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La grande évasion

A défaut de voir tout de suite le bout de leur tunnel, les solitaires continuent de se creuser les méninges pour résoudre les casse-têtes disséminés à la pelle sur leur tracé. Mais même dans ces conditions engagées, le cerveau humain parvient toujours à trouver une petite manière de s’offrir une brève échappée !

COURSE, 23 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau D'Ieteren Group lors de la course à la voile du Vendée Globe le 23 janvier 2025. (Photo du skipper Denis Van Weynbergh)
COURSE, 23 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau D'Ieteren Group lors de la course à la voile du Vendée Globe le 23 janvier 2025. (Photo du skipper Denis Van Weynbergh)

Qui n’a jamais fui par l’esprit une réunion qui s’éternise, un dîner de famille sans surprise, ou une corvée de ménage rébarbative ? Si nos solitaires ne partagent pas franchement ces impératifs en mer, leur quotidien n’est pas non plus toujours extraordinaire, et il faut parfois avoir recours à quelques diversions pour aider à remettre du charbon ! 

Ces derniers jours, Arnaud Boissières (La Mie Câline, 27e) était loin d’être à la fête. Au près quasiment depuis le Cap Horn, celui qui dispute son cinquième Vendée Globe consécutif ne s’ennuie pas, loin de là, mais aimerait bien tout de même subir un peu moins les aléas ! « Le près c’est pas notre tasse de thé, ni à Cali, ni à Arnaud, ni à mon fin navire ! On se bat pour pas être trop lent mais c’est quand même pas évident ! Quand on va ouvrir les voiles ce sera plus sympa ! », nous disait-il cette nuit, alors qu’il tentait de progresser au large d’un Brésil qui, décidément, ne nous a jamais semblé aussi vaste que depuis qu’on suit de près (et au près, donc) le Vendée Globe ! 

« ce qui ne me manque pas c’est les emmerdes à terre ! »

Dans ces conditions, les distractions peuvent parfois paradoxalement aider à la concentration. Attention, pas n’importe lesquelles ! Hors de question pour « Cali » de commencer à trop penser à la Terre – « j’essaie de ne pas focaliser sur ce qui me manque, parce ce qui ne me manque pas c’est les emmerdes à terre ! Les factures, les impayés, les je sais pas quoi… » - en revanche, quelques petites récréations peuvent aider à retrouver la bonne respiration quand les journées commencent un peu trop à se ressembler : border, choquer, remplir le ballast, vider le ballast, border, choquer, etc… 

Sa recette ? Une bonne dose de musique, quelques podcasts – son dernier fut sur l’épopée de Shackleton, l’Endurance – mais aussi quelques parties d’échecs. Enfin ça c’était avant de se retrouver bloqué à un niveau ! « Il échange les pièces en gros je lui mange sa dame, il mange ma dame, il joue à ça en fait. J’aime pas trop ça ! Je préfère arriver à bloquer l’adversaire, lui il joue à tout bouffer, ça m’énerve un peu, beaucoup même. Comme quand je vais pas assez vite en fait… » Et voilà finalement, on y revient toujours à cette course qui ne perd jamais ses droits, même quand on essaie de s’en éloigner un peu ! D’ici quatre jours normalement, si tant est que cet adverbe ait une quelconque valeur en mer, son petit groupe mené par Louis Duc (Fives Group – Lantana Environnment, 24e) devrait atteindre l’hémisphère Nord, si le Pot-au-Noir arrête de jouer les trouble-fêtes. 

COURSE, 22 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau La Mie Caline lors de la course à la voile du Vendée Globe le 22 janvier 2025. (Photo du skipper Arnaud Boissières)
COURSE, 22 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau La Mie Caline lors de la course à la voile du Vendée Globe le 22 janvier 2025. (Photo du skipper Arnaud Boissières)

« c’était une bonne épreuve de patience »

Car pour le groupe 1000 milles devant, c’est peu dire qu’il a mis des bâtons dans les safrans ! Alors que les derniers de cordée – Alan Roura (Hublot, 20e), Conrad Colman (MS Amlin, 21e) et Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor Lux, 22e) s’y débattent encore un peu, ceux de devant ont enfin touché les alizés, mais en sortent légèrement traumatisés, à l’image d’Isabelle Joschke (MACSF, 15e) :  


J’ai eu l’espoir d’en sortir vite et de creuser l’écart, et puis je me suis fait rattraper, au final je l’ai trouvé assez impitoyable, il a duré trois jours, je ne m’en sors pas particulièrement bien. J’avoue que c’était une bonne épreuve de patience, il a fait extrêmement chaud puisqu’il n’y avait pas de vent, donc il fallait aussi lutter contre la chaleur !

