C’est un privilège immense que de suivre au plus près les marins du Vendée Globe. Chaque soir, leur envoyer quelques questions curieuses, et entendre à l’aube leur voix, au milieu du fracas du bateau, qui y répond avec application. D’eux, on aime leur manière si attentionnée d’essayer d’expliquer dans des mots simples leurs choix stratégiques, bien conscients qu’ils parlent une langue de mer que peu d’entre nous entendent. Mais quand même, le naturel revenant vite au galop, surtout quand eux-mêmes ne cessent de galoper, le jargon technique resurgit toujours et nous entraîne dans les « portant VMG », les « ailes de mouette » et les « thalweg » comme dans un pays étranger.
On aime aussi, oh que oui, leurs élans de joie, leurs petites satisfactions et leurs « gros kifs ». Leur poésie consciente ou inconsciente, provoquée parfois davantage par le manque de sommeil qu’une pure volonté esthétique (mais on leur laisse le bénéfice du doute). On aime aussi leurs coups de gueule, leurs doutes, leurs plaintes parce que le vent est toujours trop, ou jamais assez. Tout ce qui les rend si terriblement humains, parce que parfois, à les voir faire ce qu’ils font, on en viendrait à douter.
Mais s’il y a bien une chose qu’on n’aime pas entendre, c’est leur angoisse. Leur voix serrée, les mots qu’ils cherchent mais qui ne viennent pas. Parce que leurs pensées sont ailleurs, concentrées sur leurs objectifs, et que c’est bien normal. Leur poser des questions, confortablement installé dans son canapé, quand eux s’apprêtent à vivre quelque chose de difficile, a ce côté désagréable d’avoir la sensation d’enfoncer le couteau dans la plaie.
Lot d’incertitudes
Or cette nuit, où qu’ils soient dans la flotte, plane cette ambiance tendue de veillée d’armes. Les violentes dépressions australes anticipées depuis plusieurs jours sont presque là, et avec elles leur lot d’incertitudes. Ai-je fait le bon choix de trajectoire ? Combien de vent va-t-on prendre ? Comment sera la mer ? Dans quel état vais-je en sortir ? Quand on sera dedans, ce ne sera plus le temps de cogiter, mais avant, qu’elles sont longues ces heures à patienter.
Les deux leaders, Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) et Sébastien Simon (Groupe Dubreuil), après avoir essayé un temps de faire du Nord, sont repartis vers l’Est, ralentis par la transition sans vent, espérant se maintenir devant le centre dépressionnaire. Derrière, l’ascension se poursuit pleine balle pour Yoann Richomme (Paprec Arkea, 3e) et Thomas Ruyant (VULNERABLE, 4e), revenus à une quarantaine de milles l’un derrière l’autre. A quelle longitude finiront-ils par se dire « on va prendre raisonnablement cher ? » Jérémie Beyou (Charal, 5e) et Nicolas Lunven (Holcim PRB, 6e), eux, ont tranché depuis un petit moment, et en profitent pour cravacher au Nord tant que les conditions le permettent, la mer n’étant pas encore formée par le vent.
Vous me direz, c’est leur métier. Les Mers du Sud, les quarantièmes rugissants, les tempêtes australes, ils viennent les chercher. Certes, mais si l’on est honnête, ils ne viennent pas pour cela, mais plutôt malgré cela. Ils ne cherchent pas à « prendre tarif», mais savent tous qu'effectivement, c'est le tarif obligé de leurs choix de passionnés. Et c’est parce qu’ils sont professionnels qu’ils continuent effectivement de nous répondre, à l’image de Justine Mettraux (Teamwork – Team SNEF), revenue à la dixième place grâce à une trajectoire Sud osée mais qui va lui permettre de faire moins de route sur ses camarades de jeu, Samantha Davies (11e), Boris Herrmann (12e) et Clarisse Crémer (L'Occitane en Provence, 13e). Cette nuit, elle nous partageait ses conditions :