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Pétole brute

S’il y a devant deux impétrants qui semblent évoluer sur une autre planète, derrière, il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Ou plutôt de « moisi », comme le disent si bien nos marins pour décrire toutes ces situations qui ne fleurent pas grand-chose d’autre que la belle prise de tête.

COURSE, 22 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Fives Group - Lantana Environnement lors de la course à la voile du Vendée Globe le 22 décembre 2024. (Photo du skipper Louis Duc) Le skipper de FOUSSIER Sébastien Marsset (FRA) en vue
COURSE, 22 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Fives Group - Lantana Environnement lors de la course à la voile du Vendée Globe le 22 décembre 2024. (Photo du skipper Louis Duc) Le skipper de FOUSSIER Sébastien Marsset (FRA) en vue

Il faut sélectionner l’option 3D sur la cartographie pour saisir l’ampleur des métavers qui séparent nos 36 solitaires encore en course sur cette dixième édition du Vendée Globe. Là seulement, en basculant de notre clic tout-puissant la terre comme une boule de Noël multicolore, et en se plaçant du point de vue de l’Antarctique, on réalise que les manchots ont décidément un sacré chapelet à contempler… 

Car entre le leader actuel Yoann Richomme (PAPREC-ARKÉA) – fort de sa colossale avance de 2 milles sur son dauphin Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) – et le dernier de la troupe, le Belge Denis Van Weynbergh (D’Ieteren Group, 36e), il y a désormais plus d’une demi-planète d’écart. Les deux premiers verront le Cap Horn et la fin du Pacifique avant que la lanterne rouge ne voit le Cap Leeuwin, et le début de la fin de l’Indien. Vous imaginez ? Au petit matin ce 23 décembre, plus de 6 800 milles les séparent : 12 600 kilomètres qui donnent autant le vertige que la mesure…

« Le dindon de la farce »

« C’est sûr que c’est deux mondes différents, après c’est ça qui fait la richesse du Vendée Globe », commentait d’ailleurs cette nuit le marin belge, qui a patiemment construit son rêve de grande boucle, grâce à son équipe 100 % bénévole et cette pugnacité que personne ne pourra jamais lui enlever. Alors oui, il est loin et en a bien conscience, mais cela ne l’empêche pas de mener sa course, contre lui-même, contre les aléas, et surtout contre les éléments :
 


Ces deux semaines dans l’Indien sont longues, c’est compliqué comme océan, comme météo, ça change tout le temps et puis on a souvent des grosses différences entre les fichiers et les conditions réelles. On a des rafales qui arrivent d’un coup comme si on avait un petit bonhomme au-dessus de nous qui soufflait très fort, avec ses grosses joues ! Ça fait accélérer le bateau fort et parfois ça le couche même ! J’essaie de gérer de manière prudente, comme je sais faire, j’espère en bon marin.

Denis Van Weynbergh
D'IETEREN GROUP

En marin qui fait comme il peut, surtout. C’est en tous cas ce que se doivent se dire la plupart des solitaires qui composent avec des vents précaires, à commencer par Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 12e), qui mène le gros du peloton depuis qu’elle a raté le dernier Mettraux, et laissé s’échapper bien malgré elle tout espoir de batailler pour le groupe du top 10, où ferraillent tout autant un Thomas Ruyant (VULNERABLE, 4e) qu’un Paul Meilhat (Biotherm, 9e). 

Là voilà désormais après cinq jours au près, sur une mer vaguement repassée mais dans un vent mollasson, à chercher encore et toujours la bonne solution. « J’ai un peu l’impression, et c’est de saison, d’être le dindon de la farce », plaisante tout de même la navigatrice, un peu déçue de sa recette : 


Un Vendée Globe c’est quand même une grosse régate, et se dire que ça se joue à ça, c’est pas injuste, parce que de toutes façons dans le sport il n’y a aucune notion de justice et la voile encore moins, mais c’est pas très fun ! J’étais un peu sur mon petit nuage d’être dans mon groupe avec Sam, Boris et Justine et que ce truc là s’arrête, c’est dur, parce que je me rends compte que ça me portait. Et là, en plus, tout est fait pour remuer le couteau dans la plaie : ils passent le Cap Horn quatre jours avant toi, potentiellement dans des conditions un peu plus faciles, t’as vite fait de te comparer et de voir tout en noir !

Clarisse Crémer
L'OCCITANE en Provence

Car le pain blanc n’est pas au menu des fêtes de fin d’année de ces retardataires. « Je route avec maximum 6 mètres de houle, ce qui est déjà pas mal, et ça ne fait pas une route très belle pour passer le Cap Horn… Pour l’instant, on fait un peu le grand tour, donc on monte assez Nord par rapport à ceux de devant, presque 300 milles plus Nord qu’eux ! Donc bon, rires, c’est la petite sanction… Après ça peut encore changer ! », nous explique Clarisse Crémer, qui se réjouit tout de même d’un passage potentiel du mythique caillou au 1er janvier !  

