Maxime Sorel : « ma frustration génère plus d’envie que de doute »
Au lendemain de son abandon, le skipper V and B – Monbana – Mayenne a pris le temps de revenir sur ce qu’il a vécu avec la lucidité et la franchise qui le caractérisent. Maxime assure qu’il « n’était pas raisonnable de continuer » d’autant plus que sa blessure à la cheville semble plus grave que ce qu'il pensait. Alors qu’il devrait regagner la France dès demain, le trentenaire se tourne déjà vers le Vendée Globe 2028 avec la ferme intention de « revenir plus fort ».
Vendée Globe :
Comment te sens-tu au lendemain de ton abandon ?
Maxime Sorel
Ça va, ça pourrait aller mieux. C’est forcément bizarre de se retrouver à Madère après six jours de course. Je suis frustré, clairement, parce que je n’ai pas pu m’exprimer sur cette course, je n’ai pas pu vivre tout ce qu’on avait prévu, ni aller au bout de tout le travail qu’on avait fait. Encore une fois, je ne suis pas déçu mais je suis frustré. Désormais, j’essaie de me focaliser sur le rapatriement du bateau et sur la suite.
Vendée Globe :
Quand la décision d’abandonner s’est-elle imposée ?
À aucun moment je n’avais ça en tête. Après, avec le staff médical de la course et ceux qui me suivent habituellement, on voyait clairement qu’il y avait un problème avec ma cheville. J’étais surtout focalisé sur mes réparations. À Madère, j’ai commencé les réparations, démonté le chariot, le hook de grand-voile, pour voir comment c’était endommagé. L’idée, c’était de repartir au plus vite. Mais la douleur était là, ça faisait cinq jours que j’étais sous anti-inflammatoire. J’avais envie d’y croire, de me dire qu’il était possible d’y retourner mais nos bateaux sont très exigeants, tu as vraiment besoin de tes deux pieds. Ma naturopathe, en qui j’ai une confiance aveugle, m’a suggéré d’abandonner. Ce n’était pas raisonnable de continuer.
Vendée Globe :
Est-ce que tu en sais plus sur ta blessure à la cheville ?
Nous n’avons pas encore fait d’imagerie (de radio ndlr) mais un médecin est passé à bord pour enlever mon strap. En fait, je souffre d’une rupture partielle du ligament externe, c’est pire que ce qu’on avait imaginé. Ça aurait pu avoir des conséquences bien plus graves si j’avais continué. Pour l’instant, on la maintient dans du strap. Dès que je rentrerai en France, je passerai des examens plus précis et je pourrai prendre les mesures adéquates pour me soigner et commencer la rééducation.
Vendée Globe :
Quel lien as-tu eu avec le staff médical et la direction de course ?
Dès mes premiers ennuis techniques, j’ai prévenu la direction de course. On faisait des points quasiment toutes les 30 minutes pour parler des symptômes. Après le choc à la cheville, j’ai eu des nausées, j’étais dans un état un peu second. C’est une bonne chose de compter sur eux, de pouvoir rapporter les sensations. Le staff médical et la direction de course ont été d’une efficacité redoutable.
Vendée Globe :
Tu as décrit l’enchaînement des ennuis, moins la façon dont tu l’as vécu. Jusqu’où as-tu dû te battre et repousser tes limites ?
Quand je suis monté au mât pour régler ce problème de hook, c’était peut-être le pire moment. La mer était croisée, avec 2,5 mètres de creux, j’étais au portant avec 3 ris dans la grand-voile. Le bateau n’était vraiment pas stable et ma cheville continuait à enfler. Je me suis dit que j’étais en train de faire une bêtise. A Madère, il fallait remonter au mât alors que ma cheville avait doublé de volume. J'avais envie de débrancher le cerveau et d'appuyer sur mon pied.
Vendée Globe :
Tu as toujours semblé très lucide…
J’aime bien tout comprendre et j’ai passé chaque minute à analyser la situation, à solliciter des diagnostics pour savoir ce que je pouvais faire. Je voulais avoir un maximum d’informations pour me permettre de prendre la meilleure des décisions. J’essaie de ne rien laisser au hasard et pour ça, il fallait rester lucide.
Vendée Globe :
À quoi va ressembler ton programme dans les prochains jours ?
J’ai reçu un très bon accueil ici, je connais du monde et ça a facilité les démarches. Un médecin est venu, j’ai essayé de marcher mais le rapport à la douleur n’est pas le même en mer qu’à terre. Deux équipiers sont venus me rejoindre hier, un autre est arrivé aujourd’hui. On regarde la météo pour assurer le convoyage du bateau qui partira sans doute demain. Moi, je vais prendre le premier avion pour rentrer.
Vendée Globe :
Tu es un sportif confirmé. Tu as disputé les grandes courses au large, gravi l’Everest, disputé des trails… Comment se relève-t-on de ce que tu viens de vivre ?
Quand tu es un sportif multidiscipline, tu sais que ton corps est une machine, une machine à entretenir. Et comme en voile, il peut y avoir des problèmes, il faut les analyser, les réparer et les résoudre. Je ne m’attendais pas à une casse sur le bonhomme, c’est un mauvais concours de circonstance. La seule chose que cela provoque en moi, c’est une envie féroce de revenir encore plus fort la prochaine fois. Je n’ai pas pu m’exprimer pleinement, cette frustration génère plus d’envie que de doute.
Vendée Globe :
Tu penses déjà à la prochaine édition ?
On a construit un bateau avec l’objectif de faire le Vendée Globe 2024 et de le terminer. Et j’ai envie que ce bateau finisse et finisse bien le Vendée Globe 2028. Là, c’est encore plus clair. J’ai envie de retourner sur l’eau et de tout mettre en œuvre pour écrire un nouveau projet, être présent à la Transat Jacques Vabre et entamer un nouveau cycle de préparation pour être là dans quatre ans.