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Le cap Horn : frontière entre solitude et civilisation

Pour les marins du Vendée Globe, quand enfin le cap Horn se profile, c’est un peu comme apercevoir une station-service après des kilomètres sur la réserve. Sauf qu’ici, pas de café ni de croissant, juste un gros bout de rocher battu par des vents hargneux. Depuis hier soir, trois nouveaux solitaires – Thomas Ruyant (VULNERABLE), Jérémie Beyou (Charal) et Nicolas Lunven (Holcim – PRB) - ont franchi cette pointe légendaire, rejoignant les trois premiers. Pour eux, c’est la fin des mers du Sud et le début d’un lent retour à la civilisation. Pas de triomphe éclatant, juste un souffle de soulagement et un sourire discret sous la capuche détrempée : ils savent que l’arrivée est encore loin, mais passer au large de la Terre de Feu, c’est déjà naviguer avec l’idée qu’elle existe, quelque part au bout de l’horizon.

COURSE, 27 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau VULNERABLE skipper Thomas Ruyant (FRA) lors de la course à la voile du Vendée Globe le 27 décembre 2024. (Photo du skipper Thomas Ruyant) Cap Horn
COURSE, 27 DÉCEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau VULNERABLE skipper Thomas Ruyant (FRA) lors de la course à la voile du Vendée Globe le 27 décembre 2024. (Photo du skipper Thomas Ruyant) Cap Horn

« Ça y est ! Le cap Horn, c'est fait, c'est coché ! », a exulté Thomas Ruyant en laissant éclater sa joie dans un tourbillon d’émotions, ravi d’avoir franchi le troisième et dernier grand cap de son tour du monde. « C’est la frontière avec la civilisation. On vient de traverser des océans où on n'est pas vraiment les bienvenus. On y trouve certainement quelque chose. Un albatros est venu jouer avec le bateau. Peut-être mon dernier avant longtemps. Je me suis surpris pour la toute première fois à parler à mon bateau qui a bien tenu et qui ne m’a pas fait de crasse. Ce doit être l'océan qui rend un peu fou ! », a ajouté le skipper de VULNERABLE, de retour en Atlantique depuis 18h38 hier soir et imité, depuis, par Jérémie Beyou puis Nicolas Lunven, respectivement à 5h16, puis à 5h31 ce samedi. On l’a compris, franchir le cap Horn, pour les skippers du Vendée Globe, c’est plus qu’un simple checkpoint sur une carte : c’est un événement entre le rite initiatique et la fête de quartier, sauf qu’au lieu de guirlandes et de voisins sympathiques, vous avez des vents furieux et des vagues taille gratte-ciel. Après un mois à naviguer dans les mers du Sud, ce passage est une porte symbolique, presque mystique, vers un monde plus clément. Pour beaucoup, c’est comme rentrer d’un long séjour dans une coloc infernale avec une météo lunatique. Ce bout de terre, balayé par des vents aussi subtils qu’un coup de pelle, est une délivrance autant qu’une célébration. Certains marins parlent d’un souffle d’espoir, d’une promesse de retrouver des eaux plus douces. Mais il y a aussi un pincement au cœur. Les mers du Sud, brutales et grandioses, laissent une empreinte indélébile, un peu comme un tatouage dont on n’est pas sûr de vouloir se débarrasser. Ainsi, le cap Horn reste bien plus qu’un cap : c’est une collision saisissante entre l’aventure à l’état brut et un retour progressif à l’humanité.

 Un sentiment d’éloignement à son paroxysme

Mais attention, franchir cette pointe australe de l’Amérique du Sud ne signifie pas que l’aventure est derrière eux. La longue remontée de l’Atlantique est un tout autre défi, aussi stratégique qu’éprouvant. Ici, le danger ne vient plus des vagues monstrueuses ou des températures glaciales, mais des subtilités du vent, des systèmes météorologiques imprévisibles et des décisions tactiques qui peuvent faire ou défaire la course. Pas question, donc, de baisser la garde ou de rêver à l'arrivée. Trouver le meilleur chemin, éviter les pièges : c’est un peu comme jouer à une partie de Tetris où chaque nuage est une pièce qui peut soit sauver votre journée, soit vous mettre dedans. Il faut être rapide, précis et visionnaire, tout en restant vigilant face à la fatigue, ce passager clandestin qui commence sérieusement à prendre trop de place à ce stade de la course. « C’est très intense depuis le passage du cap Horn mais le moral est bon. On est là où on veut être », a commenté Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA), actuellement en train de contourner une petite dépression par son Nord, à la latitude de Montevideo. « Pour l’instant, ça ne se passe pas mal, à part quelques risées un peu fortes que je suis en train de choper parce que j’arrive près du centre du système mais si tout se passe bien, il devrait me passer juste devant. Mon objectif est de l’optimiser au mieux pour qu’il me pousse le plus au Nord possible », a détaillé le leader de la flotte. Pour l’heure, il est bien placé, tirant parti de la courbure de la dépression, une configuration qui échappe à son principal rival, Charlie Dalin, positionné plus au sud. L’occasion pour lui de se faire la malle ? C’est presque aussi sûr que le soleil se lève à l’Est, mais la tâche nécessite de la précision. « L’enjeu – relativement gros -, c’est d’atteindre le front froid stationnaire de cap Frio rapidement. Il faut se placer par rapport à lui et trouver un trou de souris pour se faufiler dedans. Ce n’est pas si facile que ça à faire. Je passe donc pas mal de temps à l’étudier », a souligné Yoann qui va continuer d’aligner les milles à vitesse grand V pendant encore 24 heures avant de ralentir nettement la cadence dans une phase de transition. 


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