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Paul Meilhat : « je n’y vais pas que pour finir ! »

PAROLES DE SKIPPER (37/40). Huit ans après une première participation remarquable mais trop tôt arrêtée suite à un problème de quille, le bon élève de la classe IMOCA est de retour sur un bateau à foils, à bord duquel il a révisé ses gammes. Et il vient pour la gagne.

LORIENT, FRANCE - 23 AVRIL 2023 : Paul Meilhat (FRA), skipper de Biotherm, est photographié le 23 avril 2023 à Lorient, France. (Photo par Anne Beauge / Team Biotherm)
LORIENT, FRANCE - 23 AVRIL 2023 : Paul Meilhat (FRA), skipper de Biotherm, est photographié le 23 avril 2023 à Lorient, France. (Photo par Anne Beauge / Team Biotherm)
© © Anne Beauge / Team Biotherm

Attention, bourreau de travail ! Voilà le message qui pourrait être affiché à l’entrée du bateau de Paul Meilhat, qui, du haut de ses 42 ans et de son mètre 90, s’apprête à prendre le départ de son deuxième Vendée Globe, huit ans après sa première participation. Pour décrocher ce précieux sésame, c’est peu dire que le marin a travaillé dur ! D’abord seul, sur l’eau, en multipliant les expériences depuis ses préparations olympiques en Laser et en 49er, puis en faisant ses classes en Figaro, où son talent n’échappe pas à Michel Desjoyeaux, qui en fait son protégé. Voilà le stakhanoviste lancé dans le grand bain des IMOCA en 2015, où il frappe par sa capacité d’apprentissage aux côtés du “professeur”, et sa faim inextinguible de podiums, malgré une lourde blessure qui lui vaut un spectaculaire hélitreuillage lors d'une transat retour en 2015. 

En 2016, le skipper fait sensation sur le Vendée Globe, mais alors qu’il évolue en troisième position en plein milieu du Pacifique, son vérin de quille se fissure, l’obligeant à abandonner. Malgré sa victoire sur la Route du Rhum en 2018, Paul perd son sponsor et s’emploie alors à gagner en expérience en devenant le meilleur des co-skippers, aux côtés notamment de Samantha Davies et Charlie Dalin.

En 2021, enfin, il signe un partenariat avec Biotherm et construit un bateau neuf qu’il veut à son image : simple, robuste et terriblement efficace ! Avec ce nouveau compagnon, il avale les milles en participant notamment à The Ocean Race. Objectif ? Le connaître par cœur, au point, dit-il, de ne plus avoir besoin d’allumer la lampe frontale la nuit pour trouver les cordages ! De quoi imposer une cadence infernale à ses concurrents, qu’il espère bien, sur ce deuxième Vendée Globe tant désiré, mettre le plus nombreux possible dans son tableau arrière. 

Vendée Globe :

Dans quel état d’esprit es-tu à quelques semaines du départ de ton deuxième Vendée Globe ?  

Paul Meilhat

Paul Meilhat

Biotherm

Plutôt bien ! C’est vrai qu’on a eu un été difficile, après un printemps… compliqué (rires) ! Mais on a relevé le challenge, on est plutôt en avance sur le planning qu’on s’était fixé, et le comportement du bateau est prometteur, donc comme souvent, du négatif ressort le positif, et au final ces derniers mois constituent une belle réussite pour l’équipe.  

Vendée Globe :

Effectivement, l’année a été un peu chahutée par cette casse de foil sur The Transat CIC, qui t’a obligé à lancer la construction d’une nouvelle paire d’appendices ! C’était un choix difficile ? 

