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Derrière, plus forts que les galères

Une forte dépression accapare les marins à l’arrière de la flotte et les soumet à rude épreuve. Au Sud de ce phénomène, Guirec Soudée (Freelance.com, 27e) et Antoine Cornic (Human Immobilier, 31e), en proie à des soucis de voile, ont décidé de se dérouter pour réparer, aux Kerguelen pour le premier et à Saint-Paul pour le second. Ceux situés en son Nord, menés par Isabelle Joschke (MACSF, 18e), s’en tirent mieux. Son groupe devrait bientôt s'extirper de la dépression et filer vers l’Est. Loin devant, dans le sud de l'Australie, la hiérarchie reste inchangée. En revanche, derrière le trio de tête toujours mené par Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance), une zone sans vent pourrait bloquer tous les poursuivants en fin de semaine et creuser un peu plus les écarts.

À bord de Singchain Team Haikou (Jingkun Xu)
© Jingkun Xu

Pour une fois, les vidéos ne suffisent pas. Guirec Soudée le disait à sa manière la semaine dernière quand il filmait pour la première fois la virulence des mers du Sud : « on ne voit pas trop parce que l’image écrase mais ça secoue ». Et décidément, oui, ça secoue beaucoup pour une grande majorité de skippers. Un groupe conséquent, allant d’Isabelle Joschke à Kojiro Shiraishi (DMG MORI Global One, 33e), est confronté à une dépression très virulente, semblable à celle qu’avait endurée la tête de flotte la semaine dernière. Au programme : des vents à plus de 40 nœuds en moyenne et des rafales jusqu’à 60 nœuds. « Les prévisions sont plutôt précises dans les mers du sud en termes de positionnement mais elles sont souvent sous-estimées en force », précise Basile Rochut, consultant météo du Vendée Globe. Les compteurs s’affolent donc et, à bord, il faut s’adapter, résister, tenir bon et tout oublier, la fatigue, l’humidité, la répétition des efforts…

« C’est un peu la guerre »

Pour y faire face, un groupe s’est positionné depuis plusieurs jours au Nord. Il est mené par Isabelle Joschke suivie non pas sept mais huit mercenaires : Alan Roura (Hublot, 19e), Jean Le cam (Tout commence en Finistère, 20e),  Giancarlo Pedote (Prysmian 22e), Benjamin Ferré (Monnoyeur - DUO for a JOB, 23e), Sébastien Marsset (FOUSSIER, 25e), Violette Dorange (Devenir, 26e), Arnaud Boissière (La Mie Câline, 29e) et Éric Bellion (STAND AS ONE, 30e). « Ils ont très bien anticipé la dépression en se plaçant bien au Nord, encore plus que Yoann Richomme et Thomas Ruyant la semaine dernière », souligne Basile. Alors que la dépression les rattrape, tous savent qu’après avoir mangé du pain noir, ils pourront empanner et faire une route assez directe. « C’est un très bon positionnement », conclut le consultant météo. Parmi ce groupe du Nord, il y a la benjamine du Vendée Globe, Violette Dorange (Devenir, 26e). Contactée aux vacations, elle raconte :  


« Je suis pile au passage du front, les vagues commencent à se former, le vent va forcir… C’est un peu la guerre ! Mon positionnement au Nord, c’est pour prendre le maximum de précaution et pour avoir une échappatoire. Dans ces conditions, on doit surveiller le bateau en permanence. Le risque, c’est de partir à l’abattée, comme si on dérapait et ça oblige à être très vigilant. C’est très physique, j’ai des courbatures depuis deux semaines ! D’un côté c’est effrayant et de l’autre c’est grisant !”
Dans la matinée, la navigatrice a envoyé un nouvel audio dans lequel elle expliquait avoir justement « fait un départ au tas ». « Le bateau s’est retrouvé à l’horizontale, heureusement que rien n’a été cassé. Il y a eu un peu d’eau dans le puits de quille qui a éclaboussé les installations électriques. J’ai bien pris le temps de tout sécher ».

