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Éric Bellion : «  faire ma course et pas celle d’un autre  »

PAROLES DE SKIPPERS (7/40). Il a déjà connu la fièvre du Vendée Globe lors de l'édition 2016, qu’il avait brillamment terminé comme premier bizuth. L’appel du large était trop fort pour Éric Bellion qui repart à bord de STAND AS ONE, un des deux bateaux neufs à dérives droites.

LORIENT, FRANCE - 12 AVRIL 2024 : Le skipper de Stand As One Eric Bellion (FRA) est photographié le 12 avril 2024 à Lorient, France - Photo par Ewen Carbonnier
LORIENT, FRANCE - 12 AVRIL 2024 : Le skipper de Stand As One Eric Bellion (FRA) est photographié le 12 avril 2024 à Lorient, France - Photo par Ewen Carbonnier
© Ewen Carbonnier

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Si, comme beaucoup de marins, il a nourri son imagination en lisant des récits de mer comme "La Longue Route" de Bernard Moitessier ou "Damien autour du monde" de Gérard Janichon, Éric Bellion a toutefois un parcours atypique. Après un grand voyage autour du globe sur un petit bateau de 8,60 mètres entre amis, puis un grand projet en équipage valides/handicapés dont le but était de montrer que la différence enrichit, le Versaillais boucle son premier Vendée Globe en 2017. 

Au-delà de son sentiment d’avoir vécu une aventure totale, le skipper, qui n’avait encore jamais navigué en solitaire deux ans auparavant, réalise la performance de terminer à la 9e place et premier bizuth. Persuadé que la parenthèse est refermée, il reprend sa vie de formateur en management de la diversité et de consultant en mécénat et communication, mais voilà que l’envie de (re)vivre plus intensément le reprend. Il lance alors la construction de STAND AS ONE, un IMOCA co-conçu par Jean Le Cam et l'architecte David Raison, avec lequel il espère réaliser une course tout aussi extraordinaire que la première et prouver du même coût qu’avec un bateau construit à budget restreint et plus simple techniquement, il reste possible de faire de grandes choses. 

Vendée Globe :

Après ton premier Vendée Globe en 2016, tu as repris une vie "normale", loin de la course au large. Pour quelles raisons, huit ans après, as-tu finalement décidé de regoûter à cette épreuve ? 

Eric Bellion

Éric Bellion

STAND AS ONE

Pour moi qui suis un amoureux de la mer et des bateaux depuis ma tendre enfance, le Vendée Globe est ce que l'Homme a fait de plus beau au monde. C’est le défi le plus incroyable et le plus fou qui soit. Je n’imaginais pas du tout le faire un jour. Je pensais que c’était trop grand pour moi parce que c'était fait pour des surhommes et des surfemmes. La vie m'a fait participer à cette course et j'ai ensuite été orphelin de ce rêve puisque je l'avais accompli. D’un coup, j’ai fait une dépression parce que, pour moi, il n’y a plus rien au-dessus mais ça, je l'ai vécu sans le savoir. Je me suis retrouvé pendant quatre ans à tout juger dans ma vie à l'aune de ce que j'avais vécu sur le Vendée globe en termes d'intensité. Forcément, tout le reste me semblait fade, compliqué. En fait, ce que je ne savais pas, c'est qu’il y avait un autre Graal à atteindre et que ce Graal, c’était de construire son bateau pour le Vendée Globe. 

