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Qui voit les Kerguelen voit sa peine

Si l'on s'excuse auprès des Molénais pour le plagiat proverbial, l’approche de l’archipel austral ne se fait effectivement pas sans douleur pour la tête de flotte. Mais c’est surtout l’annonce de l’abandon de Louis Burton (Bureau Vallée), victime d’une avarie mécanique, qui est venue donner le vague à l'âme aux marins de cette dixième édition du Vendée Globe.

COURSE, 03 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Groupe Dubreuil lors de la course à la voile du Vendée Globe le 04 décembre 2024. (Photo du skipper Sébastien Simon)
COURSE, 03 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Groupe Dubreuil lors de la course à la voile du Vendée Globe le 04 décembre 2024. (Photo du skipper Sébastien Simon)

C’est rare qu’un surnom ne soit pas un tant soit peu mérité. Quand celui qui nous a été affublés est celui « des îles de la Désolation », il y a de quoi se remettre un peu en question. Le voilà ce confetti de terre volcanique, perdu au milieu du vaste Océan Indien, que vont déborder dans les prochaines heures le duo de tête de ce Vendée Globe. Mais si par le passé, d’illustres marins comme Isabelle Autissier ou Bernard Stamm s’y sont réfugiés pour réparer, nul doute que Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) et Sébastien Simon (Groupe Dubreuil), eux, ne voudront pas s’y éterniser. 

Car la dépression est bien là, s’enroulant sur le fichier météo en une botte de paille violacée que n’aurait sûrement pas renié un Van Gogh sous substance prohibée. Plus d’une cinquantaine de nœuds en rafales, une mer qui va progressivement se soulever : l’enjeu pour ces deux échappés est de maintenir leur vitesse pour rester aussi longtemps que possible devant le plus gros des problèmes. Mais au petit matin, Charlie Dalin semble mieux s'en tirer, et affiche désormais près de 100 milles d'avance sur son dauphin sablais. 

Un peu plus au Nord, chacun tente de se frayer un chemin, tout en sachant que le moment n’aura, quoi qu’il arrive, rien d’anodin. SI Jérémie Beyou (Charal, 5e) et Nicolas Lunven (Holcim-PRB, 6e) naviguent encore de concert, Yannick Bestaven (Maître CoQ V, 9e) a emboîté le sillage de Sam Goodchild (VULNERABLE, 7e) pour redescendre vers le Sud-Est. Pour tous, les heures à venir ne seront pas des plus reposantes, et c’est un bien maladroit euphémisme.

MacGyver n'a pas pu lutter

A 1 700 milles derrière le leader, la nuit a été encore plus douloureuse pour Louis Burton. Pour le skipper de Bureau Vallée, victime d’une sérieuse avarie sur son gréement, il n’y a cette fois pas eu de miracle. Même MacGyver ne peut pas lutter quand le sort mécanique s’acharne ! Après ses réparations structurelles dans l’Atlantique Nord, l’expérimenté marin aux deux tours du monde bouclés, cette fois sans solution, a dû annoncer, le cœur brisé, son abandon. Celui qui évoluait en 16e position au moment de sa casse devrait mettre 36 heures pour rallier Cape Town, au près, dans des conditions de mer et de vent fortes.

Car la porte sud-africaine n’a rien d’accueillant, dans l’instant. Franchie par Isabelle Joschke aux premières heures de la nuit, qui se fait de plus en plus courte pour nos marins lancés à la poursuite du soleil, la navigatrice de MACSF (19e) nous décrivait ses conditions : 
 


Le passage du premier front s’est plutôt bien passé, apparemment j’ai battu mon record de vitesse sur 24 heures avec mon bateau, c’était invivable à bord mais c’était sympa comme tout ! Une espèce de course contre-la-montre pour rester en avant du front, j’ai trouvé ça très cool. Par contre derrière ça a été un peu la douche froide, la mer s’est levée, le vent aussi, et depuis hier après-midi j’ai eu des conditions infernales, avec un vent hyper instable, de 25 à 45 nœuds, il y avait besoin d’être sur le qui-vive en permanence. Le bateau, ça lui arrivait de taper dans des surfs, ça c’est vraiment un truc que j’ai vécu il y a quatre ans, et c’est un peu le grand stress des Mers du Sud, c’est hyper chaud !

