« J’ai perdu un peu le fil du temps ! Je ne sais plus quel jour on est…. Vendredi, je crois… », a concédé Charlie Dalin, visiblement un peu déphasé après avoir littéralement compressé l’espace-temps et rétréci les distances ces derniers jours. Il ne lui aura fallu qu’une semaine et des poussières pour rallier l’équateur et le cap de Bonne Espérance. « J’ai l’impression d’avoir été téléporté ! », a ajouté le skipper de MACIF Santé Prévoyance avec ce sentiment étrange mais grisant d’avoir seulement mis une fraction de seconde pour avaler tout l’Atlantique Sud. « C’était assez dingue ! Ça m’avait toujours fait rêver d’avoir une trajectoire rectiligne, comme sur les records autour du monde ! », a ajouté le Havrais pour qui la téléportation était jusqu’alors avant tout un outil utilisé dans les scénarios de romans ou de films de science-fiction. Il était en effet loin d’imaginer que lui, Thomas Ruyant (VULNERABLE), Yoann Richomme (PAPREC – ARKEA), Sébastien Simon (Groupe Dubreuil) mais aussi Nicolas Lunven (Holcim – PRB) et Jérémie Beyou (Charal), réussiraient à se faufiler dans un trou de ver, donnant alors vie, d’une certaine manière, aux héros d’Hypérion de Dan Simmons ou, dans un autre style, à celui des comic books, Lila Cheney.
A en perdre tous ses repères
Le hic, c’est qu’à être allés si vite, ils ont complètement perdu certains repères. « Ç'a été si rapide que je ne me rends pas tellement compte d’où je suis aujourd’hui. Les moyennes auxquelles on s’est déplacés vers le Sud-Est font qu’on a perdu entre 5 et 6 degrés par tranches de 24 heures et qu’on a traversé beaucoup de fuseaux horaires en peu de temps. Ce matin, j’ai été surpris que le jour se soit levé si tôt ! », a concédé le navigateur qui a pris de plein fouet l'été austral dans la figure. « Ce n’est pas encore ambiance "mers du Sud" mais ce n’est pas plus mal car c’est plus agréable comme ça », a noté Charlie dont la prochaine étape est désormais de franchir la longitude du cap des Aiguilles, le point le plus méridional du continent africain marquant, par ailleurs, le passage de l’océan Atlantique à l’Indien. Un passage qui promet de se faire dans des conditions plutôt clémentes, aux environs de 21 heures. « La première portion n’a pas l’air trop engagée. Il y a quatre ans, à ce même endroit, j’avais essuyé un coup de vent. Ce ne sera pas le cas cette fois et c’est tant mieux », s’est réjoui Charlie Dalin notant la différence de contexte sur le plan météorologique par rapport à son premier tour du monde, mais pas seulement.
Un horizon d’Espérance
En 2020, s’il avait aussi été le premier à déborder le premier des trois grands caps du parcours, il l’avait alors fait avec une avance de 300 milles sur son plus proche poursuivant. Là, trois de ses rivaux marchent littéralement sur ses talons et deux autres restent à portée de tir. « On savait tous que ce serait une édition très disputée. C’est le cas et c’est génial. J’ai vraiment l’impression de faire une course de Figaro autour du monde. Thomas, Yoann, Seb… tout le monde est assez groupé. Ça navigue fort et ça navigue vite ! », a confirmé le marin qui, après une incroyable course de vitesse ces derniers jours, entame en ce moment une phase un plus stratégique. « Il y a des placements à faire et des situations à gérer. On passe un peu plus de temps sur l’ordi ces derniers temps que lors de ces derniers jours. Le champ des possibles se rouvre un petit peu plus ». Dans l’instant, le jeu en tête de flotte consiste à anticiper au mieux l’arrivée d’une dépression. Une zone fermée de basse pression atmosphérique assez costaude dont l’arrivée est prévue mercredi prochain et qui va, en principe, donner un sacré coup d’accélérateur.
Coup d’accélérateur à venir pour tout le monde
C’est peu ou prou la même chose pour ceux qui suivent. « En ce moment, on enchaîne les empannages vers le Sud avec peu de vent et des angles pas terribles en attendant que la prochaine dépression se reconstitue », a détaillé Louis Burton (Bureau Vallée), impatient de retrouver la carbu et d’avoir l’occasion de revenir au score. « Ce n’est pas très agréable d’être en position reculée. Il faut faire un bon boulot sur soi-même et gérer un peu comme lorsque l’on monte une grande côte à vélo, c’est-à-dire sans trop regarder vers le haut », a commenté le Malouin qui préférait évidemment être au cœur du match infernal qui se joue devant mais qui n’oublie pas que la course est encore trèèèèèès longue. Même chose pour Benjamin Dutreux (GUYOT environnement – Water Family). « Ce n’est pas évident de voir les premiers s’éloigner et de se sentir impuissant, surtout quand on aime régater au contact. Il faut que j’arrive à découvrir un nouveau « moi ». Que j’arrive à me créer un nouveau challenge ! », a relaté le Sablais qui tente lui aussi de se frayer le meilleur chemin en attendant d’attraper la fameuse dépression qui va le catapulter plein pot vers le cap de Bonne Espérance ce week-end.
Une régate à échelle planétaire
« Ça va sans doute être assez brutal car d’un coup, il va faire froid, il va y avoir de la mer et du vent. Ça va faire un sacré changement de rythme mais j’ai hâte de rentrer dans cette phase et d’entrer dans les mers du Sud », a ajouté Benjamin. S’il va, de fait, bientôt prendre un joli coup de pied aux fesses, il en sera de même pour le gros du peloton, désormais emmené par Giancarlo Pedote (Prysmian). Dans l’immédiat, il évolue toujours dans la dorsale. « Pour le moment, les conditions sont exceptionnelles. Il y a toutefois une petite frustration en ce qui me concerne car la nuit dernière je me suis trop approché de la zone sans vent et je me suis brûlé un peu les ailes », a commenté Tanguy Le Turquais (Lazare) qui joue néanmoins toujours des coudes au sein de son groupe. Un groupe qui se tient en une cinquantaine de milles seulement en ce vingtième jour de mer. « On s’amuse beaucoup. On fait une belle régate et c’est vrai que c’est très serré. Moi qui viens du Figaro, lorsque quelqu’un est un mille devant, je considère que c’est un mille de trop. Sur un tour du monde, sans doute qu’il faudrait que je change d’échelle ! », a terminé le Morbihannais. Vu l’intensité de la bagarre à tous les étages, on n’est toutefois pas vraiment sûr que cela soit nécessaire…
Les temps de Charlie Dalin :
Heure de passage au cap de Bonne Espérance : 16h45 ce vendredi 29 novembre.
Temps de course entre l’équateur et le cap de Bonne Espérance : 7 jours, 18 heures et 39 minutes.
Temps de course entre Les Sables d’Olonne et le cap de Bonne Espérance : 19 jours, 03 heures, 43 minutes.