Fabrice Amedeo : « Réussir un second tour du monde complet et tous mes projets extra-sportifs »
PAROLES DE SKIPPER (34/40). Après un premier tour du monde bouclé à une jolie 11e place à l’issue duquel il imaginait reprendre sa vie de journaliste au sein de la rédaction du Figaro, Fabrice Amedeo fait la preuve que croire en ses rêves et les poursuivre avec détermination peut transformer sa vie. En effet chamboulé par l’intensité de l’aventure, plutôt que de retourner à son premier métier, il entreprend de donner une suite à sa vie de marin. Sa deuxième expérience est cependant plus difficile que la première et se solde par un abandon après 33 jours de course, à la suite d’une défaillance de son ordinateur de bord. Il n’est toutefois pas question pour lui de rester sur un goût d’inachevé. Résolu, il lance une nouvelle campagne mais est victime d’un terrible naufrage lors de la Route du Rhum 2022. S’il perd son bateau, il fait alors preuve d’une remarquable capacité de résilience, tant et si bien qu’il reconstruit un nouveau projet. Reste que s’il déploie une énergie considérable pour y parvenir et refait à neuf l’ancien bateau d’Arnaud Boissières, le skipper de Nexans – Wewise ne dispose plus du temps nécessaire pour monter en puissance et espérer être réellement performant. Dès lors, ses priorités changent de place. A présent, il s’agit avant tout de réussir à boucler la boucle une deuxième fois puis de mener à bien son programme de mesures océanographiques et de collaboration avec la communauté scientifique.
Vendée Globe :
Après un premier Vendée Globe, en 2016-2017, qui devait être une parenthèse dans ta vie de journaliste, tu as finalement remonté un projet pour l’édition 2020-2021, puis te voilà de nouveau au départ. Quelle place à pris l’épreuve dans ta vie ?
« Après un premier Vendée Globe, je ne me projetais pas forcément sur un troisième mais comme le deuxième n’a pas été couronné de succès, il était évident pour moi de continuer et de repartir pour mener à bien cette quête de réussir un second tour du monde complet, mais aussi tous mes projets extra-sportifs, notamment les campagnes de mesures dans les mers du Sud. Il y a donc à la fois cet attrait pour un marin de faire un Vendée Globe et cette volonté d’être utile et d’aller chercher des données pour les scientifiques. Il y a aussi le projet, venu un peu plus tardivement, de faire le tour du monde sans recours aux énergies fossiles qui donne du sens à mon projet global. Le tout, sur fond de naufrage, en 2022, après lequel j’ai récupéré un ancien bateau. Dès lors, j’ai mis toutes ambitions sportives entre parenthèses et tout le projet extra-sportif qui porte les valeurs dans lesquels se retrouvent mes partenaires, est plus que jamais mis en avant. »
Vendée Globe :
Peux-tu en dire un peu plus sur ce programme scientifique que tu portes ?
« Depuis 2019, différents capteurs sont installés à bord de mon bateau. Il s’agit en l’occurrence de l’Ocean Pack qui mesure CO2, salinité, température. Le travail est réalisé en collaboration avec l’IFREMER, en France, puis GEOMAR et le Max Planck Institut, en Allemagne. Toutes les data récoltées sont mises sur une base de données internationale nommée SOCAT, et permettent aux scientifiques de mieux comprendre les conséquences du réchauffement climatique sur l’océan. En 2020, nous avons rajouté un capteur de microplastiques et, chemin faisant, nous nous sommes rendus-compte qu’il filtrait d’autres particules, notamment les fibres de cellulose issues des textiles de nos machines à laver. L’IFREMER, l’Université de Bordeaux et l’IRD se partagent les travaux d’analyse, d’interprétation et de modélisation des résultats. Le but de ce volet est de mieux comprendre les pollutions anthropiques qui affectent nos océans. Je vais partir sur ce Vendée Globe avec 90 jeux de filtres pour environ 90 jours de mer, avec trois tailles d’analyses : 300, 150 et 30 microns. Depuis 2022, en partenariat avec l’Institut Cawthron en Nouvelle-Zélande, un capteur d’ADN environnemental est également à bord. Celui-ci permet de mesurer la présence de la biodiversité dans les océans que je vais traverser. Nos bateaux vont dans des contrées où les bateaux scientifiques ne vont pas. Ça les intéresse énormément d’avoir des données dans les mers du Sud. Il y a par ailleurs le souhait de sensibiliser le public à ce travail mais également les enfants. C’est ainsi qu’est né le projet pédagogique. Un projet qui, après une saison 1 il y a quatre ans, connait cette désormais une saison 2 avec un livret édité pour les scolaires de cycles 2 et 3 et réalisé en partenariat avec la Fondation de la Mer de l’Éducation Nationale qui a validé tous les contenus. Celui-ci, nommé « L’Echos des Océans », parle toujours de préservation des océans, mais aussi de transition énergétique. »
Vendée Globe :
Tu l’as dit, tu as, par ailleurs, choisi de faire un tour du monde sans recours à l’énergie fossile. Pour quelles raisons ?
