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Patience et longueur de temps

Vous avez pris votre ticket ? Dans la longue file d’attente mouvante du Vendée Globe, les marins avancent à petits pas, espérant tous en voir le bout au plus vite. Mais après 75 jours en suspens, chaque jour de plus passé en mer en vaut cent, surtout quand l’arrivée se refuse soudainement…

COURSE, 25 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Initiatives-Coeur lors de la course à la voile du Vendée Globe le 25 janvier 2025. (Photo du skipper Sam Davies)
COURSE, 25 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Initiatives-Coeur lors de la course à la voile du Vendée Globe le 25 janvier 2025. (Photo du skipper Sam Davies)

Vous êtes affamés. A quelques dizaines de mètres de vous, un énorme festin attend. Vos amis ont déjà commencé à s’y attabler, et s’exclament tous à quel point, de leur vie, jamais ils n’ont aussi bien mangé ! Mais alors que vous y courez, votre nez s’écrase violemment sur la devanture du restaurant. Vous voilà comme deux ronds de flan, et en plus, vous avez mal aux dents… 

Voilà ce que nous inspire la situation actuelle de Samantha Davies (Initiatives-Cœur, 13e), contrainte de dire bye-bye à Benjamin Dutreux (Guyot Environnement - Water Family, 10e) et Clarisse Crémer (L'Occitane en Provence, 11e), pour « mettre le frein à main » depuis deux jours au Sud des Açores. La cause de ce dérapage très contrôlé ? La fameuse « cartouche » hivernale qui rend impraticable la côte atlantique. Pas la ligne d’arrivée non, ça elle aurait pu encore la gérer l’expérimentée navigatrice britannique, mais par contre impossible de rallier un port derrière, tant les conditions s’annoncent délétères… 

Alors voilà, rarement l’expression « prendre son mal en patience » n’aura été aussi bien illustrée que par cette fin de Vendée Globe pour « Sam » qui, forcément, en a un peu gros sur la patate ! Vingt-cinq minutes de message vocal cette nuit pour nous dire combien elle a « hâte de nous voir » - et nous donc, madame Davies ! - , encore un nouveau record battu, même si on aurait préféré meilleur contexte pour celui-ci :


C’est pas facile moralement de faire ce que je suis en train de faire. Je regarde les bateaux qui arrivent, c’est très dur... Ça a été très long de prendre cette décision, mais je n’ai pas de regrets, quand je regarde la météo, c’est comme dans les prévisions, donc ce n’est pas comme si ça s’était calmé et que j’aurais pu en fait passer. Ça me rassure sur le fait que j’ai fait le bon choix, il n’y avait pas d’autres moyens pour moi, ça aurait été trop dangereux… C’était dans un sens un soulagement, mais c’était une énorme déception en même temps.

Samantha Davies
Initiatives-Cœur

« mardi soir, ça pourrait passer, ça va être sport ! »

La raison parle, mais dans le cœur, ce n’est forcément pas aussi simple. « J’ai du mal à me reposer parce que je cherche toujours le moyen d’y arriver, je n’arrête pas de me poser des questions, c’est stressant… », nous explique la skipper d’Initiatives-Cœur, si perturbée d’être au ralenti après deux mois et demi pied au plancher. « Ça fait hyper bizarre de pouvoir poser un truc et que ça ne tombe pas, de me déplacer sur le bateau sans risquer de me faire mal… Je vais sûrement repartir dans des conditions difficiles, donc je vais avoir besoin de force, je fais de mon mieux pour récupérer physiquement et être capable d’affronter la tempête, et moralement j’essaie de pas trop réfléchir, et j’ai plein de messages qui font du bien ». 

Car tout le problème désormais est bien là : savoir quand Eole va enfin se détendre pour laisser passer l’infortunée ? 


Mardi il y a des vagues de 10 mètres dans le golfe de Gascogne, c’est pas possible d’y aller. Mais mardi soir, ça pourrait passer, ça va être sport, mais au cap Finisterre je devrais passer juste quand ça se calme, avec 5-6 mètres de vagues. Ca, c’est la théorie. Ca dépendra de la trajectoire de cette dépression. Donc je ne suis pas à pleine vitesse mais j’approche sur la route pour continuer de surveiller les conditions météo. Si cette fenêtre ne passe pas, c’est vraiment compliqué parce que même les autres bateaux derrière risquent de nous doubler en contournant les Açores…

Samantha Davies
Initiatives-Cœur

Un scénario pour lequel Boris Herrmann (Malizia – Seaexplorer, 12e) se prépare aussi, lui qui a vu sa fin de Vendée Globe déjà bien troublée par son avarie de foil, mais reste aussi positif que vindicatif :


J’ai tout ce qu’il faut pour attaquer la dernière épreuve. Il y aura beaucoup de mer et beaucoup de vent, alors on peut se dire pourquoi ne pas attendre 36 heures de plus ? Mais je me méfie si j’attends trop, me retrouver au près, la route est encore longue, s’arrêter là franchement, les fichiers peuvent encore changer et me retrouver avec plus de vent, je n’ai pas trop envie d’attendre. Sam fait la même chose et progresse lentement vers le Nord, on va faire ça ensemble.

