Qui de Charlie Dalin, l’homme au calme calculé, ou de Yoann Richomme, le stratège audacieux, passera le cap Horn en tête ? À l’heure qu’il est, même le vent hésite à prendre parti. Une chose est sûre : le cap Horn n’a pas vu un tel duel depuis longtemps. A vrai dire, le plus serré de l’histoire de l’épreuve remonte à 2012. François Gabart avait alors franchi la porte de l’Atlantique 1h20 devant Armel Le Cléac’h. « A qui la prime ? Je ne sais pas. En longitude, je suis un petit peu devant Yoann. Il va falloir qu’il y ait beaucoup de droite pour que lui arrive à passer la pointe sans empannage. En revanche, il devrait toucher le nouveau vent en premier. On va donc voir », a prudemment relaté le skipper de MACIF Santé Prévoyance. Après avoir déjà franchi en tête les deux premiers grands caps du tour du monde - Bonne Espérance et Leeuwin -, le Havrais aimerait évidemment bien signer un hat-trick en confirmant l’adage : « jamais deux sans trois ». Il n’est toutefois pas du genre à se lancer à décorer le sapin avant d’avoir acheté le pied surtout que les conditions, bien que maniables, s’annoncent relativement toniques au large de l’archipel de la Terre de Feu ces prochaines heures. « On va avoir plus de 30 nœuds et des rafales à 35. Dans l’absolu, ce n’est pas énorme par rapport à ce qu’on peut avoir à cet endroit. La bonne nouvelle, c’est qu’on va passer assez proche du cap, et de jour si l’on tient les cadences des routages », a précisé Charlie qui se prépare à déborder le point le plus austral de l’Amérique du Sud pour la deuxième fois de sa carrière et espère bien rattraper la frustration d’il y a quatre ans, où il était passé de nuit sans même pouvoir l’apercevoir.
Enveloppés comme des oignons
« C’est une grosse étape à venir. Je suis content de retrouver l’Atlantique. Je crois qu’en fait j’aime bien l’Atlantique ! », s’est amusé le marin, malgré tout conscient d’avoir bénéficié de conditions relativement douces lors de sa traversée du Grand Sud. « J’ai été sûrement le plus chanceux de toute la flotte car je n’ai pas eu une seule tempête même si j’ai senti le souffle d’une très-très grosse dans mon cou dans l’Indien », a-t-il rappelé, par ailleurs impatient d’en terminer avec les températures polaires. « Pour ne pas avoir trop froid, j’ai des épaisseurs et des épaisseurs de vêtements. J’ai hâte de pouvoir en enlever petit à petit », a assuré le navigateur, pour l’heure toujours emmitouflé comme un bonhomme Michelin, avec des doigts qui ressemblent plus à des bâtonnets de poisson surgelés qu’à autre chose. Et pour cause, dans la zone de vie de son bateau, la température plafonne à 9°C. Chez certains de ses concurrents, c’est encore pire : le mercure dégringole et des flocons de neige viennent parfois tapisser le pont. En résumé : le froid ne fait pas dans la demi-mesure : il attaque de face, de dos, et même par les chaussettes. « On est dans le frigo. Je sors les gants chauffants, je sors le bonnet, je sors un peu tout ce que je peux et j’avoue que ce n’est pas facile-facile. La météo est cependant plutôt sympa. Il y a du vent juste ce qu’il faut. S’il faisait plus chaud, ce serait idéal », a confirmé Isabelle Joschke (MACSF) qui lutte pour garder ses mains fonctionnelles et son esprit concentré alors qu’elle est toujours à la bagarre avec Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-lux).
Un peu de répit qui fait du bien… ou pas
« On finit toujours par se retrouver. C’est vraiment drôle parce qu'on n'a pas du tout les mêmes bateaux. D’ailleurs, c’est un peu pour ça qu’on se perd régulièrement avant de se retrouver quand les conditions changent », a commenté la navigatrice franco-allemande, plutôt ravie de jouer des coudes avec un tel rival. « C’est sympa mais c’est surtout sympa d’avoir réussi à s’extirper des petits airs parce qu’apparemment, il y avait moyen de rester coincé dedans un certain moment ! », a constaté Isabelle. Certains de ses concurrents continuent en effet de lutter dans une redoutable zone de calme plat, s’efforçant tant bien que mal de grappiller le moindre mille sur la route. Tanguy Le Turquais (Lazare) ou encore Benjamin Ferré (Monnoyeur – Duo for a job) semblent englués comme des mouches sur du papier collant ce vendredi, leurs trajectoires sur la cartographie ressemblant plus à des gribouillis qu’à une avancée rapide. À long terme, cette situation devrait jouer en faveur de Sébastien Marsset (Foussier) et Louis Duc (Five Groupe – Lantana Environnement), leur permettant de reprendre un net ascendant après avoir accusé un certain retard. La situation est un peu similaire plus en avant de la flotte où les écarts se font et se défont également.
Ne pas se projeter trop loin
« Avec le vent qui est vraiment dans l’axe derrière, il faut s’arracher. Jouer avec les nuages et essayer d’empanner aux bons moments. Que ce soit Nico (Lunven), Thomas (Ruyant) ou moi, on est dans la même panade météo : on n’a pas d’autres choix que d’avancer vite si ne on veut pas se faire rattraper trop vite par ceux de derrière qui peuvent aller tout droit contrairement à nous », a commenté Jérémie Beyou qui devrait, pour sa part, passer le fameux cap Horn vendredi prochain. « Depuis la première dépression de l’Indien où les trois premiers ont réussi à se faufiler par en-dessous et à nous mettre 1000 milles dans la figure, je prie pour qu’il y ait une opportunité de revenir. Il n’y en a pas eu dans le Pacifique. Je prie donc maintenant pour que cela soit le cas dans l’Atlantique. J’ai cependant peur de regarder ce qui nous y attend car j’ai peur d’être déçu », a ajouté le skipper de Charal. Si la situation a encore largement le temps d’évoluer - et même de changer radicalement -, il se pourrait en effet que le duo Dalin – Richomme profite d’un scénario quasi parfait pour sa remontée jusqu’aux Sables d’Olonne. Selon les derniers modèles, il est envisageable de le voir rallier la Vendée en seulement 21 ou 22 jours. Vous pensiez que cette course était déjà haletante, accrochez-vous, car le meilleur reste à venir !