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Derniers milles, dernière bataille !

Après plusieurs jours englués dans une molle interminable, où chaque mètre parcouru semblait une victoire sur l’immobilité, Manu Cousin (Coup de Pouce), Fabrice Amedeo (Nexans – Wewise) et Denis Van Weynbergh (D’Ieteren Group), les trois derniers marins encore en course dans ce Vendée Globe, retrouvent enfin de l’air… et des couleurs. Les voiles se gonflent à nouveau et le sillage redevient une trace franche. Ce retour du vent change tout. Fini l’impuissance face à un bateau qui claque et oscille sans avancer, fini l’attente infinie dans une mer d’huile. Le moral remonte en flèche avec cette sensation retrouvée de glisse, cette impression que la terre se rapproche enfin. Parce qu’après 104 jours en mer, l’envie d’arriver est plus forte que jamais. Chaque mille gagné sur l’Atlantique Nord est un pas de plus vers la délivrance. Mais même si l’horizon se rapproche, la fatigue est bien là. Les corps sont marqués, les visages creusés par ces mois de lutte contre les éléments. Et surtout, une multitude de choses commencent cruellement à manquer. Une vraie douche, un lit qui ne bouge pas, une assiette de fruits frais, le simple fait de poser les pieds sur un sol stable… et, par-dessus tout, les autres. Le contact humain, les échanges spontanés, un sourire non figé par l’écran d’un téléphone satellite. Alors, ils avancent, le regard déjà tourné vers l’arrivée, mais avec cette prudence nécessaire pour ne pas tout gâcher si près du but. Car si la ligne est en vue, il reste encore des pièges à éviter, des manœuvres à assurer, et une ultime dose de patience à mobiliser avant de retrouver la chaleur d’un accueil à terre.

LORIENT, FRANCE - 17 SEPTEMBRE 2024 : Le skipper de Nexans - Wewise Fabrice Amedeo (FRA) à l'entraînement, le 17 septembre 2024 au large de Lorient - Photo Gauthier Lebec / Reporter du Large
LORIENT, FRANCE - 17 SEPTEMBRE 2024 : Le skipper de Nexans - Wewise Fabrice Amedeo (FRA) à l'entraînement, le 17 septembre 2024 au large de Lorient - Photo Gauthier Lebec / Reporter du Large

« Ça fait du bien, mentalement, de retrouver du vent, de faire enfin route vers la maison et d’être en accord avec les routages ! », confie Denis Van Weynbergh. Fini l’impuissance face à un bateau figé sur l’eau, fini les longues heures à scruter l’horizon dans l’attente d’un souffle d’air, comme un cow-boy dans un western attendant une diligence qui ne viendra jamais. Maintenant, le compteur affiche des vitesses décentes, la glisse est de retour, et la progression vers l’arrivée est bien tangible. Même son de cloche du côté de Manu Cousin, qui retrouve des sensations qu’il croyait presque oubliées : « C’est assez drôle de retrouver des vitesses auxquelles on n’était plus habitué. Je regarde le GPS : 15, 16 nœuds… Ça fait bizarre, après ces derniers jours de galère. J’en rigole maintenant, mais honnêtement, ça a été très éprouvant mentalement. » Ce vent retrouvé est une délivrance, mais il rappelle aussi qu’il faut rester vigilant. « On est proches des Açores et du centre de l’anticyclone, donc on joue un peu avec le feu… On croise les doigts pour que tout se passe bien », précise le skipper de D’Ieteren Group.

L’impatience grandit, l’épuisement aussi

Si le moral remonte, la fatigue, elle, ne disparaît pas pour autant. Au final, elle est un peu comme une musique d’ascenseur en boucle : on s’y habitue, mais impossible de vraiment l’ignorer. Fabrice Amedeo revient sur ces derniers jours éprouvants : « Ça a été particulièrement pénible. J’ai dû traverser une dorsale avant que le centre de l’anticyclone ne me passe dessus sous l’effet d’une dépression venant du nord. Résultat : une nuit complète à l’arrêt ! »  Avancer à un nœud dans ces conditions, c’est comme essayer de faire du vélo avec les freins serrés… autant dire une épreuve de patience. Désormais, le skipper - journaliste sent la terre se rapprocher. « Je commence à retrouver un peu d’air, même si ce n’est pas encore la folie. Je fais route vers le Nord et, progressivement, je vais récupérer de la pression. Ça fait du bien, surtout parce que ça donne vraiment l’impression de rentrer à la maison, et c’est une sensation agréable. J’espère que la vitesse va augmenter dans les prochaines heures. » L’excitation de l’arrivée est bien là, mais il faut encore rester concentré.


