Toutes les actualités

Les nerfs en pelote

Une maille à l’endroit, une maille à l’envers… On ne sait pas vraiment ce que nos marins nous tricotent sur leur chemin du retour, mais l’ouvrage risque d’être un peu irrégulier, tant la météo leur donne du fil à retordre et de la peine à tirer leur épingle du jeu.

COURSE, 02 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau TeamWork - Team Snef lors de la course à la voile du Vendée Globe le 02 janvier 2025 - (Photo du skipper Justine Mettraux).
COURSE, 02 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau TeamWork - Team Snef lors de la course à la voile du Vendée Globe le 02 janvier 2025 - (Photo du skipper Justine Mettraux).

Chercher le vent comme une aiguille dans une meule de foin, ou au contraire, prier pour qu’il s’arrête quand tout ne tient plus qu’à un fil… C’est cette dernière situation qu’a vécu il y a quelques heures Thomas Ruyant (VULNERABLE, 4e), emberlificoté dans une tempête argentine aussi soudaine qu’inattendue. Pendant deux heures, l’anémomètre s’affole, enregistrant jusqu’à 60 nœuds, dans une atmosphère grisâtre de fin du monde… Dans ces cas-là, il n’y a qu’une solution : le point de fuite. Mais c’est avec une voile d’avant en lambeaux que le Nordiste en ressort, et les émotions sans dessus-dessous : 


J’ai jamais eu ça ! Pendant deux heures, entre 45 et 60 nœuds, un enfer ! Je comprends pas, j’ai rien vu sur les cartes, c’est sûr que c’est actif par ici, mais ça a duré, duré ! Je suis vert… allez, je vais remettre en route ! J’ai un bout de J2 qui flappe là-haut, de toutes façons je ne peux pas monter au mât-là, la mer est déchaînée !

Thomas Ruyant
VULNERABLE

« On a tous hâte que ça se finisse »

Trop de vent derrière, pas assez devant… Tout est une question de point de vue finalement ! Toujours en tête, Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance), « en pleine forme » continue de goûter « à la douceur de vie brésilienne », mais aimerait tout de même que les alizés se fassent moins timides : 


J’ai rarement eu autant de variations de direction de vent aussi fortes que la journée d’hier : tu tournais la tête et regardais l’afficheur t’étais en refus, quelques secondes plus tard, t’étais en ado, c’était fou. Normalement, le vent devrait commencer à rentrer dans la matinée j’espère, ça va permettre d’allonger un peu la foulée, on va changer un peu de rythme, c’est bien ! On va couvrir un peu plus de terrain que ce qu’on a fait ces derniers jours, et repasser sur un rythme où ça bouge un petit peu plus !

Charlie Dalin
MACIF Santé Prévoyance

COURSE, 02 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau MACIF Santé Prévoyance lors de la course à la voile du Vendée Globe le 02 janvier 2025. (Photo du skipper Charlie Dalin) En haut du mât
COURSE, 02 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau MACIF Santé Prévoyance lors de la course à la voile du Vendée Globe le 02 janvier 2025. (Photo du skipper Charlie Dalin) En haut du mât

Au point du jour, le sillage du Havrais, qui a fait hier une montée au mât pour vérifier l’usure d’une de ses bastaques, commençait en effet à se tendre gentiment, et à repasser les 10 nœuds de moyenne. Mais il en faudra un peu plus pour battre à plates coutures Yoann Richomme (PAPRE- ARKÉA, 2e), qui n’est évidemment pas prêt à se laisser manger la laine sur le dos, et repartait lui aussi à petite foulée… endurant, il n’est pas prêt d’avoir un point de côté, sauf si c’est pour mieux doubler !

Mais il y a plus mal en point que ces deux-là, notamment dans le groupe des poursuivants de l’Atlantique Sud, toujours pas près de voir la fin du près. Pour ceux-là, mettons les point sur les i, le sac de nœuds n’est pas tout à fait fini, comme nous l’expliquait Boris Herrmann (Malizia – Seaexplorer, 9e) cette nuit :


Depuis les Malouines, c’est pas très plaisant, surtout là avec la mer qui se forme, ça tape dur, parfois on a un peu peur pour le bateau ! On a tous hâte que ça se finisse parce que c’est un peu éternel, ce qui est vraiment un peu énervant aussi c’est que les modèles météo changent beaucoup d’une séance à l’autre, donc on ne sait pas trop quoi penser !

Boris Herrmann
MALIZIA - SEAEXPLORER

Sans jamais se départir de sa voix calme et posée, le marin allemand, qui aimerait tout de même trouver comment se faufiler, finit par s’agacer :


Je pense qu’on a encore une bonne semaine devant nous avec beaucoup de questions, de transitions et de manque de clarté ! Physiquement c’est dur de faire les virements, parce que le foil bâbord est difficile à descendre, donc je mouline comme un malade pour le descendre, ça me prend un bout de temps. Là on a fait je ne sais pas, 12-15 virements ? Je suis un peu fatigué, énervé, ça suffit quoi ! Ca suffit, on aimerait bien faire du bateau normalement, là on est comme des cochons au près, mais bon je vais pas me plaindre, là je vais à la bannette, j’espère que je vais pas me faire éjecter. Tout à l’heure on a fait un saut qui a vraiment fait mal au dos, qui a vraiment tapé très très fort, j’espère qu’on n’en aura pas beaucoup d’autres comme ça !

