Il y a quatre ans, Tanguy Le Turquais remontait le chenal, en zodiac, pour accueillir sa compagne, Clarisse Crémer. Dans l’effervescence et les sentiments mêlés du moment, le marin s’est dit qu’il pouvait en être, qu’il pouvait vivre ça, traverser le globe, ressentir le large et faire rêver. C’est le début d’une aventure qu’il a voulu à son image. Lui qui aime tant partager sa passion de la mer a trouvé en Lazare « un sens à son projet ». Cette association, qui développe des colocations solidaires entre de jeunes actifs et des sans-abris, s’offre ainsi une visibilité inédite. Ils ont avec Tanguy le meilleur ambassadeur par son authenticité, sa capacité à se dépasser et sa franchise. D’ailleurs, il est un des rares à évoquer ses angoisses et son appréhension à s’éloigner de sa petite fille. Interview sans filtre.
Tanguy Le Turquais : « j’ai besoin de partager mon bonheur d’être en mer »
PAROLES DE SKIPPER (39/40). Il a passé son adolescence sur le bateau paternel et a impressionné à la Mini-Transat avant de gravir les échelons de la course au large grâce à son abnégation et son authenticité. Tanguy Le Turquais rêve en grand en portant les couleurs de l’association Lazare et en espérant batailler avec les bateaux à dérive, notamment grâce à une sacrée capacité de résistance.
Vendée Globe :
Que ressens-tu à l’idée de disputer le Vendée Globe ?
J’ai des crises d’angoisse tous les soirs (rires) ! J’ai regardé récemment un reportage sur le Vendée Globe 2016 et je me disais que j’avais une chance incroyable. Je me sens tellement reconnaissant, extrêmement privilégié et plus ça se rapproche, plus ce sentiment est fort. Tous les matins, j’ai cette sensation de gratitude.
Vendée Globe :
Quel impact a eu le fait que tu assistes au Vendée Globe de Clarisse, ta femme, il y a quatre ans ?
Peut-être que ça m’a mis un coup de pied aux fesses. J’étais très heureux pour elle mais ça a forcément généré pas mal de frustration chez moi. Ça m’a peut-être donné cette énergie de bouger et de m’élancer à mon tour. Mais pense que l’acquis le plus conséquent, c’est de mesurer la difficulté et le stress pour les proches qui restent à terre. D’une certaine façon, ça me permet de comprendre davantage ce que ressentent les familles.
Vendée Globe :
Tu as passé une partie de ton enfance sur un bateau avec ton père et tes sœurs. Comment décris-tu le lien que tu as avec la mer et les bateaux ?
Oui j’ai grandi sur un bateau de mes 7 à mes 18 ans mais nous ne sommes jamais vraiment partis. Nous restions aux alentours, dans le Golfe de Gascogne, les îles Scilly, le Cap Finisterre… Ça m’a donné envie de découvertes, comme si ça faisait office d’accélérateur de rêves. Je ne nourrissais pas de frustration mais j’avais envie de bateaux plus gros, plus rapides, d’aller plus loin, de voir d’autres zones de navigation. Et c’est pour ça que j’ai voulu disputer la Mini-Transat.
Vendée Globe :
Cette adolescence, ça t’a permis d’être à l’aise en mer en toute circonstance ?
C’est vrai que je suis bien en mer et bien sur un bateau. Je peux y être pendant longtemps. C’est un quotidien comme dans une maison. Je n’ai pas vraiment d’appréhension à y être. J’y ai mes repères, je m’y sens bien. Mais ça ne m’empêche pas d’être malade parfois !
Vendée Globe :
En parallèle de ton apprentissage de la voile, il y a toujours dans ton parcours l’idée d’aider les autres. Avant de lancer ce projet Lazare, tu avais notamment effectué des croisières pour des enfants malades avec Rêve d’enfance quand tu étais jeune adulte…
J’ai un complexe avec ce plaisir égoïste de la course au large où je dois demander à beaucoup de personnes de se dépasser pour que je puisse faire du bateau. Le besoin de partager mon bonheur avec un maximum de gens, c’est peut-être une façon de soulager ma conscience. J’ai toujours eu envie que mes projets ne soient pas seulement pour moi, qu’ils se partagent. Je pense souvent au film "Into the Wild" : c’est un homme qui part seul mais qui a la fin comprend que le bonheur est avant tout celui qu’on partage.
