Neuf minutes et trente secondes : tel est l’écart, infime, qui a donc séparé Yoann Richomme et Charlie Dalin la nuit dernière, au passage du mythique cap Horn. Passés respectivement à 00h27 puis à 00h36 au large de ce bout de rocher balayé par les vents marquant la rencontre tumultueuse entre l’océan Atlantique et le Pacifique, les deux hommes ont alors pulvérisé le record d’Armel Le Cléac’h établi en 2016 en le battant de plus de trois jours et treize heures, tout en laissant éclater leur excitation sans retenue. « Quel moment absolument génial ! Je n’aurais jamais imaginé le franchir dans des conditions comme ça. Il y avait 15 nœuds de vent, la houle qui nous poussait... Et puis je suis passé à quoi… deux milles ! Mon dieu, c’était majestueux ! », a résumé le skipper de PAPREC ARKÉA, débordant de joie comme un soda qu’on aurait secoué trop fort. Il ne pouvait en effet pas espérer plus beau cadeau de Noël que de franchir le mythique cap dans de telles conditions, en tête qui plus est. « Je suis trop fier de moi et de toute l’équipe. C’est vraiment une super récompense. Le moment mérite d’être savouré. Le gros du boulot est fait ! », a ajouté Yoann. S’il a effectivement franchi une étape majeure dans son Vendée Globe, laissant derrière lui le redoutable tunnel des mers du Sud, le navigateur sait toutefois que la route est encore longue jusqu’aux Sables d’Olonne.
Ho, ho, Horn !
Pas de dinde farcie, ni de bûche glacée (quoi que !) dans les eaux froides du Grand Sud. Pourtant, malgré les vagues géantes et l’humidité omniprésente, l’esprit de Noël trouve toujours un moyen de se faufiler à bord. Entre un coup de vent et un coup de blues, les solitaires improvisent un réveillon à leur image : épique, salé et, parfois, légèrement loufoque. Pour les premiers, Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA) et Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance), ce jour spécial a offert un cadeau hors norme : le passage du légendaire cap Horn. La fierté d’un tel accomplissement, le spectacle grandiose des montagnes enneigées et la satisfaction d’avoir franchi une étape cruciale dans leur tour du monde : pour eux, cette récompense a surpassé tous les festins !
Vers une remontée possiblement express
« Le Horn, c’est un peu toujours le piège : on se dit, « c’est bon, je tourne à gauche et je remonte à la maison » mais en fait c’est encore super long. C’est le tronçon de la maison, mais c’est un long, long, long tronçon ! », a justement rappelé Charlie Dalin qui, à titre de comparaison, devrait mettre grosso-modo le même temps pour rallier le cap Horn et l’arrivée que celui qu’il lui a fallu pour aller du cap de Bonne Espérance à la Terre de Feu même si, pour l’heure, les routages sont spécialement optimistes. Dans le détail : pas de bosses ni de gros pièges météo sur sa route. Juste un toboggan idéal pour un retour rapide et sans accroc. « A date, les scénarios de la remontée de l’Atlantique sont assez idylliques pour les leaders », a confirmé Christian Dumard, consultant météo de l’épreuve, dont les routages laissent penser que Yoann et Charlie pourraient se retrouver à la latitude de Rio de Janeiro dès dimanche, et faire leur retour dans l’hémisphère Nord dès le 4 janvier !
Un Horn pour oublier la solitude de Noël
Quid des suivants ? Le prochain à franchir l’île Horn devrait, sauf accident, être Sébastien Simon. Le skipper de Groupe Dubreuil prévoit de déborder la majestueuse falaise chilienne demain matin, entre 7 heures et 9 heures (heure de Paris). « J’ai hâte ! », a lâché le Sablais qui se réjouit de sortir du Grand Sud autant que d’un labyrinthe de magasin IKEA. « Je suis impatient de quitter les mers du Sud et de rentrer en Atlantique. Passer le Horn, c’est une étape énorme. Ça veut dire qu’on a fait les deux tiers du parcours », a ajouté le marin qui n’imaginait pas le contourner en troisième position, et encore moins un 25 décembre. « Ce n’est pas donné à tout le monde de franchir le cap Horn à Noël. C’est plutôt chouette et ça va aussi m’enlever un peu d’émotion et de tristesse de ne pas être avec mes proches et ma famille. Je vais en profiter d’autant plus ! », a assuré Sébastien qui, après avoir essuyé des vents jusqu’à 53 nœuds la nuit dernière, se prépare à entamer encore une nouvelle phase de sa course. « Cette dernière portion en Atlantique va être beaucoup plus stratégique que celle des mers du Sud, mais aussi plus technique, et ça, j’aime beaucoup. Ça va être nettement plus rythmé ! », a assuré le skipper de Groupe Dubreuil, conscient de vivre aujourd’hui une expérience unique.
Loin de tout, mais proches de l’essentiel
Les marins du Vendée Globe passent, de fait, un Noël bien particulier, seuls en mer. Loin des lumières des sapins et de la chaleur des foyers, ils affrontent la puissance brute de la nature. Pourtant, malgré cette solitude extrême, l'esprit de Noël ne les abandonne pas. Un petit sapin en plastique ici, quelques guirlandes ça et là… À bord des bateaux, la décoration est spartiate mais suffisante pour illuminer un peu cette période particulière. « Ça remonte le moral », a affirmé Romain Attanasio (Fortinet – Best Western) qui a, comme beaucoup et avec une bonne dose d’autodérision, troqué sa tenue de marin pour celle du Père Noël, ce mardi. « J’avoue avoir eu un petit moment de solitude ce matin mais je commence à recevoir pas mal de messages de mon entourage. Ils me font du bien ! », a ajouté le marin dont le réveillon promet d’être rehaussé par un plat appertisé signé d’un chef étoilé, accompagné d’un petit bout de foie gras délicatement posé sur un Krisprolls. Un vrai festin de roi !
Des yeux qui pétillent
De quoi lui redonner un bon coup de boost pour tenir tête à Damien Seguin (Groupe APICIL), qui ne cesse de se rapprocher de son tableau arrière. Une situation qui, bien sûr, ne l’enchante pas particulièrement : s’il avait espéré un peu de compagnie pour cette journée spéciale, il aurait nettement préféré qu’elle vienne d’un concurrent de devant ! « Le vent est un peu instable. J’ai l’impression de ne jamais avoir la bonne toile », a déploré Romain qui s’accroche, toutefois dopé par la perspective de passer le cap Horn à son tour, même si ce ne sera, pour lui, que dans une grosse semaine… et dans possiblement 50 nœuds de vent si les prévisions se confirment. « Ça a le temps de changer dix fois d’ici là. Ce qui est sûr, c’est que j’aimerais bien profiter de conditions aussi incroyables que celles dont ont bénéficié Yoann et Charlie cette nuit », a soupiré Romain qui n’est, dans l’instant, pas le seul à se rêver à la place des deux leaders. « Ça paraît fou d’imaginer qu’ils soient déjà de retour en Atlantique, alors que moi je suis à peine dans le Pacifique, du côté de l’île Macquarie ! C’est un truc de dingue ! », a notamment commenté Sébastien Marsset (Foussier), toujours à la bagarre dans le groupe des bateaux à dérives. Un groupe qui, pour son Noël à lui, va bénéficier du retour du vent sur sa zone de course dans la journée, ce qui reste, en l’espèce, un joli cadeau après de longues heures englué dans de la molle !