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Matin chagrin

C’est avec le cœur serré que la flotte du Vendée Globe a appris cette nuit le démâtage de Medallia, au large de l’Australie. Ainsi donc, on a cassé notre Pip, et déjà nous manquent ses éclats de rire autant que sa féroce combattivité, que subissait de plein fouet Romain Attanasio, avec qui elle se livrait un combat aussi loyal que brutal.

LE 15 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Medallia lors de la course à la voile du Vendée Globe le 15 décembre 2024. (Photo du skipper Pip Hare)
LE 15 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Medallia lors de la course à la voile du Vendée Globe le 15 décembre 2024. (Photo du skipper Pip Hare)

C’est le réveil qu’on redoute, qu’on déteste, qu’on sait malheureusement difficilement évitable. Le coup de téléphone, les mots lourds, jetés dans l’urgence, et le silence à nouveau. A 800 milles sous l’immensité de l’Australie, dans les derniers kilomètres qui devaient la mener jusqu’au tant attendu Pacifique, Pip Hare est là, à batailler pour mettre en place un gréement de fortune, et trouver une solution pour rallier la terre. A 22h45 (heure française), alors qu’elle occupait la 15e position du Vendée Globe, son IMOCA Medallia a démâté, sans qu’on ne sache encore ni comment, ni pourquoi.

Ce qu’on sait en revanche, c’est que le reste du bateau est préservé et que Pip Hare n’est pas blessée. Physiquement du moins, car moralement, c’est une tout autre histoire quand on voit s’achever si brutalement la course qu’on menait tambour battant depuis cinq semaines, sans ménager ses efforts. Quatre ans après un Vendée Globe où elle avait montré toute l’étendue de se force physique et mentale en changeant un safran en plein Océan Indien, la navigatrice Britannique de 50 ans a de nouveau prouvé qu’en matière de ténacité, elle avait décidément dû être généreusement servie à la grande cantine de la vie.

Pas épargnée par les galères techniques depuis le départ le 10 novembre, avec notamment des soucis de quille qui l’ont un temps ralentie, celle dont le bonheur d’être en mer est si contagieux qu’il pourrait faire l’objet d’une quarantaine partageait chaque jour avec spontanéité, sans jamais chercher à édulcorer, ses joies et ses difficultés dans l’intense duel qu’elle menait depuis plus de deux semaines avec Romain Attanasio (Fortinet - Best Western, 14e). Quelques heures avant son démâtage, l’éternelle optimiste envoyait encore vingt-trois secondes de vidéo, un sourire à en décrocher les planètes sur son visage mangé par l’un de ses inénarrables bonnets de grosse laine, tandis que son bateau déboulait à vitesse grand V au coucher du soleil l’obligeant, dans un petit rire si communicatif, à se réfugier pour éviter de finir trempée. « C’est tellement beau ici », disait-elle fascinée, détachant chaque mot comme pour mieux nous les faire ressentir. Merci du cadeau, Pip, et surtout bravo. 

Ponctuation variée

La Britannique n’est malheureusement pas la seule cette nuit à faire face aux difficultés. Confronté à une casse sur une partie de son gréement, le navigateur hongrois Szabolcs Weöres (New Europe, 38e) semble avoir mis le cap vers l’Afrique du Sud tandis que plus loin, sous le vent de l’île Saint-Paul, Antoine Cornic (Human Immobilier, 33e) a jeté au petit matin son mouillage pour tenter de réparer son chariot de grand voile, malgré une mer encore très formée. Une course entre parenthèses, où l’on espère que le point d’interrogation ne se transforme pas en points de suspension. 

Pour les autres en revanche, il n’y a guère le temps de songer à une quelconque ponctuation, si ce n’est celle de l’exclamation. Tels d’infatigables hamsters dans une roue survoltée, le trio de tête continue de tartiner, espérant gagner un maximum de terrain avant d’être rattrapés par la dorsale sans vent. Si Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) a franchi en tête le fameux antiméridien, qui l'a fait reculer d’une journée, il s’emploie surtout à ne pas dégringoler au classement. Car derrière, Yoann Richomme (PAPREC – ARKÉA, 2e) est remonté comme un coucou, à moins de 50 milles désormais du leader, et près de 100 milles d’avance sur Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 3e). 