Vendée Globe :

À l’époque, tu avais effectivement confié avoir vécu une aventure totale… 

Absolument et je suis content de l'avoir vécue à l’époque en me disant que ce serait l'unique parce que ça m'a permis de l'apprécier jusqu'au bout. J’avais entendu certains skippers dirent pendant leur tour du monde qu'ils étaient en train de préparer le suivant, d'acheter un bateau, etc… Moi, je n'aurais jamais pu faire ça parce que c'était enlever de l'intensité au Vendée Globe que je vivais. Je vais cette fois, c’est certain, le vivre radicalement différemment. En 2016, j’étais candide. Je ne connaissais rien. Je n’avais jamais fait de solitaire auparavant. Ça a été une découverte totale. C’étaient alors des sauts dans le vide au quotidien et je ne parle pas que de la course car c’était la même chose pour la préparation. A présent, je sais ce que c'est. Je l'ai vécu et je suis un bien meilleur marin que je l'étais il y a huit ans. Je sais beaucoup plus de choses. Je sais mieux naviguer, je me connais mieux. A l’époque, j'avais mis 40 jours avant de rentrer dans ma course. Ces jours avaient été très difficiles parce que je ne savais pas dormir. Parce que j'avais peur et parce que je luttais avec ma peur. 

Là, je suis beaucoup plus apaisé, je prends beaucoup plus de plaisir sur le bateau. J’ai envie de voir ce que ça fait de faire une course entière avec cette façon de voir les choses. Il y a huit ans, j'avais entraperçu des choses extraordinaires, des ressources que j'avais en moi et que je ne connaissais pas parce qu’elles n'étaient pas sollicitées à terre. J’ai aussi eu une connexion avec l'océan très puissante. Ça m'a fait atteindre des trucs un peu mystiques. J'avais des dialogues avec mon bateau puis des relations avec l'océan, les oiseaux et le ciel. J'avais découvert que j'avais un instinct animal très fort. Tout cela me donne envie de retourner pour approfondir. J'ai un peu l'impression d’avoir soulevé un rideau et d’avoir aperçu quelque chose. J'ai donc envie d'aller voir plus. 

Vendée Globe :

N'as-tu pas peur, dans ce contexte, d’être un peu déçu  ? Ne de pas retrouver cette folle intensité dont tu parles  ? 

Je ne pense pas que l’on puisse être déçu lors de ce type d’exercice. Celui-ci va forcément être différent du premier qui a, de fait, été extraordinaire. Le fait d’avoir été au fond du trou, de m’être relevé, d’avoir été au-delà de ce que je pensais possible, puis arriver premier bizuth, dans le Top 10… tout ça a été comme un rêve. Peut-être, cependant, que je vais avoir des frustrations. L'océan peut très bien décider ne pas me donner le passage cette fois-ci. 

Vendée Globe :

Cette fois, il y a donc eu le défi de construire un nouveau bateau et la mutualisation du travail technique avec Jean Le Cam… 

Construire un bateau neuf, ça n'a rien à voir, mais vraiment rien à voir avec récupérer un bateau et l'armer. C'est sans commune mesure. C'est beaucoup plus difficile et complet. En ce sens, je peux dire qu’avant même le départ, j'ai déjà vécu une aventure fabuleuse. Une aventure complexe et géniale parce que pour un marin, construire son bateau, c'est le rêve. Maintenant, il faut qu'on aille démontrer sur l'eau que notre choix d’une machine « simple » est le bon, et que notre vision est une vision d'avenir. Il reste un autre boulot à faire. 

Vendée Globe :

La curiosité semble être un vrai moteur pour toi… 

Pour moi, le sens de la vie, c'est découvrir qui on est et il n’y a qu’une seule façon de le faire, c’est d'aller à fond dans l'inconnu car c’est là que se révèle notre vraie personnalité, les ressources que l’on a en soi, ses forces et ses faiblesses. Ma vie, je la dédie à ça. A faire des trucs que je n'ai encore jamais fait. 

Vendée Globe :

Quelles sont les leçons de ta première expérience que tu as utilisées pour préparer celui-ci ?  

Je dirais ma façon de m'entourer mais aussi le fait de me connaître, de me voir tel que je suis et de savoir les choses sur lesquelles je peux me reposer. Lors de mon premier Vendée Globe, j'ai été dans des situations vraiment difficiles. J'ai alors vu et vérifié que j'avais du courage et que je pouvais faire face. J'ai fait de la peur mon amie. A tout le moins, je l’ai apprivoisée. Cela m'a aussi permis de construire un bateau à ma mesure. Je sais ce que j'ai envie de faire dans les mers du Sud et ce que je suis capable d'endurer. Ce bateau, je sais qu'il est facile à mener et que même quand je serai très fatigué, il pourra quand même aller vite. C'est un bateau avec lequel je vais pouvoir m'exprimer et ne pas souffrir. 

