C’est le réveil qu’on redoute, qu’on déteste, qu’on sait malheureusement difficilement évitable. Le coup de téléphone, les mots lourds, jetés dans l’urgence, et le silence à nouveau. A 800 milles sous l’immensité de l’Australie, dans les derniers kilomètres qui devaient la mener jusqu’au tant attendu Pacifique, Pip Hare est là, à batailler pour mettre en place un gréement de fortune, et trouver une solution pour rallier la terre. A 22h45 (heure française), alors qu’elle occupait la 15e position du Vendée Globe, son IMOCA Medallia a démâté, sans qu’on ne sache encore ni comment, ni pourquoi.
Ce qu’on sait en revanche, c’est que le reste du bateau est préservé et que Pip Hare n’est pas blessée. Physiquement du moins, car moralement, c’est une tout autre histoire quand on voit s’achever si brutalement la course qu’on menait tambour battant depuis cinq semaines, sans ménager ses efforts. Quatre ans après un Vendée Globe où elle avait montré toute l’étendue de se force physique et mentale en changeant un safran en plein Océan Indien, la navigatrice Britannique de 50 ans a de nouveau prouvé qu’en matière de ténacité, elle avait décidément dû être généreusement servie à la grande cantine de la vie.
Pas épargnée par les galères techniques depuis le départ le 10 novembre, avec notamment des soucis de quille qui l’ont un temps ralentie, celle dont le bonheur d’être en mer est si contagieux qu’il pourrait faire l’objet d’une quarantaine partageait chaque jour avec spontanéité, sans jamais chercher à édulcorer, ses joies et ses difficultés dans l’intense duel qu’elle menait depuis plus de deux semaines avec Romain Attanasio (Fortinet - Best Western, 14e). Quelques heures avant son démâtage, l’éternelle optimiste envoyait encore vingt-trois secondes de vidéo, un sourire à en décrocher les planètes sur son visage mangé par l’un de ses inénarrables bonnets de grosse laine, tandis que son bateau déboulait à vitesse grand V au coucher du soleil l’obligeant, dans un petit rire si communicatif, à se réfugier pour éviter de finir trempée. « C’est tellement beau ici », disait-elle fascinée, détachant chaque mot comme pour mieux nous les faire ressentir. Merci du cadeau, Pip, et surtout bravo.
Ponctuation variée
La Britannique n’est malheureusement pas la seule cette nuit à faire face aux difficultés. Confronté à une casse sur une partie de son gréement, le navigateur hongrois Szabolcs Weöres (New Europe, 38e) semble avoir mis le cap vers l’Afrique du Sud tandis que plus loin, sous le vent de l’île Saint-Paul, Antoine Cornic (Human Immobilier, 33e) a jeté au petit matin son mouillage pour tenter de réparer son chariot de grand voile, malgré une mer encore très formée. Une course entre parenthèses, où l’on espère que le point d’interrogation ne se transforme pas en points de suspension.
Pour les autres en revanche, il n’y a guère le temps de songer à une quelconque ponctuation, si ce n’est celle de l’exclamation. Tels d’infatigables hamsters dans une roue survoltée, le trio de tête continue de tartiner, espérant gagner un maximum de terrain avant d’être rattrapés par la dorsale sans vent. Si Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) a franchi en tête le fameux antiméridien, qui l'a fait reculer d’une journée, il s’emploie surtout à ne pas dégringoler au classement. Car derrière, Yoann Richomme (PAPREC – ARKÉA, 2e) est remonté comme un coucou, à moins de 50 milles désormais du leader, et près de 100 milles d’avance sur Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 3e).
Derrière, ceux qui se sont englués dans la langue bleue sans vent ont retrouvé de la vitesse, et savent qu’il n’y a plus une minute à perdre s’ils veulent stopper l’hémorragie. Emmenés par un Thomas Ruyant (VULNERABLE, 4e) flashé à près de 25 nœuds de moyenne, leurs prochaines heures ne seront assurément pas consacrées à composer des poèmes.