« C’était un chaudron infernal »
Ce n’est qu’en 1968, lors du Golden Globe Challenge, premier tour du monde sans escale, que des skippers s’y aventurent pendant une course. Pour les marins du Vendée Globe, c’est devenu un passage obligé. Il s’agit du troisième cap à franchir (après Bonne Espérance et Leeuwin). Pour les bizuths, c’est une curiosité, l’assurance d’un frisson qui oblige à se dépasser et à résister. Jean-Luc Van den Heede, concurrent de la première édition en 1989, raconte, dans un de ses livres*: « je dois reconnaître que j’ai tremblé. C’était un chaudron infernal, je ne mets rien au-dessus de la condition de marin ».
En 1997, c’est à proximité du cap Horn que Gerry Roufs disparaît. Dans sa dernière communication avec l’organisation de la course, il expliquait : « les vagues ne sont pas des vagues, elles sont plus hautes que les Alpes ! » Au même moment, Isabelle Autissier décrivait des rafales atteignant 97 nœuds ! La navigatrice et Marc Thiercelin tenteront un temps de le chercher mais les creux de dix mètres et le froid glacial les ont poussés à abandonner rapidement les recherches. Ce n’est qu’un an plus tard que l’armée chilienne parviendra à retrouver des morceaux de coque au large de l’île d’Atalaya, à plus de 300 milles au Nord du cap Horn.
La « trouille » et le soulagement
Il y a quatre ans, Jean Le Cam évoquait « une frontière ». Il peut témoigner de la dureté du cap Horn : c’est là qu’il avait chaviré, en janvier 2009. Vincent Riou et Armel Le Cléac’h s’étaient déroutés. Le bateau était retourné, Vincent était parvenu à hisser Jean à bord de son IMOCA PRB. « Quand Jean est sorti de son bateau au large du cap Horn, il était accroché à son safran, je passais à côté, se souvient Vincent*. C’était une émotion très forte, compliquée à gérer, quelque chose de rare. Toute ma vie, je me souviendrai du regard de Jean ». 24 heures plus tard, une avarie d’outrigger bâbord engendre le démâtage de PRB. Récupérés par l’armée chilienne, les deux marins sont ensuite débarqués en Patagonie.
Une poignée d’années plus tard, le cap Horn se dresse à nouveau sur la route des skippers du Vendée Globe. Lors de la dernière édition, Yannick Bestaven reconnaissait « avoir la trouille ». Il expliquait : « c’est Nazaré en continu, on a l’impression d’être en surf tracté avec 8 à 10 mètres de vagues ». Certains ont dû s’accrocher à l’instar de Maxime Sorel dont le bateau s’était couché à l’horizontale et Boris Herrmann qui avait déchiré sa grand-voile.
Franchir le Cap Horn offre un incroyable soulagement dont font part tous les skippers. « J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, c’est tellement d’efforts pour en arriver là » confiait Damien Seguin il y a quatre ans. Il y a un avant et surtout un après qu’on apprend à savourer. « D’un coup, tu ressens moins de tension, tu te sens plus léger » racontait Armel Tripon. Et Thomas Ruyant de conclure : « c’est dingue comment la transition est brutale. Moralement, je me suis senti complètement reboosté de faire route vers la maison ». Tous ces marins, comme leurs aînés, cultivent dès lors une certaine fierté : ils feront partie à jamais du très exclusif groupe des ‘cap-horniers’.
*Extrait de ‘Un globe à la force du poignet’ (Filipacchi, 1990)
*Extrait de « Vendée Globe, les aventuriers du grand Sud (Hugo Sport, 2024)