Toutes les actualités

Vœux de marins

Ils sont là, formulés dans un coin de leur tête, murmurés à voix basse ou jetés par écrit dans un petit message du bord composé entre deux manœuvres. Tous les petits et grands vœux qui viennent ponctuer chaque journée et chaque nuit de nos solitaires, qui pour certains, ont même emporté un peu des nôtres avec eux.

COURSE, 11 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau GUYOT Environnement - Water Family lors de la course à la voile du Vendée Globe le 11 décembre 2024. (Photo du skipper Benjamin Dutreux)
COURSE, 11 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau GUYOT Environnement - Water Family lors de la course à la voile du Vendée Globe le 11 décembre 2024. (Photo du skipper Benjamin Dutreux)

Dans une course comme le Vendée Globe, les moments forts sont de différentes natures. Il y a bien sûr les exploits sportifs, les faits d’armes qui entrent illico dans les annales de la course au large, et seront rappelés au coin d’un feu de cheminée pendant de nombreux hivers - « Tu te souviens, cette journée où ils ont été six à battre le record des 24 heures ? – Oui oui, mais là faut remettre une bûche ! »

Il y a les tours de force techniques, les réparations improbables, et les sourires de victoire de ces marins-bricoleurs, le visage encore teinté par la résine, marqué par l’effort, le vertige, la peur de ne pas y arriver. Ce fut par exemple celle de Louis Burton (Bureau Vallée), qui déjouait tous les pronostics avant de se faire rattraper par le sort au large de l’Afrique du Sud, malheureux mercenaire contraint d’abandonner cette course qu’il aime tant.

Et puis il y a les moments d’émotions pures, qui arrivent sans avertir, et accélèrent le palpitant comme s’il surfait sur une longue houle du Sud. Sur cette dixième édition du Vendée Globe, le passage de Bonne Espérance de Jingkun Xu (Singchain Team Haikou, 34e) en fait assurément partie. Déjà parce que sa joie, ses mots, ses larmes sont puissants. Ils disent tous les sacrifices pour en arriver là, tous les doutes pour le marin handisport au bras amputé et toute la fierté surtout d’avoir traversé ce premier océan. Et comme si ça ne suffisait pas, le skipper chinois y a ajouté un petit supplément d’âme, une attention qui rappelle que l’aventure est surtout belle parce qu’elle est tant partagée. Sur les réseaux sociaux, il a proposé à ceux qui suivent ses aventures de lui envoyer leurs vœux, pour qu’il puisse les lire au passage de Bonne Espérance et rendre ainsi au Cap tout son sens. Le voilà donc à se filmer, égrenant les souhaits d’illustres inconnus qui rêvent de diplômes réussis, d’enfants en bonne santé, de voyages, mais aussi de le voir terminer sa course. « Ce n’est pas des vœux pour vous, vous faites des vœux pour moi ! », rit-il ému, comme dépassé par ce soutien venu du monde entier. 

« Mon bateau et moi arrivons à faire face »

Depuis, Jingkun Xu découvre l’Indien et ses violentes rafales à plus de 50 nœuds qui le laissent songeur sur son choix de voile. Sont-ce déjà ces innombrables vœux qui font effet ? Le voilà qui remonte au classement, lui qui a choisi une trajectoire Sud et nous explique :
 


C’est ma première fois dans les Mers du Sud, je ne peux pas dire que j’adore mais je suis excité d’être là ! Malgré les conditions en mer très compliquées avec les rafales très fortes, après un mois d’adaptation, je trouve que mon bateau et moi arrivons à faire face et nous sommes prêts ! Du vent très fort arrive dans les prochains jours, mais au lieu de prendre le chemin du Nord, qui est plus long, je préfère aller sur un chemin plus direct ! Ce n’est pas pour rattraper les autres bateaux de mon groupe, bien sûr mon objectif est la ligne d’arrivée, donc je ne vais pas prendre de risques en cherchant un moment de vitesse rapide, je reste très prudent en choisissant la voile à utiliser !

Jingkun Xu
SINGCHAIN TEAM HAIKOU

Dur au mal, le navigateur chinois montre qu’il l’est assurément, lui qui souffre de son épaule droite depuis le début de la course. « Après des années d’usure, elle est très très abîmée, chaque fois après beaucoup de manœuvres et de mouvements dans la journée, ça me fait très mal et ça m’empêche même parfois de dormir. J’ai déjà pris beaucoup de médicaments anti-douleurs, je ne peux plus en prendre donc pour l’instant j’essaie de subir », nous raconte-t-il, tout en formulant déjà un autre vœu, celui « de me soigner après le Vendée Globe ». On saura le lui rappeler s’il traîne à prendre rendez-vous à l’arrivée !

