Une première année pour découvrir un bateau à foils, une deuxième pour se lancer dans le grand bain du solitaire à son bord, une troisième pour gagner en performance… le plan était presque parfait pour que Romain Attanasio puisse prendre le départ de son troisième Vendée Globe, celui qu’il souhaite “rapide et aérien”, dans les meilleures conditions possibles. Hélas, la course au large ne souffre guère les parcours sans accrocs ! A moins de trois mois du départ, voilà que le natif des Hautes Alpes démâte sur le Défi Azimut. S’en suit une opération commando pour récupérer et financer un nouveau mât, et permettre au skipper de rejoindre à temps les Sables d’Olonne… Un marathon éreintant, mais qui a permis à nouveau de montrer toute la solidarité des gens de mer, la résilience des équipes de course au large, et la motivation sans faille de ce marin d’exception, qui partage toujours avec une bonne dose d’humour et d’autodérision le quotidien de “quelqu’un d’ordinaire qui fait quelque chose d’extraordinaire”. Sauf qu’en prenant le départ de son troisième Vendée Globe, il faudra bien un jour que Romain Attanasio reconnaisse qu’il n’est plus si ordinaire que ça !
Romain Attanasio : « Je suis excité de retourner dans l’inconnu »
PAROLES DE SKIPPER (31/40) : Pour son premier Vendée Globe, il visait l’aventure et avait été servi. Sur son deuxième, il espérait de la compétition mais avait dû vite y renoncer, la faute à un chapelet de problèmes techniques. Cette fois, Romain Attanasio revient sur un foiler pour « jouer en Ligue 1 », malgré son démâtage à trois mois du départ.
Vendée Globe :
On va commencer avec le sujet qui fâche, et ce démâtage malheureux sur la dernière course de l’année, le Défi Azimut. Est-ce que tu peux nous raconter ce qu’il s’est passé et comment se sont déroulées ces dernières semaines ?
Romain Attanasio
Les journées sont bien chargées ! Sur le coup, quand ça tombe, je me dis “Putain, il n’y a pas de Vendée pour moi”. Je suis désespéré, tout s’écroule. J’ai l’habitude pourtant, j’en parle à chaque fois dans mes conférences de comment on gère les aléas. Sur mon premier Vendée, ça avait été un safran, sur le deuxième le chariot de grand-voile. Au final, il y a toujours une solution, c’est quelque chose que j’ai appris. Mais sur le coup, ça n’empêche que t’es là le pont, bras ballants, ça dure cinq minutes. Et puis heureusement, tu repasses dans l’action et tu te remontes les manches. Dans notre malheur, on a aussi pu profiter à fond d’un élan de solidarité génial. On a lancé une cagnotte qui a super bien marché, merci d’ailleurs à tous ceux qui nous ont aidé, et puis côté skippers aussi, ça a été hyper fort. Il y a Maxime Sorel qui m’a vendu son mât de rechange, Boris Herrmann, qui m’a donné du matériel, tout l’équipe a été à fond, nos partenaires ont répondu présent pour aider à payer la facture. On a récupéré sur de bons rails. Il y aura un troisième Vendée Globe, c’est sûr. Enfin aussi sûr qu’on peut l’être en course au large. Ça va être long jusqu’au bout et on aura plein de bricolage à faire aux Sables d’Olonne, mais au moins on va pouvoir montrer concrètement à quoi ressemble notre travail !
Vendée Globe :
Et ton état d’esprit dans tout ça ?
Il y a tellement d’imprévu dans ce métier où il faut pourtant toujours tout caler en amont, c’est paradoxal. Ce qui est drôle, c’est que je n’avais jamais été aussi prêt, et puis en fait non. Cet été vraiment, j’étais tranquille pour la première fois, c’est peut-être un truc de karma d’ailleurs, parce que je voyais certains s’entraîner et je me disais que c’était bien cette fois de ne pas avoir à être dans le jus jusqu’à la dernière minute. Donc on va dire ça : je n’ai jamais été aussi pas prêt mais alors pas prêt du tout, et j’essaie de prendre ça avec autant de philosophie que possible !
Vendée Globe :
Ce troisième Vendée Globe sur un foiler, tu en rêves depuis quand ?
Le premier Vendée Globe c’était vraiment pour l’aventure, le deuxième je voulais attaquer mais j’ai eu vraiment trop de problèmes techniques pour ça, alors j’ai eu le temps de gamberger… Quinze jours avant d’arriver aux Sables d’Olonne, pile au moment où on sent l’écurie, j’étais déjà en train de faire mes calculs et d’envoyer des messages sur l’eau à Boris Herrmann pour racheter son bateau ! C’est un projet que j’ai monté avant même d’arriver…
Vendée Globe :
Comment s’est passée la prise en mains de ce nouveau bolide justement ?