Isabelle Joschke
MACSF

Alors dans ces conditions, quelques films furent d’un précieux secours pour la navigatrice en quête d’échappatoire, dont « 9 mois ferme », d’Albert Dupontel, même si de son côté, la Franco-Allemande aimerait s’en sortir sous les trois mois ferme ! Et un peu de lecture, dont « Le Ruban » de Ito Ogawa, un joli récit à vol d’oiseau, pour elle qui malheureusement ne vole plus autant qu’avant depuis la perte de son foil tribord, et redoute déjà le moment où, une fois passé l’anticyclone des Açores, il faudra se remettre sur son bord défavorable… 

Allez ne pas trop penser à la suite, même si le temps se fait long et certaines choses commencent de plus en plus à manquer : 


Des produits frais à manger, des légumes et des fruits ! Ca me manque vraiment ! J’essaie de compenser, je me fais des graines germées, des salades de carottes râpées, des fruits déshydratés, mais ce sera sympa de retrouver les légumes du marché ! Et puis le calme et l’immobilité, ça c’est vraiment dur à trouver à bord, le seul moment où c’était calme il faisait tellement chaud que j’étais à moitié sonnée, je devais m’arroser pour tenir le coup, donc j’ai pas réussi à profiter trop du calme ! Un lit qui ne bouge pas, avec la possibilité de dormir d’une traite, ça aussi ça me manque, mais j’essaie de ne pas trop y penser !

Isabelle Joschke
MACSF

« Je suis un peu frustré »

Alors comment se sortir de sa course sans trop avoir envie d’en sortir ? Oliver Heer (Tut Gut, 31e) semble avoir trouvé une bonne solution. Il regarde la cartographie de ceux de devant ! Grand spectacle garanti alors que Jérémie Beyou (Charal, 4e) attaque enfin le Golfe de Gascogne, et que la bataille fait rage entre Paul Meilhat (Biotherm, 5e) qui a repris l’avantage sur Nicolas Lunven (Holcim-PRB, 6e). Derrière, au large du Portugal, Thomas Ruyant (VULNERABLE, 8e) est en duel avec Justine Mettraux (Teamwork – TEAM SNEF, 9e), tandis que Sam Goodchild (VULNERABLE, 7e) profite de sa grand-voile recollée façon Hannah Höch pour aller lécher la côte lusitanienne et se réfugier du vent… tiendra, tiendra pas ? Le suspense est proportionnel à l’enjeu, pour le Britannique malchanceux. 


La course est tellement intense entre le quatrième et le dixième, je pense que c'est un bel hommage à la classe IMOCA que les bateaux soient si proches, et c'est bien de passer un peu de temps à regarder le tracker et à regarder la météo ! Même si ça fait un peu peur de regarder leurs conditions météo !

Oliver Heer
Tut gut.

Il faut dire qu’Oliver Heer a eu des bonnes raisons de vouloir se divertir, lui qui n’a pas été couronné de succès dans sa tentative de contourner la zone de molle par l’Ouest, le long de l’Argentine. 


Je suis un peu frustré par le trou de vent dans lequel j'ai navigué, que ce soit de la malchance ou une mauvaise navigation, je dois vivre avec ! Je suis aussi frustré de voir Antoine Cornic s'éloigner dans un système météo que je ne pensais pas être une option viable, il a juste réussi, et même Jingkun Xu m'a dépassé mais il n'a pas attrapé le système météo et je m'attends donc à être devant lui demain matin. Mais d'une certaine manière, c'est bien d'avoir quelques bateaux autour de moi plutôt que de n'avoir aucun bateau sur des centaines de milles, cela me fait réfléchir plus attentivement à mes choix de routage !

Oliver Heer
Tut gut.

S’échapper, mais jamais trop loin et trop longtemps, sous peine effectivement de vite le payer sportivement… Alors que Fabrice Amédéo (Nexans-Wewise, 33e) a franchi cette nuit le Cap Horn, le dernier de la flotte, Denis Van WeynBergh (D’Ieteren Group, 34e), s'en approche également. Désormais, le seul tunnel qu'ils continuent tous de creuser sera donc celui sous l'Atlantique... et il leur faudra encore un peu de patience pour l'achever !

COURSE, 22 JANVIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Nexans - Wewise lors de la course à la voile du Vendée Globe le 22 janvier 2024. (Photo du skipper Fabrice Amedeo) Cap Horn
COURSE, 22 JANVIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Nexans - Wewise lors de la course à la voile du Vendée Globe le 22 janvier 2024. (Photo du skipper Fabrice Amedeo) Cap Horn

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