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La sueur au (premier) front

LA DEUXIÈME NUIT. On les avait quittés en fin de journée encore relativement bien rangés, dans un peloton compact mené à vitesse grand V par un lièvre à l’endurance d’une tortue. On les retrouve au petit matin, éparpillés façon puzzle par le casse-tête nocturne imposé par un Cap Finisterre à la hauteur de sa réputation : venté, houleux, et encombré façon périph’ à l’heure de pointe.

11 NOVEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Groupe Dubreuil lors de la course à la voile du Vendée Globe le 11 novembre 2024. (Photo du skipper Sébastien Simon)
11 NOVEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Groupe Dubreuil lors de la course à la voile du Vendée Globe le 11 novembre 2024. (Photo du skipper Sébastien Simon)

Certes ce n’est pas Bonne Espérance, Leeuwin ou le Horn, mais le Cap Finisterre, la pointe nord-ouest de la péninsule ibérique, sait se défendre en matière de pénibilité ! Si pour les néophytes, ou les joueurs virtuels il est souvent le premier (et le dernier) obstacle sur lequel se fracasser, il constitue aussi une embûche de taille pour les 40 marins du Vendée Globe. 627 mètres précisément, la hauteur du Monte Pindo, le point culminant de cet ensemble de falaises de granite qui vient se baigner les pieds dans l’océan Atlantique, et fait accélérer et changer de direction un vent déjà souvent soutenu, chamboule la houle, et cueille souvent à froid les marins qui le longent.

Or le longer, ils y sont souvent bien obligés ! Car depuis 1993, à 18 milles (28 km) des côtes, a été créé un dispositif de séparation de trafic - ou “DST”, si vous voulez briller dans les dîners - pour organiser cette zone de navigation très fréquentée. Seuls les nombreux cargos sont autorisés à y pénétrer !

Autant dire qu'ils ont pris le temps d'y cogiter à cette première difficulté, les marins du Vendée Globe ! « J'aime ces conditions où l'humain est meilleur à la barre que le pilote automatique, et où l'on cherche le vent avec les yeux et non avec les fichiers météo, racontait ainsi le skipper hongrois Szabolcs Weöres (New Europe). Le Cap Finisterre est toujours délicat, il semble que nous puissions avoir plus de 30 nœuds, il faut donc s'y préparer ! Je vais réduire la surface de voile et je veux être sûr de pouvoir faire une manœuvre à tout moment. »

L'intérieur privilégié

Et choisir son camp  ! Car cette nuit, tous ont dû trancher : passer « à l’intérieur » du DST, au plus près des côtes pour raccourcir la route, jouer la courbure du vent, mais s’obliger à beaucoup de manœuvres pour rester dans cette étroite bande de mer, partagée en outre avec des plaisanciers et pêcheurs qui ne se soucient pas forcément autant qu'eux d’éviter les collisions. Ou opter pour un passage à l’Ouest du DST, ce qui rallonge la route mais en évite bien des désagréments ! Le tout bien sûr, avec un premier coup de vent soutenu, imposant un éreintant changement de voile !

Résultat des jeux ? L’intérieur du DST a remporté les faveurs du gros de la flotte de ce dixième Vendée Globe, à commencer par le leader, Charlie Dalin (MACIF santé prévoyance), ses dauphins directs, Sam Goodchild (VULNERABLE), Sébastien Simon (Groupe Dubreuil) ou encore Jérémie Beyou (Charal)), et le chapelet de poursuivants à leurs trousses.

Et ils n’ont pas été déçus du voyage, à l’image de Sébastien Marsset, qui nous racontait depuis le siège de veille de son IMOCA FOUSSIER.
 


Ça me paraissait très simple de passer dans le Sud du DST, et ça s’est avéré plus compliqué que ce que je pensais ! Des zones très rafaleuses, et surtout des zones sans vent pas forcément là où on les attendait ! On est en train de quitter la côte, la mer est un peu formée, c’est pas facile de trouver la bonne vitesse pour le bateau et d’être stable surtout, on a entre 26 et 36 nœuds de vent ! Pour tout vous dire, je viens juste de faire un gros départ au tas. J’essaie de sortir de là avec pas de casse, c’est comme ça que je l’aborde !

Sébastien Marsset

FOUSSIER

11 NOVEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Malizia - Seaexplorer lors de la course à la voile du Vendée Globe le 11 novembre 2024. (Photo du skipper Boris Herrmann)
11 NOVEMBRE 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Malizia - Seaexplorer lors de la course à la voile du Vendée Globe le 11 novembre 2024. (Photo du skipper Boris Herrmann)

l'extérieur « un peu plus en contrôle »

Mais dans toute partie rondement menée, il faut bien quelques joueurs pour se démarquer ! A commencer par Yannick Bestaven (Maître CoQ V), qui a quitté le top 5 pour faire cavalier seul à l'extérieur du DST. Si le vainqueur en titre du Vendée Globe a perdu quatre places et quelques milles dans l'opération, il a néanmoins épargné peut-être un peu plus sa monture et son organisme, ce qui n'est jamais une idée complètement farfelue dans un marathon du genre !

Derrière, plusieurs bateaux lui ont d'ailleurs emboîté le pas, à l'image de Boris Herrmann (Malizia - Seaexplorer), Romain Attanasio (Fortinet - Best Western), ou encore, sur une option bien plus au large, Nicolas Lunven (HOLCIM - PRB) et la Suissesse Justine Mettraux (TeamWork-Team Snef), qui expliquait à l'aube :


On est dans l’ambiance 25-30 nœuds de vent au portant, depuis l’approche du Cap Finisterre. J’ai choisi de faire une route extérieure du DST pour faire une trajectoire un peu plus simple, un peu plus en contrôle parce qu’au moment où on passait c’était vraiment déjà assez fort dans le corridor sous le cap Finisterre. Normalement, on devrait pas beaucoup perdre sur la route optimale, on fera les comptes dans 24 heures, mais ça ne devrait pas faire de gros écarts !

Justine Mettraux

Teamwork-Team Snef

Le pronostic de la navigatrice, bizuth du Vendée Globe mais solidement expérimentée, sera-t-il confirmé ? Une chose est sûre, il ne faudra pas traîner dans la descente du Portugal, car les partisans de l'intérieur, même usés par plus de manœuvres nocturnes, ne semblaient pas montrer de signes de ralentissement, à commencer par le premier au classement depuis plus de 24 heures, Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance). Devant son début de course parfaitement exécuté, le double vainqueur du Vendée Globe, Michel Desjoyeaux, s'amusait d'ailleurs : « Si Ariane Espace cherche un nom pour leur fusée, ils peuvent l’appeler Dalin ! »


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