Boris Herrmann
MALIZIA - SEAEXPLORER

COURSE, 25 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Malizia - Seaexplorer lors de la course à la voile du Vendée Globe le 25 janvier 2025. (Photo du skipper Boris Herrmann)
COURSE, 25 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Malizia - Seaexplorer lors de la course à la voile du Vendée Globe le 25 janvier 2025. (Photo du skipper Boris Herrmann)

« ça tire vers le haut d’être à la guerre avec d’autres bateaux »

 « La patience rend tolérable ce qu'on ne peut empêcher », disait Horace, qui aurait pu ainsi commenter bien des bulletins météo sur le Vendée Globe ! Car si ce n’est pas la tempête, ce sont les petits airs qui requièrent de nos marins la même qualité d’impassibilité. Si à la latitude des Canaries, Romain Attanasio (Fortinet-Best Western, 14e) a réussi à passer, Damien Seguin (Groupe Apicil, 15e) et Isabelle Joschke (MACSF, 16e) se sont à nouveau pris la barrière de péage de plein fouet, et risquent de devoir encore s’acquitter d’une facture bien salée… Celle de voir revenir à nouveau sur eux tous ceux qu’ils avaient réussi à semer ! 

Tous ? Non tout de même, car plus au Sud, certains sont loin de pouvoir accélérer autant qu’ils le souhaiteraient, laissant Louis Duc (Fives Group – Lantana Environnement, 25e) à deux doigts de crier « remboursez » ! Qu’il est loin en effet l’alizé fantasmé, avec pas plus de 10 nœuds de vent à la girouette depuis près d’une semaine pour le skipper normand… 


Ça n’a pas été de tout repos ce deuxième Atlantique Sud ! On a contourné tout une zone anticyclonique, je suis assez surpris, est-ce que c’est la période qui veut ça ? On va passer le Pot-au-Noir demain normalement, a priori sur le papier ça n’a pas l’air si violent que ça pour nous, et après on va attaquer le près et le reaching bien velu dans l’Atlantique Nord, avec 20-25-30 nœuds probablement ! Là ça va être très actif, j’espère qu’on est armés pour tout ça ! C’est une belle course, je crois que ça tire vers le haut d’être à la guerre avec d’autres bateaux. J’aurais bien aimé être à la guerre un peu plus haut mais c’est la vie, c’est comme ça ! Ce qui est dur c’est que parfois on se bat trois jours à gagner 30 milles sur un concurrent, et puis une balle et on reperd tout en deux heures ! Ça m’est encore arrivé hier, mais c’est le jeu de la course à la voile !

Louis Duc
Fives Group - Lantana Environnement

COURSE, 25 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Fives Group - Lantana Environnement lors de la course à la voile du Vendée Globe le 25 janvier 2025. (Photo du skipper Louis Duc) Île Fernando de Noronha
COURSE, 25 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Fives Group - Lantana Environnement lors de la course à la voile du Vendée Globe le 25 janvier 2025. (Photo du skipper Louis Duc) Île Fernando de Noronha

« Ici c’est compliqué d’entamer une procédure de divorce »

Jamais de répit on vous le disait, même plus à l’arrière de la flotte, quand le combat se fait moins contre d’autres que contre soi ! C’est le cas forcément de Denis Van Weynbergh (D’Ieteren Group, 34e), qui bataille au Nord des Malouines. 


Ce que je dis c’est qu’on a fait le plus dur mais le plus dur reste à faire ! Physiquement, on sent que la fatigue commence à s’installer, il faut faire attention à pas se blesser, à bien s’hydrater, quand on fait des manœuvres, je vois que ça prend plus de temps, que je suis plus vite essoufflé, mais on essaie de se reposer… Le bateau va bien, il commence aussi à avoir besoin de rentrer à l’écurie, mais ça va. Et on s’entend toujours aussi bien heureusement ! Ici c’est compliqué d’entamer une procédure de divorce ou une séparation de biens, donc on va continuer main dans la main à deux, en se soutenant l’un l’autre jusqu’aux Sables d’Olonne !

Denis Van Weynbergh
D'IETEREN GROUP

Voilà une bonne stratégie pour venir à bout de cette épreuve avant de venir à bout de sa patience ! Et en guise de conclusion, comment ne pas emprunter les mots d’un expert en la matière, un certain Samuel Beckett qui, en attendant éternellement Godot autant qu'un bon système météo, écrivait : « Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent. »

COURSE, 25 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau L'Occitane en Provence lors de la course à la voile du Vendée Globe le 25 janvier 2025. (Photo de la skipper Clarisse Crémer)
COURSE, 25 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau L'Occitane en Provence lors de la course à la voile du Vendée Globe le 25 janvier 2025. (Photo de la skipper Clarisse Crémer)

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