Boris Herrmann
MALIZIA - SEAEXPLORER

COURSE, 02 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Fortinet - Best Western lors de la course à la voile du Vendée Globe le 02 janvier 2025. (Photo du skipper Romain Attanasio)
COURSE, 02 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Fortinet - Best Western lors de la course à la voile du Vendée Globe le 02 janvier 2025. (Photo du skipper Romain Attanasio)

« Je le paye avec mes nerfs »

Dans la galère, point de repères ! C’est aussi un peu l’avis d’Isabelle Joschke (MACSF, 18e), asymétrique depuis la casse d’un de ses foils, qui est justement en pleine mise au point : 


Quand je dois empanner par exemple, je dois tout de suite changer de voile, je peux pas avoir la même configuration de voile d’un côté et de l’autre, donc ça change la stratégie, parce qu’empanner pour deux heures, ça fait beaucoup de travail ! J’ai l’impression de réapprendre mon bateau, je teste, j’essaie des trucs, je regarde si ça n’enfourne pas trop, si ça tient la vague… c’est beaucoup plus sollicitant, et quand je navigue en bâbord amure je suis toujours sur le qui-vive ! Et je suis beaucoup plus lente, j’ai du mal à faire des belles vitesses moyennes, ma performance a baissé d’un cran !

Isabelle Joschke
MACSF

Le résultat ? « Je le paye avec mes nerfs », nous dit Isabelle Joschke, qui attend en plus deux beaux coups de vent avant le passage du Cap Horn, d’ici trois à quatre jours. « Il va falloir faire des compromis, des choix, et peut-être des sacrifices », explique la Franco-allemande, qui reconnaît que « ce n’est pas facile de rester zen ».

Voilà un point commun qu’elle partage aussi avec Arnaud Boissières (La Mie Câline, 29e), plus loin dans la flotte, mais tout aussi tendu. La faute aux icebergs bien sûr, qui ont tout de même rappelé à son petit groupe de bateaux que leur aventure peut vite passer au point mort si on ne surveille pas assez ses radars ! 


Ce qui m’intrigue le plus c’est que je suis passé pas très loin de la position signalée par Eric devant moi, mais je ne l’ai pas vu au radar. Tout est allumé, ça rajoute un peu de stress, j’étais un peu moins rapide ces derniers temps… J’ai une voile d’avant, le petit gennaker, que j’ai décidé de plus utiliser. Tout l’Indien il commençait à se délaminer, j’ai longtemps hésité, mais rien qu’en le manipulant à la main, il craquait de peur, c’est le cas de le dire ! Donc c’est pour ça que je suis un peu moins rapide aussi.

Arnaud Boissières
LA MIE CÂLINE

« j’avais peur que l’ongle parte ! »

De fil en aiguille, le skipper des Sables d’Olonne finit par lâcher, ce qui n’aide pas à avoir le moral, qu’il a frôlé… le point de suture !


Je me suis fait un petit pet à un doigt, avec une écoute qui m’a filé entre les doigts, et le coup du débutant : j’ai voulu retenir l’écoute alors qu’elle est plus forte que toi, du coup t’aterris avec ton doigt sur le bord du winch… ça a un peu saigné mais pas grand-chose au final, j’avais peur que l’ongle parte ! J’ai pas mal de courbatures, je m’en suis rendu compte en matossant, il y a un sac je suis parti avec lui sur le toboggan, je me suis laissé glisser, comme à l’école… je sais pas si c’est la fatigue, je dirais que c’est plutôt de l’usure !

Arnaud Boissières
LA MIE CÂLINE

Car oui, ils ont beau être d’une sacré étoffe nos marins du Vendée Globe, partout ça commence à tirer et craquer dangereusement. « Jusqu’à maintenant je trouvais qu’il y avait du rythme, et là honnêtement je trouve que le temps est long. C’est bien de se le dire, ça permet de se l’avouer ! Même si je parle à mon bateau, je me parle à moi-même… Arnaud parle à Cali, Cali lui répond, le bateau il parle aussi », nous confie le marin, qui n’est décidément pas ravi de sa position dans la flotte actuellement. Mais on a envie de lui rappeler que rien ne sert de courir, il faut partir à point… et surtout à point Nemo ! 


On est à 1800 milles du Cap Horn, ça fait une petite trotte encore, mais chaque mille est une petite victoire. Tout à l’heure je me suis fait un stress, je suis allé à l’arrière du bateau, mais tout va bien. Dans ces moments-là, quand t’as une baisse de moral comme ça, c’est le bateau qui prend le dessus, je me réconforte avec l’attitude du bateau tel qu’il est là, le petit confort qui est à bord, et ça fait du bien. Allez, je vais continuer à parler à Arnaud là, bonne journée à tous, c’était Cali !

Arnaud Boissières
LA MIE CÂLINE

Un brin de folie dans ce monde où rien n’est mesuré, et qui fait rarement dans la dentelle. Le seul point qu’aucun d’eux ne veut voir sur ses aiguilles ? Le point de non-retour. 

COURSE, 02 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Coup de Pouce lors de la course à la voile du Vendée Globe le 02 janvier 2025. (Photo du skipper Manuel Cousin) Nexans - Wewise skipper Fabrice Amedeo (FRA) en vue
COURSE, 02 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Coup de Pouce lors de la course à la voile du Vendée Globe le 02 janvier 2025. (Photo du skipper Manuel Cousin) Nexans - Wewise skipper Fabrice Amedeo (FRA) en vue

Partager cet article

Dernières actualités