Isabelle Joschke
MACSF

« J’étais jamais vraiment sorti de mon jardin »

Derrière Isabelle Joschke, le gros du peloton va progressivement faire son entrée dans l’Océan Indien dans ces conditions chahutées, à l’exception bien sûr de Szabolcs Weöres (New Europe, 39e), encore aux prises avec l’Atlantique Sud. Et pour les « bizuths » de ce tour du monde, le franchissement de ce premier cap n’a rien d’un parcours de santé. Et ce n’est pas Tanguy Le Turquais (Lazare, 20e), lui qui a même eu dans la journée « un petit épisode de mal de mer bizarrement », qui dira le contraire :


Je pense que c’est lié en partie à l’état de la mer et à un peu de stress parce que je suis en train de découvrir ce que c’est les Mers du Sud. Aujourd’hui c’était vraiment la journée découverte, initiation. J’ai toujours cru que j’étais un marin avec un peu d’expérience, et aujourd’hui je me suis aperçu que j’étais jamais vraiment sorti de mon jardin, et là c’est un truc de malade. J’en prends plein les yeux. La mer c’est n’importe quoi, c’est pas rangé du tout cette histoire, la houle est raide, ça déferle, c’est dans tous les sens, le ciel est rempli de nuages noirs, c’est un mélange à la fois magnifique et à la fois hyper angoissant, et j’ai passé la journée un peu bloqué à regarder dehors, à me dire « c’est pas possible, c’est un truc de malade ce qu’on est en train de vivre ».

Tanguy Le Turquais
Lazare

COURSE, 04 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Lazare lors de la course à la voile du Vendée Globe le 04 décembre 2024. (Photo du skipper Tanguy Le Turquais)
COURSE, 04 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Lazare lors de la course à la voile du Vendée Globe le 04 décembre 2024. (Photo du skipper Tanguy Le Turquais)

Et puisque le marin sait qu’il faut toujours quelques analogies pour les béotiens, voici la traduction pour nous autres terriens : 


C’est le genre de météo où quand t’es chez toi, t’oses à peine aller te faire une balade parce que tu sais que c’est vraiment pas raisonnable parce qu’il fait trop mauvais. Bah nous on est en train de faire du bateau là-dedans au milieu de rien. Donc ça me met dans un état de contemplation maximal, mais aussi un peu d’angoisse.

Tanguy Le Turquais
Lazare

Voilà pour la leçon inaugurale, qui donne une petite mesure de l’aventure dans laquelle ils se sont tous lancés. Comme si jusque-là, les 6 400 milles parcourus n’avaient été qu’un apéritif, une vague histoire de pique-assiettes qui se seraient invités dans un gala mondain. Là, voilà, ils sont à table. A la table des grands, même. Et bien servis. Même s’ils n’en quittent pas pour autant, pour notre plus grand plaisir d’ailleurs, leur regard de grands enfants :


L’autre jour je me faisais la réflexion que sur une solitaire de Figaro, j’avais fait Dunkerque Saint-Nazaire et j’avais trouvé ça incroyable d’avoir quasiment fait la France Nord-Sud. Et là on a fait les Sables d’Olonne-Bonne Espérance, c’est vraiment un truc de malade, ça me fascine, je trouve ça trop cool. J’ai peur, j’ai des angoisses aujourd’hui, mais je kiffe quand même de ouf.

Tanguy Le Turquais
Lazare

Et nous donc, M. Le Turquais, et nous donc.

COURSE, 04 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Hublot lors de la course à la voile du Vendée Globe le 04 décembre 2024. (Photo du skipper Alan Roura)
COURSE, 04 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Hublot lors de la course à la voile du Vendée Globe le 04 décembre 2024. (Photo du skipper Alan Roura)

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