Violette Dorange
DeVenir

Des avaries en pagaille

Devant elle, Alan Roura (Hublot, 19e) explique « être en mode survie » face à cette dépression qui « envoie du bois ». « La vie à bord est toujours aussi compliquée, le bateau va dans tous les sens et pour sortir du cockpit, je suis obligé de m’arrêter pour ne pas finir avec un masque et un tuba. La routine quoi ! » explique le Suisse. « Là, ça va être deux jours bien sportifs et engagés, il va falloir tenir bon ! » 

Même constat pour ceux qui sont situés bien plus au sud. Antoine Cornic (Human Immobilier, 31e), un des premiers à avoir fait face à la dépression hier, est parti à l’abattée, ce qui a engendré une casse sur le rail de grand-voile, arraché sur près d’un mètre. Il a affalé sa grand-voile et pris la décision de se dérouter vers les îles Saint-Paul et Amsterdam afin de se mettre à l'abri et pouvoir procéder aux réparations dans de meilleures conditions. Il devrait y arriver dans environ 7 jours. « Je ne sais pas comment je vais faire pour réparer », confie-t-il, dépité. 300 milles devant Antoine Cornic, il y a Conrad Colman (28e). Le skipper de MS Amlin a passé le front dans la nuit :


« J’ai eu 48 nœuds dans le front. Je savais que ça allait être très dur et c’est pour ça que j’ai essayé de faire une route plus Nord récemment. J’ai eu des petits bobos dans les voiles et un de mes écarteurs (Jockey Pole) est cassé. Dès qu’il y a un peu d’accalmie, je suis en train de bricoler… Mais c’est rare d’avoir le temps de le faire, tellement c’est difficile. Je ne suis jamais à 100% ! »

Conrad Colman
MS Amlin

Trois bateaux progressent encore plus au Sud et sont fortement exposés au plus gros de la dépression : Tanguy Le Turquais (Lazare, 21e), Louis Duc (Fives Group - Lantana Environnement, 24e) et Guirec Soudée (Freelance.com, 27e). Les bateaux ont souffert à l’instar des avaries de J2 (voile d’avant) constatés chez Tanguy et Guirec. Le premier est monté au mât hier pour y poser un patch, le second a constaté une avarie sur cette voile cette nuit. Guirec a annoncé ce jeudi qu’il souhaitait s’abriter à proximité des Kerguelen pour monter au mât lui aussi. Bien plus loin, dans l’Atlantique Sud, c’est Szabolz Weöres (New Europe, 38e) qui va bientôt composer avec une autre dépression, une mer de 5 à 6 mètres et des rafales dépassant les 50 nœuds.

Vers un regroupement de chasseurs ?

De l’autre côté de l’océan Indien, changement de décor, c’est une zone sans vent qui monopolise l’attention de la tête de flotte. Si le trio de tête – Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance, 1er), Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 2e) et Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA, 3e) – semble préservé, la dorsale va se dresser devant Thomas Ruyant (VULNERABLE, 4e), et lui barrer la route ainsi qu’à ses poursuivants. « On pourrait assister à un gros regroupement et ça devrait creuser les écarts avec près de 600 milles entre les trois premiers et les autres », assure Basile Rochut.

« Ça peut partir par devant, tout le monde navigue pied sur le plancher », assure Thomas Ruyant (VULNERABLE). « C’est une course-poursuite où on essaie de récupérer ce qu’on peut sur ceux qui sont devant », atteste Yannick Bestaven (Maître CoQ V, 9e), un des « chasseurs » qui pourrait recoller. Mais l’essentiel n’est pas qu’une question de compétition. Le vainqueur du dernier Vendée Globe l’a rappelé, cette nuit, en quittant un peu ses réglages. « J’ai vu comme un gros éclairage dehors. Je suis sorti, c’était la lune, elle éclairait tout l’océan, le ciel était dégagé… Le spectacle que nous offre la nature est magnifique et on est les seuls à pouvoir voir ça ». Il a une barbe de trois jours, des cernes autour des yeux mais un large sourire barre son visage : « ce sont ces petits bonheurs qui expliquent pourquoi on est là ». 

L’INFO EN PLUS. Nouvelle modification de la ZEA

La direction de course a décidé de modifier légèrement la Zone d’Exclusion Antarctique qui permet aux skippers de ne pas se rapprocher trop près des icebergs. En collaboration avec CLS (Collecte Localisation Satellites) qui mobilise satellites et experts pour cartographier les icebergs, la ZEA a donc été légèrement abaissée à la longitude de l’île Campbell, à plus de 1300 km au sud de la Nouvelle-Zélande. « Grâce aux relevés de CLS, aucun iceberg n’a été détecté dans la zone, ce qui nous permet de modifier la ZEA, précise Hubert Lemonnier, directeur de course. Ça va contribuer à ouvrir la stratégie pour les skippers ».


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