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Les heures les plus longues

Cette nuit, où qu’ils soient dans la flotte, plane cette ambiance tendue de veillée d’armes. Les violentes dépressions australes anticipées depuis plusieurs jours sont presque là, et avec elles leur lot d’incertitudes.

COURSE, 03 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Fortinet - Best Western lors de la course à la voile du Vendée Globe le 03 décembre 2024. (Photo du skipper Romain Attanasio)
COURSE, 03 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Fortinet - Best Western lors de la course à la voile du Vendée Globe le 03 décembre 2024. (Photo du skipper Romain Attanasio)

C’est un privilège immense que de suivre au plus près les marins du Vendée Globe. Chaque soir, leur envoyer quelques questions curieuses, et entendre à l’aube leur voix, au milieu du fracas du bateau, qui y répond avec application. D’eux, on aime leur manière si attentionnée d’essayer d’expliquer dans des mots simples leurs choix stratégiques, bien conscients qu’ils parlent une langue de mer que peu d’entre nous entendent. Mais quand même, le naturel revenant vite au galop, surtout quand eux-mêmes ne cessent de galoper, le jargon technique resurgit toujours et nous entraîne dans les « portant VMG », les « ailes de mouette » et les « thalweg » comme dans un pays étranger.

On aime aussi, oh que oui, leurs élans de joie, leurs petites satisfactions et leurs « gros kifs ». Leur poésie consciente ou inconsciente, provoquée parfois davantage par le manque de sommeil qu’une pure volonté esthétique (mais on leur laisse le bénéfice du doute). On aime aussi leurs coups de gueule, leurs doutes, leurs plaintes parce que le vent est toujours trop, ou jamais assez. Tout ce qui les rend si terriblement humains, parce que parfois, à les voir faire ce qu’ils font, on en viendrait à douter. 

Mais s’il y a bien une chose qu’on n’aime pas entendre, c’est leur angoisse. Leur voix serrée, les mots qu’ils cherchent mais qui ne viennent pas. Parce que leurs pensées sont ailleurs, concentrées sur leurs objectifs, et que c’est bien normal. Leur poser des questions, confortablement installé dans son canapé, quand eux s’apprêtent à vivre quelque chose de difficile, a ce côté désagréable d’avoir la sensation d’enfoncer le couteau dans la plaie.

Lot d’incertitudes

Or cette nuit, où qu’ils soient dans la flotte, plane cette ambiance tendue de veillée d’armes. Les violentes dépressions australes anticipées depuis plusieurs jours sont presque là, et avec elles leur lot d’incertitudes. Ai-je fait le bon choix de trajectoire ? Combien de vent va-t-on prendre ? Comment sera la mer ? Dans quel état vais-je en sortir ? Quand on sera dedans, ce ne sera plus le temps de cogiter, mais avant, qu’elles sont longues ces heures à patienter.

Les deux leaders, Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) et Sébastien Simon (Groupe Dubreuil), après avoir essayé un temps de faire du Nord, sont repartis vers l’Est, ralentis par la transition sans vent, espérant se maintenir devant le centre dépressionnaire. Derrière, l’ascension se poursuit pleine balle pour Yoann Richomme (Paprec Arkea, 3e) et Thomas Ruyant (VULNERABLE, 4e), revenus à une quarantaine de milles l’un derrière l’autre. A quelle longitude finiront-ils par se dire « on va prendre raisonnablement cher ? » Jérémie Beyou (Charal, 5e) et Nicolas Lunven (Holcim PRB, 6e), eux, ont tranché depuis un petit moment, et en profitent pour cravacher au Nord tant que les conditions le permettent, la mer n’étant pas encore formée par le vent. 

Vous me direz, c’est leur métier. Les Mers du Sud, les quarantièmes rugissants, les tempêtes australes, ils viennent les chercher. Certes, mais si l’on est honnête, ils ne viennent pas pour cela, mais plutôt malgré cela. Ils ne cherchent pas à « prendre tarif», mais savent tous qu'effectivement, c'est le tarif obligé de leurs choix de passionnés. Et c’est parce qu’ils sont professionnels qu’ils continuent effectivement de nous répondre, à l’image de Justine Mettraux (Teamwork – Team SNEF), revenue à la dixième place grâce à une trajectoire Sud osée mais qui va lui permettre de faire moins de route sur ses camarades de jeu, Samantha Davies (11e), Boris Herrmann (12e) et Clarisse Crémer (L'Occitane en Provence, 13e). Cette nuit, elle nous partageait ses conditions : 
 


Physiquement et moralement, ça va bien, j’aimerais bien juste un peu plus de sommeil mais en ce moment les conditions de mer font que c’est pas facile de se reposer, ça tape beaucoup. Comme tu peux l’entendre en ce moment, c’est vraiment pas très agréable ni pour moi, ni pour le bateau. Là je suis dans 20-25 nœuds de vent, au reaching assez serré, et le vent va progressivement mollir, j’espère que la mer aussi parce que là je suis en train de traverser une dernière veine de courant des Aiguilles, donc il faut tenir le coup encore ces quelques heures.