« Pour aller encore plus loin. En général, sur un Vendée Globe, on embarque 250 litres de gasoil. Si j’étais resté à terre cet hiver, j’aurais consommé davantage d’énergie fossile avec ma voiture. C’est donc vraiment un symbole mais je pense que le sport de haut-niveau est là aussi pour en porter. Pour mettre en avant des causes. Cela porte un message autour de la transition énergétique et de la sobriété énergétique. Mon bateau est équipé de 10 m² de panneaux solaires. Je vais donc faire le tour du monde en rechargeant mes batteries à 80% avec de l’énergie solaire et à 15-20% avec les hydro-générateurs. »
Vendée Globe :
Quelles sont les leçons tirées de tes deux premiers Vendée Globe ?
« Ma relation avec le Vendée Globe est assez duale. Mon premier, en 2016-2017, c’est le succès, la lumière, une aventure personnelle exceptionnelle, beaucoup de plaisir et la satisfaction de terminer en 11e position alors même que seize mois avant de prendre le départ de la course, je n’étais jamais monté sur un IMOCA de ma vie. Le deuxième en 2020-2021, c’est l’échec, les ténèbres. Ma course a duré quatre heures. Je suis revenu pour réparer le mât. Je suis reparti mais je n’ai ensuite jamais vraiment réussi à recoller, à être en phase avec mes objectifs. La descente de l’Atlantique a été une vraie souffrance puis quand je suis arrivé au niveau de l’Afrique du Sud, tout mon système informatique a planté et j’ai donc dû prendre la décision d’abandonner. »
Vendée Globe :
Qu’est-ce qui, selon toi, fait ta force aujourd’hui ?
« C’est le fait que j’ai connu le naufrage. Je me suis sorti d’une situation très difficile. J’ai failli mourir trois fois dans la même journée. Quand on réussit ça, on est capable de réussir de grandes choses et cela me donne beaucoup de confiance pour aborder un nouveau Vendée Globe. »
Vendée Globe :
Que redoutes-tu le plus ?
« Comme tout le monde, l’abandon. Le Vendée Globe, c’est un peu nos Jeux Olympiques à nous, les marins. C’est tous les quatre ans et c’est beaucoup de travail. Terminer un Vendée Globe, c’est de toute façon un magnifique accomplissement. L’abandon est le pire des scénarios. Même finir dernier est beaucoup mieux, pour moi, que de s’arrêter après un super début de course. »
Vendée Globe :
Quelle est la première image qui te vient en tête lorsque tu penses à la course ?
« Celle du cap Horn. Quand tu le franchis, tu n’as pas fini le tour du monde mais tu es quand même en bonne posture pour rentrer à la maison. Tu as fait le plus dur. D’ailleurs, lors de mon premier Vendée Globe, je ne pensais pas à l’arrivée mais seulement à aller chercher ce cap mythique. »
Vendée Globe :
Ton plus beau souvenir de mer ?
« L’arrivée de mon premier Vendée Globe. J’ai franchi la ligne un samedi matin de vacances scolaires, dans des conditions anticycloniques. La lumière était belle et la mer relativement plate. J’ai eu une arrivée vraiment magnifique, avec de très nombreux Sablais présents. Tous mes partenaires étaient là. On ne pouvait pas faire mieux. »
Vendée Globe :
Ton meilleur moment sur ce bateau ?
« La Transat Jacques Vabre 2023, avec le navigateur Allemand Andreas Baden. C’était la première course du bateau. Comme il n’était pas prêt, nous n’avons pas pu le faire marcher comme on le voulait mais la belle histoire humaine a pris le pas sur les frustrations techniques. J’ai fait une très belle rencontre. La course au large, c’est de belles expériences en solitaire mais aussi parfois de belles rencontres lors de courses en double. »
Vendée Globe :
Ton rêve le plus fou sur ce Vendée Globe ?
« Ce serait qu’il y ait un scénario de course difficile afin que l’aventure prenne le pas sur la compétition et que je m’en sorte bien. »
Vendée Globe :
Le marin qui t’inspire le plus ?
« J’en ai plusieurs parce que j’ai fait de nombreuses belles rencontres à travers mon parcours. Récemment, j’ai découvert Vincent Riou. Il était venu naviguer plusieurs fois sur mon bateau précédent et il a suivi le choix de ce nouveau bateau ainsi que sa rénovation. Je trouve que c’est quelqu’un d’inspirant. Il est très pointu dans toutes ses analyses. Il est vraiment animé par la passion et je trouve ça admirable. »
Vendée Globe :
Ce que tu fais quand tu ne fais pas de bateau ?
« Je fais de la croisière. J’adore passer du temps en famille sur un bateau. On a pu faire de très belles croisières en Polynésie Française, en Corse ou encore aux Baléares, ces dernières années. Je fais aussi de la plongée sous-marine avec ma fille ainée. C’est vraiment génial de partager ça. On a fait de belles plongées en Polynésie mais également en Bretagne. Sur des épaves, c’est vraiment passionnant. D’une manière générale, je passe beaucoup de temps avec les gens que j’aime. Avant, j’étais quand même très enclin à partir en mer mais j’ai l’impression que les confinements m’ont vraiment ancré à terre. Un très bel équilibre s’est créé entre ma vie de marin et ma vie de terrien. »
Vendée Globe :
La chose qui ne te quitte jamais lorsque tu pars en course ?
« Il y a trois ans, ma petite dernière, Garance, a ramassé un petit caillou sur la plage. Elle me l’a offert en me disant qu’il me porterait bonheur. Depuis, je l’emmène tout le temps en mer. Il est revenu du naufrage dans ma poche et il ne me quitte jamais. »