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Les enfants du (presque) paradis

Alors que Charlie Dalin et Yoann Richomme passeront leur prochaine nuit dans un lit dont ils rêvent sûrement depuis quelques temps, le reste de la flotte continue d’avancer en essayant de savourer ces instants qui ont un goût d’éternité. Mais pour ces grands enfants de la pleine balle, lancés dans un train d’enfer, tout peut basculer aussi vite qu’un départ à l’abattée.

COURSE, 15 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau MS Amlin lors de la course à la voile du Vendée Globe le 15 janvier 2025. (Photo du skipper Conrad Colman)
COURSE, 15 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau MS Amlin lors de la course à la voile du Vendée Globe le 15 janvier 2025. (Photo du skipper Conrad Colman)

Les yeux qui brillent, le sourire aux lèvres, et la voix emplie d’émotions. Non, on ne parle pas de Charlie Dalin et Yoann Richomme qui, en moins de 24 heures, ont successivement embrasé - et embrassé - les Sables d’Olonne pour célébrer deux épopées si parfaitement exécutées. Cette joie tout aussi pure nous vient de bien plus loin, à 7 000 milles de l’effervescence du moment, dans la solitude d’un marin qui vient de vivre, lui aussi et sans aucun doute avec la même intensité, un rêve de gosse en majesté… Celui d’Oliver Heer (Tut Gut, 29e), qui nous racontait : 


Ce Cap Horn, j’y pense depuis toujours, depuis que je fais de l’Optimist sur le lac de Zurich, alors avoir pu le franchir c’est juste fantastique... Je suis un petit garçon très heureux aujourd’hui !

Oliver Heer
Tut gut.

Le marin suisse l’aura d’autant plus savouré que son approche aura été légèrement « rock’n’roll », avec une cinquantaine de nœuds de vent et « un sacré état de mer. » « J’ai navigué très sagement, avec trois ris », nous racontait le discret mais solide « Ollie », qui compte désormais plus de 200 milles d’avance sur ses poursuivants Antoine Cornic (HUMAN Immobilier, 35e) et Jingkun Xu (Singchain Team Haikou, 36e). « Ce qui est vraiment impressionnant c’est à quel point, en moins d’une heure, tout se calme au cap, on se retrouve à 20 nœuds avec moins de deux mètres de vague, des conditions parfaites… Je suis très heureux de laisser les mers du Sud derrière moi, ça termine un gros chapitre ! Je suis toujours à peu près en bon état, je suis prêt pour l’Atlantique ! », nous disait-il avec bonheur, nous rappelant cette jolie tirade de Jacques Prévert : « Les rêves, la vie, c'est pareil ! Ou alors ça vaut pas la peine de vivre ! »

COURSE, 14 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Tut Gut. Passage du Cap Horn lors de la course à la voile du Vendée Globe le 14 janvier 2025. (Photo du skipper Oliver Heer)
COURSE, 14 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Tut Gut. Passage du Cap Horn lors de la course à la voile du Vendée Globe le 14 janvier 2025. (Photo du skipper Oliver Heer)

« Alors voilà, chaque minute doit être savourée ! »

Est-ce l’arrivée des deux premiers qui, soudain, a donné au reste de la flotte encore plus conscience de l’aventure qu’ils vivaient et qui, comme toutes les meilleures choses parait-il, allait irrémédiablement se finir un jour ? C’est en tous cas ainsi que Benjamin Ferré (Monnoyeur - DUO For a JOB, 16e) nous décrivait son état d’esprit, malgré sa récente avarie de voile d’avant qui lui a valu une montée au mât qu’il redoutait tant : 


Moralement ça va super bien, c’est marrant parce que j’ai l’impression que dès que j’ai des nouvelles de la Terre on me demande « quand est ce que t’arrives », et moi je suis plutôt dans le mood « punaise, il reste plus qu’une quinzaine de jours pour profiter, parce qu’après c’est terminé, la vie de terrien reprend ! ». Alors voilà, chaque minute doit être savourée ! Je suis dans cet état d’esprit là depuis quelques jours, en mode guerrier, « ok j’ai compris, c’est ça le Vendée Globe, c’est quoi la prochaine avarie ? De toutes façons faudra toutes les régler pour arriver à bon port ! » Jean Le Cam se moquait de moi en disant que j’étais jamais au chantier, bah je crois que j’ai rattrapé mes quatre ans d’absence sur un Vendée Globe !