« On va pas se mettre la rate au court-bouillon »

Mais loin d’être accablée par son fatum, la navigatrice, qui ressent quand même fortement cette fatigue qui lui donne parfois l’impression « d’avoir été droguée », relativise. En commençant par regarder les tracas actuels de son cher et tendre, Tanguy Le Turquais (Lazare, 21e) : 
 


Bon après, je suis pas la seule, quand je vois ce qui arrive à Tanguy et Benjamin Ferré là, ohlala, les pauvres, ils sont tanqués alors que ça se barre devant, les pauvres ! Je ne sais pas ce qu’on a dans la famille mais on a un problème avec les trains, on les loupe !

Clarisse Crémer
L'OCCITANE en Provence

Pour une petite dizaine de milles de retard sur le quai, voilà les deux bizuths à faire en effet les 100 pas entre la Tasmanie et la Nouvelle-Zélande, gentiment mais sûrement repris au fil des heures par un nouveau duo fusionnel composé de Louis Duc (Fives Group – Lantana Environnement, 22e) et Sébastien Marsset (Foussier, 24e), qui lèchent la zone des glaces comme s’ils voulaient la faire fondre !

COURSE, 23 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Fortinet - Best Western lors de la course à la voile du Vendée Globe le 23 décembre 2024. (Photo du skipper Romain Attanasio) Dauphin
COURSE, 23 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Fortinet - Best Western lors de la course à la voile du Vendée Globe le 23 décembre 2024. (Photo du skipper Romain Attanasio) Dauphin

Un peu derrière, le quintuple redoublant Arnaud Boissières (La Mie Câline, 28e) est lui aussi collé par le petit temps, pour son plus grand étonnement : 


Ca fait un peu vieux de dire ça mais c’est la première fois que je vois ça ! On a eu un Indien hyper sauvage, et là, à la fin, il nous reste même pas 100 milles, c’est pétoleux, et je crois que la suite ça va être un peu mou aussi. D’habitude t’arrives à faire des simulations pour tout le Pacifique, et là j’y arrive pas, parce que le routage il ne fait pas aller assez vite ! Mais je prends tout étape par étape ! Il y a du match, ça bataille, on va pas se mettre la rate au court-bouillon, je suis droit dans mes bottes en tous cas, c’est ça qui me plait, je fais vraiment mon possible pour être le plus rapide possible, en tous cas là le moins lent, et après les options ça paye ou ça paye pas !

Arnaud Boissières
LA MIE CÂLINE

C’est bien simple, à l’écouter trouver globalement que le verre (de champagne, tant qu'à faire) est toujours à moitié plein, on se demanderait presque d’où vient son surnom de « Cali », pour Caliméro, ce petit poussin toujours plaintif :


Je m’amuse, je régate, je peaufine, je règle mes voiles, je règle mon pilote, je me règle moi-même. Et puis dans des coups de mou, j’écoute de la musique ! C’est peut-être ça qui m’apaise aussi : j’ai plein d’éléments à bord qui fait que dès que j’ai un coup de mou, dans mon sachet journalier j’ai des mots sympas, je reçois des messages qui me boostent, mon quotidien est bien rythmé… Ce qui est sûr c’est que ça me plait et que je ne baisse pas les bras, au contraire, et que je vis pleinement ce Vendée Globe !

Arnaud Boissières
LA MIE CÂLINE

Ainsi donc voilà la seule recette qui semble fonctionner sur leur table (à cartes) de fête. Celle de savoir qu’il y a un temps pour tout, et un rythme à soi. Un festin sur lequel ils peuvent bien sûr y aller de leur petite sauce, mais pas choisir tous les ingrédients qui la composent ! Le mot de la fin ce matin sera ainsi laissé au cuisinier de la Mie Câline, qui résume : 


Il n’y a pas de course dans la course, il y a juste une course avec quarante bateaux, chacun d’entre nous trouve du plaisir à se tirer la bourre, avec plus ou moins de réussite, c’est ça maintenant le Vendée Globe, une course de chaque instant et c’est génial !

Arnaud Boissières
LA MIE CÂLINE

22 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau STAND AS ONE - Altavia lors de la course à la voile du Vendée Globe le 22 décembre 2024. (Photo du skipper Eric Bellion)
22 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau STAND AS ONE - Altavia lors de la course à la voile du Vendée Globe le 22 décembre 2024. (Photo du skipper Eric Bellion)

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