Après Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA), Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) et Sébastien Simon (Groupe Dubreuil) en début de semaine, Thomas Ruyant (VULNERABLE), Jérémie Beyou (Charal), Nicolas Lunven (Holcim – PRB), Boris Herrmann (Malizia – Seaexplorer) et Paul Meilhat (Biotherm) sont à leur tour sortis du Pacifique, ce terrain de jeu infernal où la météo est aussi accueillante qu’un gardien de prison. Ces derniers se retrouvent désormais face à un nouveau défi. Le vent, qui jusque-là les poussait comme un copain bienveillant (quoique parfois un peu trop enthousiaste), décide maintenant de leur barrer la route. Résultat : ils vont devoir cravacher au près, tirer des bords, et subir des secousses dignes d’un manège cassé. « Ce ne sera pas comme lors de la dernière édition où on avait pu tracer une très belle route, faire une trajectoire assez rectiligne. Cette fois, le schéma météo va exiger toute notre énergie et notre concentration pour réussir à remonter jusqu’à l’équateur. Ça va être super intense. Peut-être plus encore que dans le Pacifique où il y avait des phases lors desquelles la mer était compliquée mais où, au moins, on allait droit. Là, ça va être plus dynamique, ça va bouger plus, les transitions vont certainement être assez brutales », a relaté Boris Herrmann, auteur, ces derniers jours, d’une remontée spectaculaire et d’une traversée de la flotte avec la précision d’un chirurgien et l’élan d’un sprinter. Une performance qui confirme son statut de redoutable adversaire et qui laisse présager une suite de course captivante.
Quand stratégie et audace s’apprêtent à (re)dicter la course
« Je me prépare mentalement à une semaine compliquée », a ajouté le solitaire. De fait, les jours à venir promettent d’être particulièrement éprouvants, mettant à rude épreuve tant l’endurance physique et mentale des marins que la solidité de leurs bateaux. Cette phase nécessitera un savant mélange d’anticipation et d’instinct… sans oublier une bonne dose de sang-froid, car il y a fort à parier que la météo ne joue, encore une fois, jamais selon les règles ! En résumé : les choix de trajectoire pour remonter vers l’hémisphère Nord promettent d'être cruciaux, tout comme la gestion du matériel et des ressources. La patience et la persévérance vont alors s’allier à l’audace : il ne s’agira pas simplement d’aller vite, mais d’aller juste. En tête de flotte, Yoann Richomme semble, en ce sens, parfaitement inspiré en ce moment. Le skipper de PAPREC ARKÉA a d’ailleurs de nouveau bien creusé l’écart sur son adversaire direct, Charlie Dalin. En se replaçant avec justesse au nord de la dépression, il a habilement manoeuvré et fonce maintenant vers Rio de Janeiro, où une nouvelle difficulté se profile déjà à l’horizon. L’enjeu des heures à venir ? Réussir à se faufiler de la meilleure manière possible dans le front froid semi-permanent situé au large du cap Frio. Le passage idéal promet d’être compliqué à trouver et les journées de dimanche et lundi possiblement un peu délicates, avec de nombreux petits coups à jouer, ce qui pourrait faire les affaires du skipper de MACIF Santé Prévoyance planqué comme un renard devant un poulailler, l’air de rien mais l’œil vif.
Vendetta glaciale
Patienter en attendant l’opportunité, c’est également la stratégie adoptée par de nombreux autres concurrents situés plus en arrière dans la flotte. Une nouvelle animation fait d’ailleurs fureur parmi la petite bande des bateaux à dérives : « Attrapez le Le Cam ». À l’origine de cette chasse enragée, Benjamin Ferré (Monnoyeur – Duo for a job). Lui et un certain nombre sont déterminés à rattraper Jean Le Cam coûte que coûte. Tous sont ainsi lancés « comme une horde de chiens fous » à ses trousses. Une description confirmée avec malice par Tanguy Le Turquais (Lazare), qui ne cache pas son envie de participer à cette poursuite. Mais le Roi Jean, en vieux loup de mer, sait jouer avec les éléments et la pression de ses rivaux. Pas sûr que ces « chiens fous » réussissent à lui mettre la patte dessus si facilement ! « On a rongé notre frein dans la pétole où on a vu Jean partir. On a un peu usé de malchance parce que ça s’est joué à pas grand-chose. Du coup, on a envie de mener une petite vendetta, d’aller le chercher », a expliqué Tanguy qui va, en tous les cas dans un premier temps, voir l’élastique se tendre par devant et donc sa tâche se corser mais qu’importe. La route est encore longue et dans l’immédiat, il faut lutter contre un autre adversaire un peu coriace : le froid. « C’est glacial et humide mais en même temps, on est par 60° Sud ! A cette latitude, on ne croise plus d’oiseaux. J’ai l’impression d’être perdu sur la planète. Je me sens vraiment seul au monde. Récemment, j’ai croisé Sébastien Marsset (FOUSSIER). Ça m’a rappelé qu’il y avait une civilisation mais à part ça, il n’y a pas grand-chose qui laisse croire qu’il puisse y avoir des humains par ici », a poursuivi le Morbihannais qui n’avait plus croisé personne depuis le passage du Pot-au-Noir il y a un mois, et qui prend ainsi la mesure des mers du Sud où l'isolement prend une dimension presque cosmique.
Sous les épreuves, des leçons de courage
Pour lui, l'horizon semble s'étirer à l'infini tandis que pour d’autres marins, il s’assombrit nettement. Yannick Bestaven, notamment, fait face à une avarie de système de barre causée par un problème de palonnier (système qui relie les deux safrans, qui sont ensuite raccordés aux vérins de pilote). Après plusieurs heures de travail, le skipper de Maître CoQ V a pu mettre en place une solution provisoire à l’aide de cordages pour barrer son IMOCA. Il étudie actuellement avec son équipe technique les possibilités de réparation mais fait la preuve, comme le dit souvent Loïck Peyron, que les emmerdes volent en escadrille. Après avoir déchiré l’une de ses voiles d’avant (son Code 0, tombé à l’eau) et esquinté le bord de fuite de l’un de ses foils mardi, puis constaté un souci de peau sur le bordé arrière tribord depuis quelques temps, ça fait effectivement beaucoup pour un seul homme dont c’est pourtant l’anniversaire aujourd’hui (52 ans) !
De son côté, la navigatrice Pip Hare, qui avait déjà dû abandonner la course à la suite du démâtage de son monocoque il y a dix jours, a rejoint ce matin le port de Melbourne, en Australie, où elle a reçu un accueil chaleureux. Si la compétition s’est arrêtée pour elle, son courage et sa détermination continuent d’inspirer bien au-delà des océans.