COURSE, 11 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Singchain Team Haikou lors de la course à la voile du Vendée Globe le 11 décembre 2024. (Photo du skipper Jingkun Xu)
COURSE, 11 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Singchain Team Haikou lors de la course à la voile du Vendée Globe le 11 décembre 2024. (Photo du skipper Jingkun Xu)

« c’est difficile de calmer le jeu »

Des petits et grands vœux, on en trouve partout dans la flotte, sur chaque bateau aux prises avec des conditions bien différentes. Des souhaits que le vent se calme sûrement, pour Antoine Cornic (Human Immobilier, 31e), Guirec Soudée (Freelance.com, 26e), Louis Duc (Fives Group – Lantana Environnement, 21e), et Tanguy Le Turquais (Lazare, 20e), actuellement les plus exposés de la flotte à une dépression puissante. Que Yoann Richomme  (PAPREC-ARKÉA, 3e) se calme pour Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 2e) qui voit son avance fondre à chaque pointage. Que les écarts se fassent ou, au contraire, se défassent, pour ceux qui sont en position de chasseur – Alan Roura (Hublot, 19e), Damien Seguin (Groupe Apicil, 17e), Paul Meilhat (Biotherm, 8e) –, ou de chassé – Giancarlo Pedote (Prysmian, 23e), Benjamin Dutreux (Guyot Environnement, 14e) ou Thomas Ruyant (VULNERABLE, 4e). 

Pour Romain Attanasio (Fortinet – Best Western, 15e), c’est peut-être que la machine à laver achève un cycle un peu trop long à son goût. Alors qu’il s’approche progressivement du Cap Leeuwin, le Briançonnais raconte :


Cet Indien n’est pas facile depuis le début, beaucoup de vent fort, et beaucoup de reaching, donc des conditions vraiment pas agréables, on est un peu terrés au fond du bateau, et les conditions sont tellement changeantes ! Hier j’ai fait une demi-journée à rouler-dérouler des voiles d’avant et prendre-renvoyer des ris, jusqu’à ce qu’un moment je me dise « mais attends en fait ça sert à rien, tu pers plus de temps à faire ça qu’à rester un peu sous-toilé » !

Romain Attanasio
FORTINET - BEST WESTERN

Lui qui est en bataille acharnée avec Pip Hare (Medallia, 16e) ne peut tout de même guère s’accorder de répit. « J’essaie de me faire un petit café de temps en temps et manger un carré de chocolat mais sinon c’est focus sur la course tout le temps ! On lâche rien elle comme moi, donc c’est difficile de calmer le jeu, moi si je perds un peu ça se voit tout de suite ! », sourit-il. 

Mais son vœu pourrait aussi être un peu plus prosaïque, notamment dans la gestion des petits tracas du quotidien ! 


On a une curiosité, surtout les skippers qui gèrent leur projet, les entrepreneurs, c’est quand même qu’on passe un temps fou à gérer ça ! Je passe plusieurs heures par jour à gérer l’entreprise, le banquier, des fournisseurs… Et puis il y a les enfants, ça prend du temps aussi de parler avec la maison, les coups de téléphone ça fait plaisir mais des fois faut gérer les profs absents, avant-hier c’était les enfants qui s’engueulent ! Ils ont passé deux jours à s’engueuler, donc il a fallu que je les appelle pour les engueuler à mon tour ! Voilà ça c’est la curiosité du navigateur solitaire !

Romain Attanasio
FORTINET - BEST WESTERN

Aux dernières nouvelles, le savon envoyé depuis l’Indien par papa a été efficace, comme quoi, il y a matière à garder bonne espérance… voire commencer à croire aux miracles !

« les routages font des trucs bizarres »

Du côté de Justine Mettraux (Teamwork – TEAM SNEF, 11e), il n’y en a pas eu cette nuit, alors que la navigatrice suisse a été ralentie dans une petite zone de transition sans vent, la faisant craindre de perdre son petit avantage durement acquis ces derniers jours sur Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 12e) et Samantha Davies (Initiatives-Cœur, 13e) :


On est restés ralentis plusieurs heures, c’était dans la nuit donc j’ai pas vu grand-chose, mais on est toujours dans un ciel un peu chargé, assez gris maintenant que le jour s’est levé. Là je viens de retoucher du vent, donc on va voir, mais je ne suis pas sure qu’il y ait de gros écarts à la fin et j’espère que je n’aurai pas trop perdu du terrain sur Boris non plus !

Justine Mettraux
Teamwork-Team Snef

Toujours très calme et positive, la première femme de la flotte reconnaît tout de même que « ça fait quelques jours entre les manœuvres et les conditions de vent pas faciles que j’ai pas pris trop trop de temps pour moi, j’ai juste écouté de la musique et des livres audio, sinon j’étais focus sur la course parce qu’avec l’état de mer et tout, c’était pas de tout repos… ». La suite pourrait-elle être un peu plus douce ? Rien n’est moins sûr :


Demain soir je devrais passer le Cap Leeuwin, et après faut que je regarde mieux. La météo a l’air pas très calée ou compliquée, parce que les routages font des trucs bizarres, donc faut que je prenne le temps de plus regarder ça, il y a des zones de vent fort, potentiellement des dépressions assez basses…

Justine Mettraux
Teamwork-Team Snef

Il faut se rendre à l'évidence, quand on touche à la puissance du Grand Sud, les vœux restent souvent pieux… Cela n’empêche pas les solitaires du Vendée Globe d’en formuler tous les jours, même s’ils ont coutume de répéter qu’ils « ne sont pas superstitieux, parce que ça porte malheur ».

COURSE, 12 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau MACIF Santé Prévoyance lors de la course à la voile du Vendée Globe le 12 décembre 2024. (Photo du skipper Charlie Dalin)
COURSE, 12 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau MACIF Santé Prévoyance lors de la course à la voile du Vendée Globe le 12 décembre 2024. (Photo du skipper Charlie Dalin)

Partager cet article

Dernières actualités