Ce n’était pas anodin. Ce projet était prévu pour deux années avant le Vendée Globe, avec un budget raisonnable. C’était déjà ambitieux d’être sur un bateau neuf, donc on n’avait pas la possibilité de faire du développement. Notre option c’était de beaucoup naviguer. Cette casse en début d’année a changé la donne. Sur le coup, c’est évidemment un coup au moral, les barreaux étaient très atteints, ça aurait été très cher de réparer avec surtout une inconnue sur le résultat avec un foil qui avait déjà montré une faiblesse. Acheter un foil d’occasion, c’était inenvisageable. Au final, on s’est dit que, quitte à dépenser beaucoup d’argent, autant en faire une opportunité pour lancer une nouvelle paire de foils, sachant que les nôtres étaient quand même anciens et longs à produire. Et ça nous a stimulés avec l’équipe, on a trouvé la solution avec des foils Manuard, comme sur les bateaux de Boris Herrmann ou Samantha Davies. Ce n’était pas dans les plans initiaux, c’est sûr, mais ça nous a permis de faire une vraie innovation technique sur le bateau.  

Vendée Globe :

Un choix que tu as fait personnellement, en y mettant du tien aussi financièrement !  

Oui, j’ai contracté un emprunt pour ça. Il a fallu qu’on se décide très vite, c’est mon rôle en tant que chef d’entreprise de gérer cette partie budgétaire. Après c’est un pari qui est fait avec lucidité car une nouvelle paire de foils va forcément donner de la valeur à ce bateau. Je n’ai pas pris cette décision à la légère et je ne regrette absolument pas de l’avoir fait.  

Vendée Globe :

Qu’est ce qui a changé depuis ton dernier Vendée Globe en 2016 ? 

Il y a huit ans, j’étais un figariste. Mon projet Vendée Globe avait été construit pour moi, j’en ai bénéficié, c’était génial car j’étais très entouré, mais je n’en étais pas vraiment acteur. Il y avait beaucoup d’insouciance, clairement c’était très agréable sur cet aspect ! Là, c’est l’inverse. Ce projet, je l’ai construit à 100 %, j’ai choisi autant le bateau que mon équipe et mon programme. Mais en contrepartie, il y a le poids de la responsabilité. Ce n’est pas facile tous les jours, ça fait pas mal de cheveux blancs en deux ans, et je ne suis pas sûr que je pourrais tenir ce rythme-là pour dix autres projets. Mais cette fois, je sais précisément pourquoi je le fais, et tout ce que je dois aux gens qui ont été là. Et puis au moins, je suis dans le rythme du Vendée Globe, la gestion de problèmes, on a bien dédramatisé ! 

Vendée Globe :

 En 2016, tu avais été contraint à l’abandon à cause de problèmes de quille, alors que tu évoluais en troisième position… L’objectif sur ce nouveau tour du monde, c’est quoi ? 

Je n’ai pas d’objectifs précis mais des objectifs généraux. Soyons clairs, c’est un vrai projet sportif, je n’y vais pas que pour finir même si je veux finir. J’y vais pour faire un résultat, ça a toujours été affiché, c’est un projet compétitif. Après, je veux aussi assumer mes valeurs, et les incarner. Le Vendée Globe, c’est une course de compromis, y compris sur ta propre lucidité. Je reste persuadé que ce qui provoque les erreurs, c’est souvent un problème sur comment placer son curseur, et surtout comment le maintenir dans la constance. Ce que je veux vraiment c’est être concentré du début à la fin avec un rythme sensiblement identique.  

Vendée Globe :

Pour ça, il faut aussi garder un moral stable, mais c’est quelque chose pour lequel tu es assez réputé ?  

C’est marrant parce que ce n’était pas forcément ma force plus jeune et ce n’est pas forcément le cas à terre non plus. Mais la voile m’a énormément fait progresser dans le domaine et surtout, la mer m’a bonifié. Le solitaire permet d’apprendre sur soi, on ne peut pas se cacher face aux autres ou derrière les autres. Il faut apprendre à prendre les choses comme elles viennent, avoir toujours un objectif pour dépasser le négatif, rester dans l’action. Et finalement c’est devenu un point sur lequel je me sens assez serein.   

Vendée Globe :

Tu as des appréhensions malgré tout ?  