Pas top au début, puisque Boris avait eu son accident à 90 milles de l’arrivée aux Sables, une collision avec un bateau de pêche qui avait bien abîmé le bateau, donc ça a commencé par un beau chantier, et puis une passation d’un bon mois en mai 2021. La première navigation s’est faite dans 5 nœuds de vent et je me dis “tranquille”. La deuxième était dans 15-20 nœuds, on commence instantanément à voler comme des dingues, et là franchement je me suis dit : “Qu’est-ce que j’ai fait, je n’y arriverai jamais seul !” Mais c’était exactement pour ça que j’avais voulu récupérer le bateau tôt, pour avoir trois ans pour m’y faire. Et maintenant, quand le bateau vole je vais dormir, comme quoi on s’habitue à tout (rires) !
Vendée Globe :
Ce sont malgré tout des bateaux plus éprouvants physiquement. Sur le Retour à La Base en décembre 2023, tu t’es d’ailleurs blessé à la tête dans un choc. Est-ce que tu appréhendes cet aspect dans ce nouveau tour du monde ?
Ça n’a plus rien à voir avec un bateau normal, il faut imaginer que je vise un mois de moins que mon premier Vendée Globe, c’est hallucinant le différentiel de vitesse, et à quel point on tire plus sur le bateau et sur le marin. A force de naviguer, je me suis habitué à la dureté, mais c’est vrai qu’on souffre physiquement. Je navigue avec un casque, des bouchons, il y a des chocs qui te plaquent les vertèbres, si t’as la bouche ouverte tu sens tes organes trembler. Alors oui, forcément, on se demande ce que ça va faire à l’organisme 75 ou 80 jours comme ça. Mais je n’appréhende pas plus que ça, et quelque part je suis excité de retourner dans l’inconnu. Mon deuxième Vendée Globe restait relativement comparable à mon premier, là je replonge dans l’inédit.
Vendée Globe :
C’est pour ça que tu y retournes ?
Ah, ça c’est la question en or, pourquoi on y va. Je crois qu’il n’y a pas d’autre raison de faire le Vendée Globe que d’aller grimper l’Everest pour un alpiniste : parce que c’est le plus haut, le symbole d’un des trucs les plus difficiles à accomplir. Par contre, c’est vrai que les montagnards vont rarement grimper deux fois, voire trois fois l’Everest, alors que nous, marins, on aime bien y retourner sur le Vendée. Je ne l’aurais pas refait trois fois avec "le pingouin”, mon premier IMOCA, il n’y a pas d’intérêt à refaire si on ne monte pas la barre de l’exigence envers soi.
Vendée Globe :
Et tu l’as placée où cette barre alors, après ta quinzième place en 2016 et ta quatorzième place en 2020 ?
J’en sais rien ! J’ai fait à peu près dans les dix premiers à toutes les courses, j’ai du mal à aller au-delà. Ce bateau a déjà deux éditions du Vendée Globe, je me fais déposer par les IMOCA plus récents, alors c’est dur de viser plus haut… mais dans le Sud mon bateau est un 4x4, j’espère pouvoir tirer un peu plus dessus que les autres ! En fait, je crois que pour résumer l’idée, j’y vais pour avoir la sensation d’être en Ligue 1, je serais déçu si ce n’était pas le cas.
Vendée Globe :
On va te voir plus attaquant alors ?
Oui et non. Il y a un truc que je n’ai jamais oublié, un appel de Thierry Dubois, trois semaines avant mon arrivée sur mon premier Vendée Globe. Il me racontait qu’il avait vu Bernard Stamm il y a quelques jours, qu’ils parlaient de leurs Vendée Globe, du fait qu’ils n’avaient jamais terminé et que c’était une frustration énorme. Et il finit comme ça : “tout ça pour dire qu’on s’en fout du résultat, il faut que tu termines”. Je me souviens avoir raccroché, et j’étais sorti pour prendre un ris (rires) ! Je veux arriver aux Sables, c’est sûr. Ce qui est dur sur le Vendée Globe, c’est que tu passes trois mois à te demander quand ça va te péter à la gueule, ça fait long sans desserrer les dents, mais j’espère trouver où placer le curseur !
Vendée Globe :
Tu ressens davantage de pression ?
Tout a changé en quatre ans, le budget est bien plus important. Mon premier Vendée Globe avait été fait avec des PME régionales en soutien, là ce sont deux grosses sociétés internationales américaines que je ne veux forcément pas décevoir. J’ai plus de pression qu’il y a huit ans forcément, il y aura plus de monde sur la ligne aussi.
Vendée Globe :
Tu as toujours partagé avec beaucoup d’enthousiasme et d’humour ton quotidien en mer, et le public te suit pour ça. Est-ce que tu penses pouvoir continuer à le faire malgré cette pression accrue ?
J’essaie de rester le mec souriant, mais franchement ce n’est pas évident à cause du bateau. C’est hyper exigeant, on a moins le temps pour ça, il y a le mal de crâne, c’est dur de garder la fraîcheur et la spontanéité. Par la force des choses, j’ai moins la candeur des débuts ! Mais je veux garder cette honnêteté, je ne suis pas du tout dans le calcul psychologique. Quand je casse un truc, je le dis. Malgré la difficulté, j’essaie de raconter ce qui se passe le plus sincèrement possible. Je ne sais pas ce qui m’attend, mais je sais que ce que je communiquerai ce sera que du vrai. C’est hyper important pour moi.