Vendée Globe :
Justement, parlons de Lazare. Pourquoi cela dépasse le cadre d’un partenariat classique ?
C’est une grande chance de disputer le Vendée Globe et il était hors de question de garder ça pour moi. Faire profiter Lazare de cette aventure, ça fait vivre mon projet. L’association a besoin de visibilité afin d’aider un maximum de personnes à sortir de la rue. Offrir une médiatisation à cet engagement, c’est une grande fierté. Et avec du recul, entre l’association et moi, je ne sais plus vraiment qui a apporté le plus à l’autre !
Vendée Globe :
Dans ta préparation, il y a eu des moments très forts et d’autres très durs : une Transat Jacques Vabre mouvementée à cause de problèmes techniques, la polémique suscitée autour de soupçons de triches… Ça t’a changé ?
Oui, d’ailleurs le bonhomme que j’étais il y a deux à trois ans n’était pas capable de faire le Vendée Globe. Je ne vois pas ce que j’ai enduré comme une épreuve mais comme une opportunité. Ça m’a permis de me renforcer, de m’endurcir et d’être plus résilient. Les épreuves que tu surmontes permettent de créer de la confiance. Et désormais, je suis prêt à affronter tout ce que réserve le Vendée Globe.
Vendée Globe :
Tu es aussi un compétiteur. Quelle sera ton ambition ?
Bien sûr, j’y vais pour la compétition. Me dépasser, aller à fond, c’est ce qui m’anime ! J’ai conscience de mes forces et de mes faiblesses. Je pense avoir un bon bateau pour terminer le Vendée Globe. Et puis j’espère être un des animateurs de la bataille entre bateaux à dérive et pourquoi pas viser un podium.
Vendée Globe :
Que t’attends-tu à ressentir dans les mers du Sud ?
Ça m’angoisse et plus on s’en rapproche, plus ça m’angoisse ! Dans ma tête, je me projette d’abord jusqu’au Cap Vert. J’ai envie de prendre la course étape par étape et si ça se passe bien, il y a un moment où je serai dans les mers du Sud !
Vendée Globe :
Tu évoques avec franchise tes angoisses. Comment est-ce que tu composes avec elles ?
Je me rends compte que je ne conscientise pas le stress pendant la journée. Ça a lieu surtout le soir avant de dormir, dans cet entre-deux entre l’état encore éveillé et le sommeil. Je ne suis plus vraiment lucide et j’ai ces angoisses, ces cauchemars qui sont en général des problèmes pour Mathilda (sa fille NDRL) et Clarisse. Je ne sais pas vraiment comment les gérer, si ce n’est en me focalisant chaque jour sur mes objectifs et en acceptant qu’elles puissent survenir.
Vendée Globe :
On pose toujours la question aux femmes mais toi, comment vas-tu vivre l'éloignement avec ta fille pendant trois mois ?
Je crois sincèrement que c’est la partie la plus dure du projet. Ces derniers mois, on a tout fait pour profiter à fond avec Mathilda et Clarisse. J’ai voulu me « nourrir d’elles » au maximum. Ce Vendée Globe, c’est un beau cadeau, j’ai envie d’en profiter à fond. Comme lors de mes courses précédentes, j’espère que je serais capable de me mettre dans une bulle afin de ne pas être dans le dur à cause de l’éloignement.
Vendée Globe :
Tu es quelqu’un d’entier, qui aime raconter ce qu’il vit, le partager. Tu réfléchis à la façon de « te raconter » pendant trois mois ?
Oui, j’y réfléchis beaucoup. Le fait que Tanguy termine 5e ou 25e, tout le monde s’en fiche. Par contre, on s’attachera davantage à la manière dont on raconte cette histoire. Je n’ai pas un projet gagnant donc l’énergie que je ne mettrai pas à tout faire pour gagner, je la mettrai dans ma capacité à raconter. J’ai envie de garder de la spontanéité, de ne pas scénariser, d’être sans filtre. Ça ne change pas beaucoup finalement. Raconter le réel, c’est un peu notre marque de fabrique avec Clarisse !