Il me reste environ six jours en mer, et si je commence à ne penser qu’à ça, le temps risque de sembler interminable. Alors, je continue à m’occuper du bateau et je fais comme si j’avais encore un mois de mer devant moi. C’est la meilleure stratégie pour garder le cap mentalement.

Fabrice Amedeo
Nexans-Wewise

Les petits plaisirs… et ce qui manque vraiment

Dans ces derniers jours de course, ce sont les petits plaisirs du quotidien qui comptent. Après plus de trois mois en mer, un carré de chocolat, c’est comme trouver un billet de 50 € dans une vieille poche de jean : ça ne résout pas tout, mais ça met de bonne humeur pour un moment.  « Ce sont toujours les mêmes détails, mais ils font toute la différence. Des petites choses simples qui apportent du réconfort », décrit le navigateur belge.  Côté nourriture, la fin de course devient une histoire de compromis. Chaque paquet est un peu comme une boîte mystère dans un vieux frigo : on sait que c’est comestible, mais ça ne fait pas forcément envie. « J’ai tout ce qu’il faut pour assurer les repas principaux, mais il ne me reste plus que des lyophilisés. », avoue Fabrice. Finis les petits encas et les biscuits qui faisaient office de réconfort sucré : à ce stade de la course, c’est comme un dimanche soir où on réalise que l’on a oublié de faire les courses et qu’il ne reste plus que du riz nature et un fond de moutarde. « Rien de dramatique, mais bon, 2500 calories par jour, alors que pour mon gabarit, j’en aurais plutôt besoin de 3500, c’est un peu juste ». En revanche, un manque se fait de plus en plus ressentir : la solitude. « Ce qui commence vraiment à manquer, c’est le contact humain », avoue Denis


Voir des gens, parler avec eux, avoir de vraies interactions sociales… Après 104 jours en mer, c’est ce qui devient le plus difficile. Heureusement, avec le réseau et WhatsApp, on garde un lien, mais ça ne remplace pas la vraie présence des autres. Le fait d’être tout seul, au bout d’un moment, ça pèse.

Denis Van Weynbergh
D'IETEREN GROUP

Manu Cousin partage ce sentiment et s’accroche aux petites routines qui le connectent à la vie à terre : « Personnellement, j’ai pris l’habitude d’appeler ma compagne une fois par jour. C’est un moment important, que l’on garde coûte que coûte, peu importe ce qu’on se raconte. Avoir ce petit rituel, ça fait vraiment du bien. Après autant de temps en mer, on a besoin de s’accrocher à ce qui compte vraiment. »

Un sprint final sous haute tension

À quelques jours de l’arrivée, la prudence est de mise. « Normalement, je devrais avoir du vent, avec la traîne de la dépression. Il va falloir faire attention, parce que ce n’est pas le moment de faire des erreurs », analyse le Sablais d’adoption. Le trafic maritime devient aussi une source de stress supplémentaire. Un peu comme traverser un boulevard bondé aux heures de pointe, mais avec des camions de 300 mètres qui n’ont aucune intention de freiner. « En ce moment, par exemple, je longe la zone de protection de la biodiversité des Açores, et il y en a partout. J’ai compté cinq cargos autour de moi à l’instant », raconte-t-il. Denis acquiesce : « Plus on avance, plus il y en aura, notamment en approchant du golfe de Gascogne, où ça va être encore pire. » Les routages indiquent désormais des arrivées étalées entre le 26 février et le 2 mars. La dernière ligne droite demeure incertaine. Comme un puzzle dont il manquerait encore quelques pièces, impossible de savoir exactement comment tout va s’emboîter. « Ce serait bien que la météo ne nous complique pas trop la tâche », glisse Fabrice, conscient que la fin de parcours peut encore réserver des surprises. Mais qu’importe la date exacte : chaque jour qui passe est un jour de plus vers la délivrance. Tous sont fatigués, en manque de confort et d’interactions, mais plus motivés que jamais. Le vent les pousse désormais vers le but. Encore un dernier effort… et bientôt, ils échangeront les embruns salés contre la chaleur d’un accueil tant attendu.


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