Justine Mettraux
Teamwork-Team Snef

COURSE, 03 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Singchain Team Haikou lors de la course à la voile du Vendée Globe le 03 décembre 2024. (Photo du skipper Jingkun Xu)
COURSE, 03 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Singchain Team Haikou lors de la course à la voile du Vendée Globe le 03 décembre 2024. (Photo du skipper Jingkun Xu)

« Je le sentais pas » 

Tenir, réduire la voilure parfois, ralentir même. C’est le cas depuis 24 heures de Fabrice Amedeo (Nexans – Wewise, 36e), qui devrait voir sa première dépression dans la journée de mercredi : 


Les routages me faisaient descendre directement le long de la zone d’exclusion antarctique, mais je le sentais pas d’aller dans 5-6 mètres de vagues fichier, ce qui veut dire plus pour certaines vagues, des rafales à 45-50 nœuds. Je trouvais que c’était un peu engagé pour commencer, après c’est peut-être un syndrome refus d’obstacle… Mais après l’anticyclone de Sainte-Hélène et le beau temps, c’est toujours un peu flippant de rentrer dans les Mers du Sud, moi je me suis toujours écouté, j’ai toujours navigué en bon marin… après cette dépression, il y a une porte qui s’est ouverte pour naviguer bien et dans le bon sens pour quelques jours donc je suis plutôt serein.

Fabrice Amedeo
Nexans-Wewise

Si l’ancien journaliste, qui vit son troisième Vendée Globe, devrait avoir un passage du Cap de Bonne Espérance plutôt favorable, il n’en va pas de même pour ceux qui le précèdent. Le groupe mené par Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-Lux, 20e) continue de chercher la solution pour un passage sans encombre dans des conditions qui s’annoncent musclées. « Si je vais trop nord j’ai le courant de l’Afrique du Sud qui va me faire des misères, et si je vais trop sud je vais dans des conditions très compliquées », résumait Alan Roura (Hublot, 22e), étonnamment pas pressé de choisir entre la peste et le choléra… 

Avant même d’être confronté à ce cornélien choix sud-africain, Guirec Soudée (Freelance.com, 28e), partagé entre crainte et fascination, nous racontait : 
 


Je peux vous dire que ça commence à bien envoyer là, et que j’ai été obligé de bien lever le pied, parce que si je continuais à cette vitesse, c’était obligé que le bateau ne pouvait pas tenir. C’est comme rouler en voiture sur un terrain de cross à fond, au bout d’un moment t’as forcément des choses qui lâchent ! La mer est bien déchaînée là, j’ai quatre-cinq mètres de creux, le ciel est gris, je viens de voir un arc-en-ciel magnifique, c’est chouette de retrouver les Mers du Sud, je suis content d’être là, vraiment.

Guirec Soudée
FREELANCE.COM

Car oui effectivement, même si c'est dur, angoissant, effrayant parfois, ils continuent d'aimer ça. Alors quand les mots du bord se font rares, qu’on ne veut pas les presser davantage d’avoir à en donner, il y a ceux des autres. Ceux qui sont passés par là. 

Et ce n’est pas un hasard si mardi, un certain Christophe Auguin a repris la plume virtuelle pour échanger quelques mots avec Jacques Caraës, directeur de course adjoint de cette dixième édition du Vendée Globe, et surtout marin d’exception. « Ca rappelle des souvenirs », a écrit le vainqueur du troisième Vendée Globe, l’édition 1996-1997, celle de toutes les tempêtes. Des souvenirs d’un autre temps, tant les bateaux et la sécurité des marins a évolué depuis, mais les Mers du Sud, elles, restent bel et bien les mêmes, fidèles à leur réputation. 

COURSE, 03 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Groupe Dubreuil lors de la course à la voile du Vendée Globe le 03 décembre 2024. (Photo du skipper Sébastien Simon)
COURSE, 03 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Groupe Dubreuil lors de la course à la voile du Vendée Globe le 03 décembre 2024. (Photo du skipper Sébastien Simon)

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