Vendée Globe :

Justement, maintenant que tu sais davantage à quoi t'attendre, que redoutes-tu le plus  ? 

En premier lieu, c'est la séparation avec ma petite fille. Ensuite, c'est de tomber à l'eau. Tout le reste, je ferai face. Je vais donc faire très attention. 

Vendée Globe :

Lorsque tu penses au Vendée Globe, quelle image te vient immédiatement en tête ?  

Je me revois au large du Portugal, avec des vents à 80 nœuds. Le ciel était noir, la mer aussi, et au loin, j’ai vu apparaître une forme bleue phosphorescente : une vague scélérate. C'était d’une intensité folle. Les marins, on dit tous qu'on a notre tempête. Que quand elle arrive, on la reconnaît. Pour moi, c’était celle-là.

Vendée Globe :

Ton plus beau souvenir de mer ? 

J'en ai plein mais l’un des moments très fort de ma vie de marin, je l’ai sans doute vécu lors de mon premier tour du monde que j’ai réalisé avec deux copains, entre 2003 et 2006, sur un petit bateau pourri de 8,60 mètres nommé Kifouine. On naviguait dans le Pacifique Sud. Le soleil se couchait et alors qu’on était dans le gris depuis des semaines et des semaines, le soleil a percé au ras de l’horizon. Le ciel, les albatros, la mer… Tout est devenu tout rouge. En voyant cette beauté, j’ai oublié ma peur de couler et je me suis dit que même si l’Homme le plus riche de la terre me proposait d’échanger sa fortune contre mon bonheur de l’instant, je lui dirais d’aller se faire voir ! J’étais heureux car je vivais quelque chose d’extraordinaire. Désormais, je profite de tous ces moments un peu similaires en mer et je les vis en me disant que je suis vraiment un privilégié. 

Vendée Globe :

Ton rêve le plus fou sur ce Vendée Globe  ? 

Mon rêve le plus fou, c'est de démontrer que notre bateau peut jouer avec le haut du panier. Que notre concept est bon et que l’on peut être dans le coup. 

Vendée Globe :

Le marin qui t’inspire le plus  ? 

J'ai la chance d'être copain avec Isabelle Autissier. C'est une femme complète. Elle m'inspire dans tous les aspects. Dans la façon dont elle a mené sa vie de marin mais aussi sa vie politique, au sens noble du terme, avec le WWF. Elle a, de plus, un grand talent d'écrivain. C'est ma référence.   

Vendée Globe :

Ce que tu fais quand tu ne fais pas de bateau  ? 

 

Je passe du temps avec ma famille, mais principalement je travaille. On vit un sport qui est, par plein d'aspects, complètement absurde. On fait tous ce que l’on fait pour faire un maximum de bateau mais par rapport au boulot qu'on abat, le temps passé sur l’eau est finalement assez minime. 

Vendée Globe :

Quelle est la chose qui ne te quitte jamais lorsque tu pars en mer  ?  

J'ai un petit Superman que j'emmène quand je navigue en solitaire. Il me rappelle que je dois faire attention, que je ne suis justement pas Superman. C'est un truc que m'a donné ma coach en préparation mentale avant mon premier Vendée Globe pour que je ne me brûle pas les ailes et que, précisément, je garde conscience de celui que je suis. Je suis un marin différent des autres. Je ne viens pas du Figaro. Je n'ai pas, comme certains, trente années de course au large derrière moi. J'ai des faiblesses et j’ai des qualités. Il ne faut pas que j'oublie qui je suis. Il faut que je fasse ma course et pas celle d’un autre. 

Rencontre avec Eric Bellion, STAND AS ONE | Vendée Globe 2024

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