Derrière, ceux qui se sont englués dans la langue bleue sans vent ont retrouvé de la vitesse, et savent qu’il n’y a plus une minute à perdre s’ils veulent stopper l’hémorragie. Emmenés par un Thomas Ruyant (VULNERABLE, 4e) flashé à près de 25 nœuds de moyenne, leurs prochaines heures ne seront assurément pas consacrées à composer des poèmes. 

LE 15 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau VULNERABLE SG lors de la course à la voile du Vendée Globe le 15 décembre 2024. (Photo du skipper Sam Goodchild) Coucher de soleil
LE 15 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau VULNERABLE SG lors de la course à la voile du Vendée Globe le 15 décembre 2024. (Photo du skipper Sam Goodchild) Coucher de soleil

« Des points réguliers avec le médecin »

De son côté, Damien Seguin (Groupe APICIL, 17e) recouvre progressivement ses esprits, le corps et le bateau encore bien endoloris. 


J’ai encore du vent assez soutenu et des vagues de pas loin de 5 mètres, mais c’est quand même beaucoup moins compliqué qu’il y a 24 heures où les éléments étaient vraiment déchaînés. Hier je me suis beaucoup reposé et j’ai commencé les premières réparations, déjà pour faire en sorte que le bateau ne prenne plus l’eau. Je ne pourrai pas les terminer complètement ces deux prochains jours, je vais attendre des conditions plus calmes pour faire les dernières stratifications, mais en tous cas le bateau est en état de pouvoir naviguer sans trop de souci. Moi je fais des points réguliers avec le médecin, on s’inquiète de savoir si le genou et les cervicales sont dans un état correct quand même pour pouvoir bien continuer la course sans risquer de suraccident.

Damien Seguin
GROUPE APICIL

Reste que cette violente dépression aura marqué le navigateur chevronné, qui apprécie le petit répit, et une suite immédiate qui s’annonce « assez directe » le long de la zone des glaces. Avec lucidité, il analyse :


Ce qui est important dans les moments compliqués comme ça, quand le bateau souffre énormément, quand nous on encaisse beaucoup de chocs et beaucoup de stress aussi, c’est de réussir à relativiser. C’est facile à dire comme ça, mais faut avoir confiance dans notre bateau, confiance dans ce qu’on fait aussi, savoir faire le dos rond sans trop risquer le matériel. Je ne m’en sors pas si mal que ça, le bateau a quelques bobos, moi aussi, mais ça aurait pu être bien pire si j’avais été la tête dans le guidon. Je suis toujours en course et c’est ça le plus important.

Damien Seguin
GROUPE APICIL

Pour Manuel Cousin (Coup de Pouce, 35e), encore dans le premier tiers de l’Océan Indien, le mental est aussi primordial, lui qui a vécu des dernières heures difficiles :


J’ai eu un front à passer il y a deux jours qui a été bien velu, donc j’ai pas dormi de la nuit, et le lendemain j’ai été me mettre dans une cellule orageuse très active, très violente, où j’ai vraiment pas fait le malin, il y avait des orages de partout, ça éclairait comme en plein jour avec des coups de tonnerre monstrueux et pour l’instant, c’est le plus mauvais souvenir de mes cinq semaines de navigation, ça a été assez horrible, j’étais vraiment pas bien.

Manuel Cousin
Coup de Pouce

Celui qui dit n’avoir « pas le souvenir d’avoir galéré autant dans l’Indien il y a quatre ans » commence à tirer la langue face à « la pénibilité » de sa navigation. Alors le marin vendéen, dont la course avait été freinée par un choc avec un OANI avant le cap de Bonne Espérance, en revient lui aussi aux fondamentaux, pour retrouver le sens de son aventure. « Le but c’est quand même de naviguer bien, naviguer vite, naviguer propre, et essayer de gagner des milles jour après jour, pas de jouer le tout pour le tout, ça serait un peu bête vu là où je me trouve aujourd’hui ». 

COURSE, 15 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau DMG MORI Global One lors de la course à la voile du Vendée Globe le 15 décembre 2024. (Photo du skipper Kojiro Shiraishi)
COURSE, 15 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau DMG MORI Global One lors de la course à la voile du Vendée Globe le 15 décembre 2024. (Photo du skipper Kojiro Shiraishi)

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