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Le sel des contrastes

Dans les mers du Sud, le Vendée Globe s’écrit comme une saga épique, entre action, rebondissements spectaculaires et moments où le souffle reste suspendu. En tête de course, les leaders filent à toute berzingue sur un terrain de jeu qui ferait passer un grand huit pour une promenade en pédalo mais plus loin, les poursuivants vivent une autre aventure. Certains luttent au près, leur bateau frappant les vagues avec la régularité d’un marteau-piqueur sur un mur de béton. D’autres, englués dans un anticyclone, avancent à un rythme si lent qu’on pourrait le qualifier, avec diplomatie, de « méditatif ». Le résultat ? Des parcours contrastés, où quelques-uns vivent à 100 à l’heure pendant que d’autres révisent leurs notions de patience. Mais qu’ils foncent, vivent penchés ou stagnent, tous les solitaires affrontent ces latitudes glaciales avec un respect mêlé d’humilité.

LE 21 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau DMG MORI Global One lors de la course à la voile du Vendée Globe le 21 décembre 2024. (Photo du skipper Kojiro Shiraishi) vagues
LE 21 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau DMG MORI Global One lors de la course à la voile du Vendée Globe le 21 décembre 2024. (Photo du skipper Kojiro Shiraishi) vagues

Le Vendée Globe est un théâtre de contrastes extrêmes. En tête de course, les leaders crapahutent à pleine vitesse et empilent les milles à une cadence effrénée. « Actuellement, on a entre 20 et 25 nœuds de vent au portant et ça va globalement être le cas jusqu’au cap Horn. Une fois que le bateau est réglé, ça va un peu tout seul. Il n’y a pas beaucoup à réfléchir, c’est très simple », a commenté Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA), reconnaissant profiter d’un « scénario météo incroyablement efficace » depuis son entrée dans les mers du Sud. Pour ses adversaires, derrière, la situation est cependant loin d’être aussi « facile ». Certains courbent l’échine au cœur de la tempête, affrontant des vagues furieuses et un vent implacable. D'autres, prisonniers d’un anticyclone perfide, se débattent dans un calme plat étouffant, et d’autres encore avancent laborieusement au près, luttant contre des vents contraires qui mordent à travers le froid et mettent les machines à rude épreuve. « Pour ma part, j’arrête de regarder, d’écouter et de lire ce que disent les gars de devant. C’est tellement à l’opposé de ce que je vis ! Eux glissent alors que moi je lutte pour avancer dans une mer démontée. On est vraiment dans des univers totalement différents et c’est terriblement rageant ! », a commenté Éric Bellion, ce samedi, avec cette drôle d’impression de progresser dans un champ de patates pendant que les leaders sprintent sur une piste en tartan.

Quand l’océan mène la danse

« Ce qu’on fait depuis le début dans l’océan Indien, c’est essayer de trouver un trou de souris pour se glisser et passer sans se faire mordre. Ça devrait être un peu pareil dans le Pacifique. Il va falloir trouver les bons chemins, pas forcément les plus courts, mais les plus sages et finalement les plus rapides à la fin. Cela impose de la patience », a ajouté le navigateur qui sait que dans ce type de situation, mieux vaut effectivement philosopher que pester, surtout lorsque les routages proposent des trajectoires si particulières qu’on pourrait presque croire qu’ils ont grillé un fusible en chemin. Pour preuve, certains suggèrent de passer carrément au nord de la Nouvelle-Zélande. Si c’est possiblement optimal sur le papier, dans les faits, une route plus au sud sera sans aucun doute privilégiée par la petite bande du skipper de Stand as One – Altavia et ses comparses. A prévoir toutefois : une zone de transition (autrement dit, de la molle) et du près. En somme, une séquence loin d’être fulgurante qui pourrait offrir à Kojiro Shiraishi (DMG MORI Global One) et Oliver Heer (Tut Gut.) l’occasion de remonter au classement aussi rapidement qu’un bouchon de liège à la surface. Idem pour Guirec Soudée (Freelance.com) qui, lui, a déjà été catapulté ce matin comme un bouchon – mais de champagne celui-là -, alors qu’il se trouvait dans sa bannette. « Je dormais profondément, depuis 20 ou 30 minutes. D’un coup, le bateau s’est mis sur la tranche. J’ai été violemment projeté, comme dans un accident de voiture. J’ai mis une ou deux minutes avant de comprendre ce qui c’était passé. J’ai pris un bon « pet » au niveau de l’épaule gauche. Heureusement, il y a eu plus de peur que de mal au bout du compte », a relaté l’aventurier subtilement ramené sur la piste par l’Indien qui lui a rappelé que, parfois, les ennuis peuvent mener la danse. Côté rythme, Denis Van Weynbergh (D’Ieteren Group) et Xu Jingkun (Singchain Team Haïku) ne sont pas en reste : leur scène de bal est secouée par un front furieux, avec des rafales entre 60 et 65 nœuds. Heureusement pour eux, ce numéro de haute voltige en apnée involontaire ne devrait durer que quelques heures encore, avant que le vent ne décide de lever le pied d’ici la fin de la journée.

Entre furie et apathie

Le contraste est évidemment saisissant avec les conditions que rencontre actuellement le paquet emmené par Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-lux) et Isabelle Joschke (MACSF). Embourbé dans un anticyclone traître, il avance à peine. Pour lui, le calme plat se mue en frustration. Est-ce à dire que l’immobilité, dans ces latitudes hostiles, est presque aussi redoutable que les tempêtes ? On ne s’y aventurait quand même pas, surtout après avoir papoté avec Benjamin Dutreux (GUYOT environnement – Water Family) lors de la vacation ce matin, et entendu à répétition son bateau s’élever puis retomber lourdement, avec un fracas sourd. « Depuis peu, j’en ai fini avec le près, mais pas avec les vagues ! Ça tape fort et je dois doser l’appui sur l’accélérateur pour ne pas éclater le bateau. La bonne nouvelle, même si la mer est toujours de face, c’est que je fais du Sud-Est. Après trois jours à tirer des bords, ça fait du bien au moral d’aller enfin dans la bonne direction ! », a relaté le Sablais impatient de retrouver, d’ici 24-48 heures, des vents portants pour cavaler bon train en direction du cap Horn, et ainsi imiter les leaders, Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) et Yoann Richomme, qui ont, par ailleurs, légèrement décroché Sébastien Simon, forcément bien handicapé par la perte de son foil tribord en bâbord amures. « Je ne vis pas du tout la même course que ceux de devant qui n’ont encore jamais bordé les voiles pour aller au près. Chacun vit son histoire et son Vendée Globe », a ajouté Benjamin Dutreux qui, comme ses camarades, observe que dans les mers du Sud, les contrastes s’abattent (parfois) comme des gifles salées.


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