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Une aventure aux mille visages

Sur le Vendée Globe, les marins vivent un véritable ascenseur émotionnel et climatique, où les conditions changent aussi vite que les latitudes. Aujourd'hui, les écarts sont saisissants : certains approchent du mythique cap Horn, ultime porte de sortie du Grand Sud et de son atmosphère glaciale. Pendant ce temps, d'autres luttent dans le piège du Pot-au-Noir, où la chaleur écrasante, les grains imprévisibles et les calmes plats s’entremêlent. Plus au nord, entre les Açores et les Canaries, un groupe affronte une grosse dépression, naviguant dans des vents furieux et une mer chaotique. Chaque millier de kilomètres semble être un monde à part. À plus de 70 jours de course, l’adaptation est plus cruciale que jamais. Les conditions météorologiques extrêmes et imprévisibles ne sont qu’un des nombreux défis : à cette étape, les bateaux portent les stigmates d’une traversée éprouvante. Voiles fatiguées, systèmes électroniques capricieux, appendices endommagés... Les pépins techniques se multiplient - Sam Goodchild, le skipper de VULNERABLE, a explosé sa grand-voile au niveau de la troisième latte aux environs de 13 heures, ce lundi -, transformant chaque mille parcouru en un test de résilience et d’ingéniosité. Entre les extrêmes climatiques et les batailles mécaniques, les marins repoussent sans cesse leurs limites. Mais c’est aussi cela qui rend ce tour du monde si unique : l’exigence totale, face aux éléments comme face à soi-même, dans une aventure où rien n’est jamais acquis jusqu’à la ligne d’arrivée.

COURSE, 20 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau VULNERABLE SG lors de la course à la voile du Vendée Globe le 20 janvier 2025. (Photo du skipper Sam Goodchild)
COURSE, 20 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau VULNERABLE SG lors de la course à la voile du Vendée Globe le 20 janvier 2025. (Photo du skipper Sam Goodchild)

Lors d’un tour du monde à la voile, tout change à une vitesse vertigineuse, et les marins se retrouvent au cœur d’un voyage où la seule constante est l’adaptation. Les journées s’allongent ou raccourcissent au gré des latitudes, modifiant le rythme naturel et exigeant une réorganisation permanente. Les températures, elles, basculent entre extrêmes : on passe des morsures glaciales du Grand Sud aux chaleurs écrasantes des tropiques en l’espace de quelques jours. Les conditions météo, toujours imprévisibles, ajoutent une couche supplémentaire de complexité. Des vents hurlants et des mers déchaînées laissent soudain place à des calmes plats étouffants, forçant les marins à un équilibre constant entre patience et réactivité. Cette cadence effrénée de changements est aussi fascinante qu’exigeante. Elle force chaque skipper à puiser dans ses réserves mentales et physiques, tout en offrant des instants magiques, comme un lever de soleil dans le froid polaire ou une nuit étoilée sous un ciel tropical. Gérer ces transitions, c’est jongler entre émerveillement et concentration.

Naviguer entre les extrêmes

« Chaque jour, tout change : l’heure solaire évolue avec le décalage horaire, et les températures varient constamment. Plus on remonte vers le Nord, plus il fait chaud, et à l’approche de l’équateur, la chaleur devient carrément écrasante. Ensuite, en entrant dans l’hémisphère Nord, le phénomène s’inverse. C’est fascinant, car ces changements se ressentent vraiment au quotidien, et ça me surprend à chaque fois. Ce n’est pas comme en avion, où l’on passe de -10°C à 40°C en quelques heures. Ici, tout est progressif, mais cela n’en reste pas moins impressionnant. C’est magique de pouvoir observer ces transformations », a commenté Louis Duc (Five Group – Lantana Environnement) qui a partagé ses impressions après avoir franchi le fameux front froid du cap Frio. Désormais, il s’apprête à entrer dans une dorsale qui ralentit sa progression, avec des vents très faibles prévus dès ce soir. « Tout l’enjeu sera de choisir le bon moment entre la rotation et la pression du vent : à cet endroit, c’est toujours ça le débat », a expliqué le Normand, évoquant la fameuse aile de mouette, cette trajectoire courbée que les marins suivent pour contourner une zone sans vent, comme, dans ce cas, l’anticyclone de Sainte-Hélène.

