Les confidences de Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance), leader et acteur majeur de ce Vendée Globe, sont rares. Le marin préfère rester dans sa course, tout donner et ne rien laisser au hasard. Pourtant, peu après le départ en novembre dernier, il rappelait sur les réseaux sociaux un principe immuable à tous les concurrents du Vendée Globe : « pour bien régler le bateau, pour faire les bons choix stratégiques, il faut être lucide. Dès qu’on l’est moins, on est un peu moins percutants. Et pour y parvenir, il faut bien dormir ». Clarisse Crémer (L'Occitane en Provence) l'illustre parfaitement dans sa vidéo postée ce dimanche 5 janvier, ou encore Benjamin Ferré (Monnoyeur - DUO for a JOB) qui accuse un gros coup de fatigue et expose les conséquences du manque de lucidité, le 6 décembre dernier.
Quand le manque de lucidité peut « mettre une vie en danger »
Yves Lambert est médecin, membre de l’association AMCAL composée des médecins qui se relaient en permanence pour assurer le suivi médical des skippers. Il rappelle que la lucidité est « la faculté de voir et de comprendre les choses avec clarté et justesse, un fonctionnement normal des facultés mentales, la poursuite d’une activité avec la même intensité ». La notion de perte de lucidité est différente dans les autres disciplines sportives où elle définit « des gestes simples ratés en fin de partie ». Là, dans une épreuve d’environ 70 jours, en solitaire, sans assistance, sans escale, sans trêve, le manque de lucidité peut « mettre une vie en danger ».
Sauf qu’en mer, il faut composer avec « le manque de sommeil, l’effort intense et prolongé, le manque de ressource alimentaire ou cognitive, l’absence de soutien physique ». Quand la lucidité vient à manquer, les conséquences peuvent être nombreuses : « il peut s’agir de chute de la performance, de défaillance des automatismes ou encore de façon plus dramatique des casses, une panne, une blessure, l’abandon voire une chute à la mer ».
Un panel de qualité pour renforcer la lucidité
Les marins en ont bien conscience et tous ont travaillé cet aspect qui fait partie intégrante de leur préparation. « Des ressources existent, physique ou mentale, afin de contribuer à être le maître à bord, à accepter d’être imparfait » poursuit Yves Lambert. Le médecin rappelle que les « ressources mentales sont très inégales » parmi les compétiteurs en raison de leur âge d’une part – de 23 ans pour Violette Dorange (Devenir) à 63 ans pour Jean Le Cam (Tout commence en Finistère - Armor-lux) - et de leur expérience d’autre part.
Tout un panel de qualités participe à renforcer la lucidité. Le docteur les liste : « le professionnalisme, le goût de la compétition, la confiance en soi, la discipline, la concentration ». Il évoque aussi « des éléments plus ou moins bien intégrés » comme l’éthique, l’optimisme, le sacrifice, la résilience, la résistance à la pression ou l’émotivité. Et il ajoute : « les domaines à appréhender pour un skipper sont multiples, certains plus importants que d’autres, mais les moins importants sont-ils secondaires ? »
Charlie Dalin évoque régulièrement cette nécessaire lucidité, notamment quand il revient sur sa précédente arrivée du Vendée Globe en 2021*. Le Normand nous l’a confié dans une interview avant de s’élancer cette année : « il m’a manqué 2h30 donc forcément, je me réveillais la nuit pour trouver les minutes qui m’ont manqué dans tel changement de voile, telle manœuvre, tel choix que j’ai pu faire. » Là encore, il faut une sacrée dose de lucidité, après tant de jours de mer, pour savoir tirer les meilleurs bords possibles et se donner à fond jusqu’au bout. Et Yves Lambert de conclure : « je ne suis pas sûr que certains grands marins étaient très lucides à leur arrivée ».