec nos contraintes !
Vendée Globe :
Est-ce que tu peux nous partager ton meilleur souvenir avec ce bateau ?
Il commence à y en avoir quelques-uns ! Je dirais quand on a gagné le “inshore” à la Hague sur The Ocean Race, on revenait juste dans la course après notre démâtage, le scénario était top. Au final, c’est ce gros coup dur qui m’a permis de tisser le lien avec ce bateau. Avant ça, je ne me sentais jamais complètement à l’aise à bord. Mais quand je l’ai vu blessé, je ne sais pas comment le décrire mais ça m'a fait un déclic d’attachement. Ca m’a permis de prendre conscience de toute l’histoire qu’on était en train de construire. Avant ça, tout était allé si vite et si fort, sans que j’ai le temps de le digérer. Je pense qu’on ne pourra jamais vraiment trouver les mots pour expliquer l’intensité de ces projets.