Toujours, forcément, on fait quand même un tour du monde seul ! Mais ce sont des appréhensions que je digère bien mieux. C’est difficile à décrire, mais maintenant ça m’apaise plus que ça m’angoisse. En fait, j’ai presque davantage peur de ce qu’on vit à terre qu’en mer. La société est plus incertaine et déstabilisante, c’est une autre forme d’hostilité que les éléments qu’on affronte. La violence n’est pas toujours là où on pense qu’elle est.  

Vendée Globe :

Ce sera quand même ton premier Vendée Globe sur un bateau à foils, sur lequel tu as fait des choix assez marqués par rapport à tes concurrents. Comment décrirais-tu ton IMOCA ? 

Je le décrirais comme un bateau qu’on a voulu garder simple, il est assez léger et épuré. C’est une philosophie de la simplicité que j’aime bien. L’idée, c’est que quand c’est simple, c’est plus facile de pouvoir naviguer l’esprit libéré, en allant à l’essentiel. J’ai la réputation de ne pas aimer le confort parce que mon bateau est assez simple au niveau de l’ergonomie, mais en fait ce n’est pas que je n’aime pas le confort, c’est juste que je ne supporte pas les gadgets. Les petites bidouilles qui sont censés te faire gagner de l’énergie mais en fait qui t’en font perdre dix fois plus dès qu’elles commencent à ne plus fonctionner. En gros, je n’ai pas besoin d’un bouton sur lequel appuyer, je préfère actionner directement. 

Vendée Globe :

Comment tu te situes par rapport au reste de la flotte ?  

C’est une question difficile, parce qu’on fait toujours des pas en avant et en arrière. Sur The Transat CIC, j’ai montré que je pouvais être dans le match. Ce qui est hyper intéressant c’est que les foils sont arrivés en 2016, ont été développés en 2020 mais n’étaient pas assez fiables pour créer un vrai décalage sur le résultat du dernier Vendée Globe. Mais cette fois, on sent qu’on est arrivés à maturité, il y a une forme de maîtrise, et on est très nombreux à avoir cette technologie aboutie et à se rapprocher du coup en termes de niveaux. Franchement, on a souvent l’impression de naviguer de nouveau en Figaro tellement on est en flotte compacte, c’est hyper stimulant. Et j’espère avoir ma place dans cette flotte, le plus devant possible.

Vendée Globe :

C’est quoi ton meilleur souvenir à bord de ce bateau ?  

Il y en a plein, on a fait tellement de milles en trois ans ! Il y a l’arrivée de la Route du Rhum, on venait de mettre à l’eau le bateau juste avant, et je finis huitième. Le passage du Cap Horn sur The Ocean Race, ou l’arrivée à Gênes, parce que c’était quand même une aventure folle toute cette course, et je suis hyper fier qu’on ait réussi à la boucler. Et puis globalement, toutes ces sensations de vol. C’est mon premier bateau à foils, c’est quand même quelque chose de dingue dans la vie d’un marin d’avoir un bateau comme ça entre les mains.  

Vendée Globe :

Ce deuxième Vendée Globe, tu en as rêvé depuis quand et à partir de quand tu t’es dit que c’était bon ?  

J’ai commencé à en rêver deux ou trois mois après mon abandon. Avant ça, c’était trop tôt, c’était trop difficile. Et pour ce qui est du moment où j’y ai cru, franchement, il n’y a pas de magie malheureusement, c’est dans le cabinet d’avocats au moment où je signe la cinquantaine de pages du contrat avec Biotherm. Un projet IMOCA aujourd’hui, surtout sur un projet compétitif comme ça, c’est une tellement grosse machine que tu ne peux pas en rêver avant d’avoir le financement pour. Mais tout ça se travaille longtemps, ça ne dépend pas que de nous, mais c’est à nous de lancer la machine et de déployer toute notre énergie pour. Mais ça prend du temps. Et d’ailleurs si tu penses me demander si je réfléchis déjà au prochain Vendée Globe, je te dis tout de suite que ceux qui répondent à cette question te disent des mensonges. La vérité c’est qu’on ne peut pas déjà y songer, on vit trop à fond ce qu’on a à vivre, et c’est déjà énorme.  

Rencontre avec Paul Meilhat, Biotherm | Vendée Globe 2024

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