Une vie à ciel ouvert

« C’est assez incroyable de voir comme les choses basculent vite. J’avais froid, puis soudain, je me suis retrouvée en t-shirt, et peu après, j’avais vraiment trop chaud. Je dois dire que c’est un "problème de riche" : il fait tellement lourd que je n’arrive pas à dormir. Malgré tout, c’est un réconfort », a assuré de son côté Isabelle Josckhe (MACSF). « On passe d’un extrême à l’autre. Les températures modérées ne durent même pas une semaine sur l’ensemble du tour du monde Hier, le thermomètre du bord a atteint 34° à l’intérieur du bateau, mais je dois avouer que retrouver de la chaleur après les Mers du Sud, ça fait du bien. Quand elle devient fatigante, je relativise en me souvenant des longues journées passées porte fermée dans le froid glacial du Grand Sud. Maintenant, il fait chaud, je peux naviguer porte ouverte, avec de la lumière. C’est une tout autre vie quand même ! », a relaté Giancarlo Pedote, alors rejoint par Arnaud Boissières


Honnêtement, passer du froid au chaud est plutôt agréable. En revanche, l’inverse l’est nettement moins. Pour l’instant, les conditions sont vraiment idéales, et je prends le temps de les savourer. Je m’accorde de longs moments sur le pont, café à la main, pour admirer le spectacle. Après tout, je suis en course sur le Vendée Globe, une aventure qui n’a lieu que tous les quatre ans, et c’est un privilège incroyable d’être en mer.

Arnaud Boissières
LA MIE CÂLINE

Chaque mille une bataille

Pendant ce temps, les marins qui naviguent dans l’Atlantique Nord font face à des conditions bien différentes. Là où les skippers de Prysmian, de la Mie Câline et une poignée d’autres profitent encore de la douceur des alizés et de températures agréables, les solitaires les plus en avant de la flotte affrontent une dépression particulièrement musclée. Sous des vents soufflant jusqu’à 55 nœuds et une mer chaotique, leur navigation est tout sauf confortable. « Il y a des montagnes de vagues. Ce serait presque mieux de nuit, au moins on ne les verrait pas ! On essaie de contrôler le bateau pour qu’il ne parte pas trop vite dans les surfs, sinon ça peut très mal finir en bas. C’est vraiment chaud. Je pense, ou du moins j’espère, être dans le pire de la dépression. Si ça se renforce encore, ça pourrait devenir vraiment compliqué. Il faut que le matériel tienne », a commenté Jérémie Beyou, en grimaçant et lâchant même des « oh putain » ou des « oh là là » à chaque impact de son IMOCA contre les rouleaux géants. Son but, dans ces conditions extrêmes où chaque mille parcouru est un exercice d’équilibre délicat entre vitesse et préservation du matériel, est de viser le cœur du système pour ensuite récupérer des vents plus favorables en direction de l’arrivée. Le hic ? Les derniers milles risquent malgré tout d’être délicats, notamment aux abords du cap Finisterre, où des conditions de près pourraient compliquer la navigation. Cela explique pourquoi les estimations d’arrivée (ETA) ont été légèrement révisées : le groupe emmené par le skipper de Charal est désormais attendu non plus mercredi soir, mais plutôt jeudi matin.

L’adaptabilité, clé du tour du monde

Ces contrastes entre la douceur des alizés pour certains et les déchaînements de l’Atlantique Nord pour d’autres illustrent parfaitement la réalité de l’épreuve. Chaque marin, où qu’il se trouve sur la planète, doit composer avec des défis uniques, dictés par les caprices de la météo et l’usure de son bateau. Dans cette course où rien n’est jamais acquis, chaque mille parcouru devient une victoire. Face aux éléments imprévisibles, aux pépins mécaniques et à la fatigue, l’adaptabilité et la résilience sont des qualités indispensables pour espérer franchir la ligne d’arrivée. Et c’est bien cette intensité, entre prouesses techniques et exploits humains, qui fait toute la grandeur du Vendée Globe.


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