Loïck Peyron « Les skippers font rêver : à la fin, on leur dit merci et pas seulement bravo »
L’ANALYSE DU DIMANCHE. Loïck Peyron est une figure emblématique de la voile française, un marin dont le talent et la personnalité charismatique ont conquis bien au-delà du cercle des passionnés. Deuxième de la toute première édition du Vendée Globe en 1989, il a marqué l’histoire de cette course légendaire par son audace et sa maîtrise, revenant même sur la ligne de départ en 2008 pour continuer à défier les océans. Reconnu pour ses exploits sur toutes les mers du globe, mais aussi pour sa capacité à partager son amour de la mer avec le grand public, le Baulois reste une référence dans le monde de la voile. Aujourd’hui, en tant que président du conseil stratégique du CDK Group, il met son expérience au service de l’innovation et de la performance dans la construction navale. Avec son recul et sa riche carrière, il offre un regard éclairé et unique sur le Vendée Globe et ses marins, analysant avec finesse les défis et les évolutions de cette course qui continue de captiver le monde.
Vendée Globe :
Depuis sa création, en 1989, le Vendée Globe a régulièrement évolué. Selon toi, l’épreuve a-t-elle encore franchi un cap cette année ?
Oh oui, je trouve. Il y a une évolution matérielle incroyable, évidente. Depuis la première édition, les choses ont changé de manière considérable. Ça ne veut pas dire qu’on était lents. On était au plus rapide de ce qu’on pouvait faire à l’époque. C’était déjà vite, d’ailleurs, mais là, c’est incomparable. Il y a une fiabilité matérielle assez bluffante, avec des vitesses moyennes ahurissantes malgré des conditions de mer pas forcément idéales - et c’est normal car ce n’est jamais idéal. Je suis impressionné par le niveau de préparation des équipes et surtout par la manière dont les marins arrivent à garder intègres leurs machines. Ils savent manœuvrer. Le niveau moyen des marins est incomparablement supérieur, dans toutes les strates de notre discipline. Les chemins sont désormais balisés. Il y a beaucoup moins d’erreurs aujourd’hui et heureusement. Les logiciels de routage ont énormément progressé. Les prévisions évidemment aussi. Tout ceci explique cela même si avec des bateaux rapides, on peut aller très vite aux mauvais endroits aussi.
Vendée Globe :
Avec ces vitesses, peut-on dire que les marins du Vendée Globe naviguent aujourd'hui comme sur des multicoques ?
Oui et c’est le cas depuis deux éditions au moins. Dès que l’on est à plus de 15 nœuds de moyenne, on est dans ce qu’on fait en multicoque. Ça change tout. Ça permet de s’extraire, d’anticiper. Malheureusement, ces vitesses-là aussi font qu’on rattrape des systèmes météo et qu’on butte dessus. Pendant des décennies, on les a subis et maintenant on les rattrape. Quand c’est quelque chose qui arrive par derrière, on peut anticiper mais quand on rattrape quelque chose, on ne peut pas. C’est toute la problématique d’un Jérémie Beyou qui se plaint à juste titre des conditions. Il appartient clairement au groupe des malchanceux du Sud. Idem pour les filles, Sam Davies et Clarisse Crémer. Pour elles, sous la Nouvelle-Zélande, ça n’a pas été drôle non plus.
Vendée Globe :
Es-tu impressionné par les vitesses stratosphériques qu’ont tenu Sébastien Simon et quelques autres dans l’Atlantique Sud, et notamment par le record des 24 heures avec 615,33 milles parcourus en novembre dernier ?
Quand tu bats un record aujourd’hui, c’est que les conditions sont parfaites et donc que c’est facile. Ce n’est en aucun cas un état de mer dangereux, un changement de voile ou un empannage. 615 milles, c’est évidemment astronomique, mais paradoxalement, ce n’est pas un effort supplémentaire. C’est comme avec n’importe quelle voiture : tu appuies à fond sur le champignon parce que tu es sûr d’être sur une grande ligne droite. La puissance du moteur permet d’atteindre des records, mais tout change dès qu’il faut négocier un virage. Ça n’enlève rien à la valeur des marins, bien au contraire. Cela ajoute surtout à la valeur des architectes, des chantiers, des maîtres voiliers ou encore des préparateurs qui font que les voiliers sont capables de supporter ça.
Vendée Globe :
Que faut-il d’ores et déjà retenir de cette 10e édition ?
Le gros changement, je trouve, c’est la régate. C’est le cas depuis quelques éditions déjà. On l’avait vu il y a quatre ans mais là, c’est permanent. Le rythme ne change pas. Un tout petit peu dans le Sud parfois, et encore. Il n’y a pas si longtemps, on régatait dans l’Atlantique, on survivait un peu dans le Sud et on re-régatait en remontant. Là non, il n’y pas de changement particulier. Le rythme est tout le temps le même. Ils sont quasiment constamment au taquet. Malgré tout, ce que l’on voit de l’extérieur, c’est le sentiment de fraîcheur, une fois de plus, de ceux qui sont devant. C’est comme dans les marathons : le mec qui court le plus vite à l’air le plus frais alors que celui qui est derrière semble fournir plus d’efforts. Ça veut dire que les premiers font bien leur boulot, qu’ils savent à quels moments se reposer et à quels moments appuyer. Il faut constamment rappeler qu’aller vite, c’est difficile. On sait que ce n’est pas compliqué de rester longtemps en mer car ce n’est pas une solitude insupportable. C’est tellement plus simple d’aller lentement. On va le comprendre sur tous les autres sports de vitesse. Un exemple : si demain on va faire le GP de Monaco, on va mettre 4 heures pour faire le même parcours que des mecs vont pouvoir le faire en 1h30. C’est pareil. C’est beau aussi, mais toute la différence, c’est que dans une course de bagnole, on ne va pas venir te féliciter. Dans le cadre du Vendée Globe, le public terrien est davantage impressionné par la durée que par la vitesse en mer. Le positif c’est que les hommes et les femmes qui font le Vendée Globe arrivent à faire rêver de telle sorte qu’à la fin, on leur dit merci et pas seulement bravo.