Benjamin Ferré
MONNOYEUR - DUO FOR A JOB

Pas épargné techniquement, le « bizuth » a tout de même, pour compenser, reçu un joli cadeau de la météo, lui permettant de recoller à des camarades qui lui avaient dit « ciao » au large de la Tasmanie ! Un scénario « inespéré », de son propre aveu, mais auquel « Pépin » a continué de s’accrocher :


Je me suis toujours dit « tant que la ligne d’arrivée n’est pas franchie, tu peux y arriver. S’ils ont pu te coller 1000 milles, tu peux rattraper 1000 milles ! » Après franchement, je pense que les maître-mots là-dedans, c’est humilité et discrétion, il ne faut surtout pas fanfaronner parce que ça peut s’inverser d’une minute à l’autre ! Dans quatre heures, on rentre dans la zone des orages, et ça va être assez aléatoire !

Benjamin Ferré
MONNOYEUR - DUO FOR A JOB

COURSE, 15 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau L'Occitane en Provence lors de la course à la voile du Vendée Globe le 15 janvier 2025. (Photo de la skipper Clarisse Crémer)
COURSE, 15 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau L'Occitane en Provence lors de la course à la voile du Vendée Globe le 15 janvier 2025. (Photo de la skipper Clarisse Crémer)

« Bien poser les choses pour la suite… »

Si Romain Attanasio (Fortinet-Best Western, 14e) semble enfin avoir trouvé une porte de sortie – et une solution a son problème de hook, de quoi être ravi -, derrière c’est en effet une belle loterie ! Pour l’heure, le trio de l’option Est, formé par Damien Seguin (Groupe APICIL, 15e), Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-Lux, 21e) et Alan Roura (Hublot, 17e) ne semble pas récolter les fruits de son pari, mais ils devraient dans les prochaines heures être moins ralentis par les intempéries…

De son côté, Tanguy Le Turquais (Lazare, 18e), lui aussi miraculeusement revenu dans la bataille, expliquait son choix d’aller jouer à l’Ouest : 


On aurait pu partir à l’Est comme Alan, Jean et Damien, mais franchement c’était un peu un calvaire comme option, avec du près dans du vent fort, et t’y gagnais pas grand-chose… Nous on joue dans des petits airs là, mais ça se passe plutôt bien, ça ne permet pas de se reposer parce que c’est sollicitant, mais ça permet de prendre bien soin du bateau, du bonhomme, et de bien poser les choses pour la suite…

Tanguy Le Turquais
Lazare

Et c’est justement jamais trop loin l'un de l'autre que Tanguy Le Turquais et Benjamin Ferré espèrent poursuivre ce tour du monde, eux qui depuis le début de l’aventure ne se lâchent pas d’une semelle. 


Je rêve d’une arrivée à devoir tirer un bord aux Glénan en battle avec Tanguy et de passer la ligne en même temps, pour remonter le chenal en même temps, ce serait trop beau par rapport au Vendée qu’on a vécu ! Mon petit copain rose dans mon tableau arrière, comme à l’accoutumée, c’est top ! Et là 20 degrés, grand beau temps, ciel bleu, mer plate, autant te dire : le paradis par rapport à ce qu’on a vécu dans le Sud ! J’avais oublié que le bateau à voile pouvait être aussi agréable !

Benjamin Ferré
MONNOYEUR - DUO FOR A JOB

Décidément, il n’y a pas que Paris qui « est tout petit pour ceux qui, comme nous, s'aiment d'un aussi grand amour », l’océan aussi !

Mais pour ces grands enfants qui aimeraient toujours continuer de s’amuser, la fin de la récré peut aussi très vite sonner ! Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 12e), plus que jamais à la lutte avec Benjamin Dutreux (Guyot Environnement – Water Family, 13e) et Samantha Davies (Initiatives-Cœur, 14e) se remet ainsi tout juste de sa belle frayeur avec un cargo croisé d’un peu trop près, tandis que devant, Paul Meilhat (Biotherm, 6e) a vu sa course mise entre parenthèse par la casse de son étai. 

Si le skipper basé à Lorient était à la lutte avec Sam Goodchild (VULNERABLE, 5e) et Jérémie Beyou (Charal, 4e) pour les places d’honneur, l’objectif est désormais surtout de ramener son bateau jusqu’aux Sables d’Olonne sans démâter… Pas sûr que son petit matelas d’avance sera dès lors suffisant pour calmer l’appétit de Nicolas Lunven (Holcim-PRB, 7e), désormais à moins de 100 milles de son tableau arrière. Du paradis à l’enfer, il n’y a décidément toujours qu’un petit pas, surtout sur le pont d'un IMOCA...

COURSE, 15 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Prysmian lors de la course à la voile du Vendée Globe le 15 janvier 2025. (Photo du skipper Giancarlo Pedote)
COURSE, 15 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Prysmian lors de la course à la voile du Vendée Globe le 15 janvier 2025. (Photo du skipper Giancarlo Pedote)

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